La COVID-19, les couvre-feux et la crise des surdoses : Une perspective québécoise

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Pour mieux comprendre les enjeux et les priorités des personnes qui utilisent des drogues au Québec lors de la pandémie de COVID-19 et de la crise des surdoses, CATIE a mené une courte entrevue avec Frankie Lambert et Chantal Montmorency, deux membres de l’équipe de l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD). Voici ce qui tient à cœur à leur communauté.

Pouvez-vous expliquer les origines de l’AQPSUD?

En 2005, des organismes communautaires de plusieurs régions, des directions régionales de santé publique et le Service de la prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) du ministère de la Santé et des Services sociaux décident de remettre sur pied un journal gratuit en prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) par et pour les personnes utilisatrices de drogues par injection (UDI). L’injecteur était né !

L’injecteur a permis à un réseau de personnes UD de se mettre en place. En 2007, ces personnes se réunissaient pour la première fois sous le nom d’Association pour la Défense des Droits et l’Inclusion des personnes qui consomment des drogues du Québec. Il s’agit de la première fois au Québec que des personnes utilisatrices de drogues se réunissent pour revendiquer leur droit à la santé, à la vie et au bien-être!

En 2010, l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD) devient un organisme communautaire autonome par et pour les personnes UD et rassemble les deux projets sous un même toit. Le premier groupe communautaire provincial en réduction des méfaits par et pour les personnes UD voyait le jour.

Au cours des dernières années, l’AQPSUD a été très active pour que se mettent en place des solutions qui nous conviennent et qui répondent de manière pragmatique aux besoins que nous exprimons et qui nous concernent. Nous avons créé plusieurs outils et formations par et pour les personnes utilisatrices de drogues.

Au 31 mars 2020, l’AQPSUD regroupait plus de 310 membres ainsi que plusieurs dizaines de bénévoles ponctuels.

Quels sont les enjeux et les priorités des personnes qui utilisent des drogues dans le contexte de la COVID-19 et les couvre-feux?

Depuis le début de la pandémie, la crise des surdoses s’intensifie. La situation est pire depuis l’instauration du couvre-feu. En attribuant aux policiers le pouvoir de décider arbitrairement à qui et comment s’applique le couvre-feu, les personnes les plus vulnérables sont privées de leur droit à la santé et à la sécurité et nous nous dirigeons vers une crise humanitaire et sanitaire aux conséquences tout aussi désastreuses que la crise actuelle.

Nous savons que le couvre-feu empêchera des personnes vulnérables d’accéder aux services et soins de santé auxquels elles ont droit. Il est évident pour nous qu’alors que des personnes pourraient se présenter dans les services de consommation supervisée (SCS) ou aller se procurer du matériel de consommation stérile et disposer du matériel souillé dans les endroits appropriés, elles ne le font pas pour éviter de s’exposer à des contrôles policiers après le couvre-feu. Nous savons que de telles situations favoriseront l’augmentation des décès par surdose et conduiront à de nouvelles infections au VIH, à l’hépatite C (VHC) et aux autres ITSS et infections bactériennes.

Avant l’apparition du coronavirus, la crise des surdoses, les épidémies de VIH et de VHC connaissaient déjà des taux inadmissibles. La pandémie viendra assurément aggraver de manière importante la situation puisque l’accès au dépistage a considérablement diminué depuis le début de la pandémie. À juste titre, cette situation vient rappeler la situation qui prédominait à la fin des années 1990, alors que l’épidémie de VIH/sida était galopante et hors de contrôle.

Le couvre-feu empêche les personnes vulnérables de maintenir en place toutes leurs stratégies de survie. De plus, il sabote notre approche basée sur le lien de confiance avec les personnes. Les personnes ont donc tendance à s’isoler en groupe de survie et elles risquent ainsi de partager leur matériel de consommation, de ne pas appeler les soins d’urgence, ce qui est tout à fait contraire aux bonnes pratiques afin de contrer les surdoses et la propagation des ITSS.

