L’hépatite ne peut pas attendre : Accessibilité des traitements contre l’hépatite C dans les établissements correctionnels provinciaux au Canada

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On a beau disposer d’un traitement curatif, l’hépatite C demeure la maladie infectieuse au bilan le plus lourd au Canada, selon d’éminent·e·s scientifiques canadien·ne·s. Les innovations en matière de traitement ont permis d’obtenir des taux de guérison élevés (plus de 95 %) grâce à des médicaments administrés par voie orale sur huit à douze semaines, avec peu d’effets secondaires. Et ce qui est le plus important, surtout pour nos client·e·s chez PASAN, c’est que les expert·e·s en médecine affirment qu’on peut continuer à utiliser des drogues pendant un traitement contre l’hépatite C.

La plupart des personnes atteintes d’hépatite C n’éliminent pas le virus spontanément et ont besoin d’un traitement. Chez PASAN, notre clientèle visée est surtout composée de personnes vivant ou ayant vécu une expérience d’incarcération, qui présentent un risque plus élevé d’hépatite C. Ces personnes peuvent présenter des facteurs de risque supplémentaires en raison de leur appartenance à d’autres populations prioritaires, notamment :

  • les personnes qui utilisent des drogues
  • les peuples autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis)
  • les personnes ayant une expérience d’incarcération
  • les personnes nées entre 1945 et 1975
  • les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes
  • les immigrant·e·s et les personnes nouvellement venues de pays où l’hépatite C est plus répandue

Le point de mire de PASAN

Chez PASAN, nos services s’adressent aux personnes qui ont une expérience vécue de l’incarcération et de l’usage de drogues. Beaucoup de nos client·e·s ont reçu un diagnostic d’hépatite C lors de l’évaluation à leur arrivée dans un établissement correctionnel. La plupart du temps, ces personnes ne sont pas du tout au courant de leur statut, car les symptômes de l’hépatite C ne se manifestent souvent que des années plus tard, lorsque le foie est gravement atteint. Comme les gens ignorent souvent qu’ils sont atteints d’hépatite C, l’exposition à cette maladie est 40 fois plus élevée chez les détenu·e·s que dans la population générale du Canada, et cette situation est aggravée par la criminalisation des drogues et l’incarcération des personnes qui en font usage. Malheureusement, l’accès au dépistage de l’hépatite C et l’arrimage aux soins ne sont pas les mêmes pendant et après l’incarcération.

Manque d’accès aux traitements dans les prisons provinciales

Si l’éducation et la défense des droits sont essentielles à l’élimination de ce virus en tant que menace pour la santé publique, l’accessibilité aux traitements l’est tout autant. Les traitements offerts sur le marché canadien sont une nouvelle génération d’antiviraux à action directe qui ont pris la place de l’interféron. Hautement efficace, mais terriblement coûteux, le traitement de l’hépatite C est presque impossible à obtenir dans les établissements correctionnels provinciaux au Canada (la situation est un peu différente dans les prisons fédérales — consultez le rapport d’Action Hépatites Canada, offert en anglais seulement, pour en savoir plus). À ce rythme, l’élimination de l’hépatite C d’ici 2030 est peu probable, du moins dans les établissements provinciaux de l’Ontario.

Si je me fie à mes propres recherches et à mes conversations avec des représentant·e·s du Service correctionnel du Canada (SCC), le traitement de l’hépatite C est moins accessible dans les établissements provinciaux en raison des contraintes de coût et de temps. En effet, il est peu probable qu’on amorce un traitement chez quelqu’un qui pourrait être libéré [sous peu], si la peine à purger n’est que de quelques mois. La transition vers les soins communautaires devrait être aussi simple que de changer de pharmacie lorsqu’on déménage dans une nouvelle ville. Pourtant, ce n’est souvent pas le cas pour nombre de nos client·e·s réintégrant la société. Pour obtenir la guérison de l’hépatite C après sa libération, il est absolument essentiel d’arrimer la personne à des organismes communautaires et d’autres ressources qui privilégient la réduction des méfaits par le biais d’une approche anti-oppressive centrée sur le ou la client·e.

Le suivi est fondamental

Il est donc clair que même lorsque des traitements sont accessibles au sein des établissements correctionnels provinciaux, ces traitements font rarement l’objet des mêmes normes que dans la collectivité. Les détenu·e·s devraient recevoir un counseling après le test et le traitement, tant en prison qu’une fois réintégré·e·s dans la société. En outre, si un·e détenu·e est libéré·e pendant son traitement ou à la fin de celui-ci, les travailleur·euse·s sociaux·ales doivent l’orienter vers des services de santé dans la communauté.