Nous dénonçons cette approche répressive qui met en péril des dizaines d’années de travail des organismes communautaires en réduction des méfaits. Une approche qui a pourtant fait ses preuves. En période de crise, la réduction des méfaits doit être renforcée et non contrecarrée. L’expérience de la lutte contre le VIH nous a pourtant démontré que la répression et la peur ne sont d’aucune efficacité en matière de santé publique. Nous devons éduquer, dépister, retracer, accompagner et soutenir les personnes qui seront positives à l’infection.

Le couvre-feu n’est pas la seule mesure ayant un effet néfaste sur les personnes utilisatrices de drogues. Plusieurs des recommandations pour prévenir les surdoses ne peuvent être suivies dans le contexte actuel. Nous recommandons normalement de ne pas consommer seul, de ne pas s’isoler.

Un sondage mené auprès de nos membres nous a permis de constater qu’ils et elles sont très affecté.e.s économiquement par la crise. Plusieurs mentionnent que leur santé mentale est fragile. Les gens craignent pour leur santé, leur sécurité et réclament de l’approvisionnement sécuritaire. 

En mars 2021, c’est l’anniversaire de la pandémie du coronavirus au Canada. Ces derniers temps, avez-vous remarqué des changements dans votre communauté?

Le sous-financement des dernières années et l’effritement du tissu social vulnérabilisent nos communautés et ralentissent les progrès que nous aurions pu faire au cours des dernières années. Malgré tout, les personnes utilisatrices de drogues sont plus que jamais impliquées au cœur des instances qui se penchent sur les enjeux qui les touchent. 

Quelles sont les tendances de la consommation de drogues au Québec? 

Les tendances sont changeantes et nous sommes sur le qui-vive en permanence, en attente de la prochaine alerte surdose. La qualité et la quantité des substances ainsi que leur toxicité étant variables, les personnes sont vulnérables et stressées. Il y a moins d’accessibilité en raison du couvre-feu, de la fermeture des frontières et de la fermeture de certains commerces.

Nous avons fait analyser les rapports du coroner réalisés suite aux décès par surdose. L’ensemble des rapports de 2017 ont été analysés. On y découvre entre autres que les personnes décèdent souvent après s’être vues refuser des soins ou une admission à l’hôpital. Une des causes des décès par surdose est la perte de confiance dans le système et le réseau de la santé. 

Pouvez-vous parler un peu du plaidoyer pour la décriminalisation de la possession simple à Montréal?

Bien que nous souhaitons un plan plus ambitieux pour encadrer la décriminalisation des drogues, nous accueillons favorablement toutes les initiatives ayant des retombées positives sur les personnes utilisatrices de drogues. Il est urgent de décriminaliser la possession simple plus que jamais, car les personnes en ce moment peuvent se faire arrêter en se rendant au service de consommation supervisée (SCS) après le couvre-feu. Elles peuvent être fouillées et arrêtées pour possession simple, même avec l’autorisation de circuler pour fréquenter le SCS.

Le contexte de la prohibition qui stigmatise les personnes utilisatrices, ne contribue pas à créer un environnement favorable au développement de bonnes pratiques en matière d’usage de substances et à améliorer les conditions de santé, bien au contraire. Nous souhaitons une décriminalisation des tierces personnes également puisque nous croyons que toute pression exercée sur les fournisseurs et l’entourage des personnes utilisatrices a forcément des répercussions négatives sur la personne qui consomme. Ce qui va à l’encontre de la philosophie de réduction des méfaits.

 

Frankie Lambert (il/iel) est le chargé de communication de l’AQPSUD. En tant que personne de couleur et consommateur de drogues, Frankie vit selon la philosophie de la réduction des méfaits et de la justice transformatrice. Il est également passionné par la décriminalisation et l’activisme.

Chantal Montmorency est à la coordination générale de l’AQPSUD. Passionnée par la réduction des méfaits et écrivaine, Chantal s’implique depuis longtemps à l’AQPSUD. Elle y a occupé les postes d’adjointe administrative et responsable de l’administration et de la comptabilité avant d’aller travailler en logement social pour ensuite revenir à la coordination. Elle est également formatrice pour des OBNL et coopératives d’habitation.

 

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