Le cas d’Osler

Récemment, un de mes clients de longue date (appelons-le Osler) a partagé son expérience de vie avec l’hépatite C dans un établissement correctionnel provincial. Après avoir reçu son diagnostic d’hépatite C chronique lors d’un examen de routine (il croit avoir contracté le virus en se faisant tatouer en prison), Osler a déclaré que l’accès au traitement « n’avait pas été de tout repos ». Selon ses dires, il a dû tirer quelques ficelles avec l’aide de son agent de liaison pour les détenu·e·s autochtones afin de recevoir l’assistance médicale dont il avait besoin, mais pas sans avoir à payer de sa poche. En fait, même après qu’on a approuvé son traitement, le personnel soignant a « sauté des jours » de son traitement et le suivi « laissait à désirer ». Comme mentionné plus haut, le suivi après le traitement est tout aussi important que le traitement lui-même. Osler ajoute qu’« ils m’ont juste remis les pilules et basta! ». Malheureusement, de nombreux codétenus d’Osler se sont heurtés à des obstacles liés au coût et à la durée de la peine, et ont dû se débrouiller seuls pour trouver un traitement une fois libérés.

L’avenir

Malgré tout ce qui précède, je reste optimiste quant à l’avenir du traitement de l’hépatite C dans les établissements correctionnels provinciaux, notamment en ce qui concerne la formation du personnel soignant. Récemment, l’Ontario a mis sur pied un programme pilote dans les établissements correctionnels afin de former le personnel soignant au sujet de l’hépatite C. Ce programme fournira aux prestataires les connaissances et les outils nécessaires pour élargir l’offre de dépistage et de traitement et pour arrimer les gens aux soins à leur retour dans la société. Ce programme pilote guidera l’expansion de la formation à tous les établissements correctionnels provinciaux de l’Ontario.

Ce programme n’est pas seulement un moyen d’éducation, mais aussi un outil de défense des droits. J’espère que le projet pilote permettra de faire la lumière sur la prévalence alarmante de l’hépatite C dans les établissements correctionnels provinciaux. Mais surtout, j’espère voir une meilleure accessibilité des options de traitement pour les détenu·e·s. Lentement, mais sûrement, si nous répondons aux appels à l’action, l’élimination de l’hépatite C dans cette population prioritaire est à notre portée.

Autres lectures

  • Le rapport Prison health is public health, publié en anglais seulement par Action Hépatites Canada, met en évidence le besoin urgent de traitements accessibles contre l’hépatite C dans les établissements correctionnels. Intégrant des récits de membres de la communauté et de détenu·e·s, ce rapport montre clairement que le SCC doit apporter des changements importants au traitement et à la prise en charge globale de l’hépatite C pour atteindre l’objectif d’éliminer l’hépatite virale d’ici 2030 fixé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
  • Le Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada, élaboré par CanHepC, offre aux provinces et aux territoires diverses options pour concevoir leurs propres plans d’action afin d’atteindre l’objectif d’élimination fixé par l’OMS. Les options offertes peuvent être adaptées à différents contextes, cultures, populations et régions, et permettent d’assurer l’équité des objectifs et des cibles pour toutes les populations prioritaires.
  • Le projet You Matter : Pathways to Care for STBBIs, soutenu par les services de prévention clinique du B.C. Centre for Disease Control, vise à améliorer le dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et l’arrimage aux soins des personnes ayant une expérience vécue de l’incarcération, par la création d’un programme de dépistage universel avec option de refus dans les établissements correctionnels de la Colombie-Britannique. Ce modèle avantageux pourrait éclairer davantage la prestation de soins aux détenu·e·s vivant avec l’hépatite C en Ontario et dans l’ensemble du Canada.

 

Olivia Gemma est une intervenante de soutien en matière d’hépatite C au PASAN (Prisoners’ HIV/AIDS Support Action Network) à Tkaronto, en Ontario. PASAN est un organisme communautaire offrant exclusivement des services de soutien, d’éducation et de défense des droits en matière de VIH/sida, d’hépatite C et de prévention des surdoses par et pour les détenu·e·s actuel·le·s et ancien·ne·s et les personnes qui utilisent des drogues.

 

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