La Loi de 2024 pour des municipalités plus sûres : une approche malavisée à la sécurité publique

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La Loi de 2024 pour des municipalités plus sûres, présentée comme le projet de loi 242 par le premier ministre Doug Ford le 12 décembre 2024, consiste en deux volets législatifs importants qui ciblent la population en situation d’itinérance, ainsi que les personnes qui utilisent des drogues en Ontario. Le premier, la Loi de 2024 visant à restreindre la consommation en public de substances illégales, prévoit de nouvelles peines pour les personnes qui consomment ou pour qui [il y a des] « motifs raisonnables de croire qu’elles consomment » une substance illégale dans un lieu public. Le deuxième volet de la Loi modifie la Loi sur l’entrée sans autorisation, en y ajoutant la prise en compte de circonstances aggravantes pour déterminer la peine applicable en cas d’infraction, ce qui peut renforcer la sévérité de la sanction. Ce projet de loi est présenté comme un effort visant à renforcer la sécurité publique; cependant, son approche — qui se fonde sur des mesures punitives au lieu de s’appuyer sur une augmentation des soutiens sociaux —soulève des préoccupations importantes au sujet de ses conséquences potentielles sur les populations vulnérables, en particulier celles en situation d’itinérance, celles qui ont des troubles liés à l’utilisation de substances, ou celles qui sont confrontées à des problèmes de santé mentale.

La proposition de cette législation talonne une autre loi prévoyant le retrait des services essentiels de soins de santé et sociaux pour les personnes qui consomment des drogues par injection. La Loi de 2024 visant à accroître la sécurité dans les rues et à renforcer les collectivités, adoptée sans avoir fait l’objet d’un débat, d’une étude de comité, ou sans avoir été revue par des expert∙e∙s, tente de fermer plusieurs sites de consommation supervisée dans la province, malgré l’écrasant volume de données probantes dans le domaine des sciences sociales qui indiquent que ceux-ci réduisent les morts par surdose et l’utilisation de drogues en public et qu’ils améliorent aussi l’accès des personnes marginalisées aux services de santé. Cela représente une tendance alarmante de réduction des services de santé et sociaux en Ontario, en ignorant les causes fondamentales de la pauvreté et de la dépendance, et à punir les personnes les plus touchées.

Le projet de loi 242 avait été mis de côté en raison des élections en Ontario, mais il pourrait être présenté à nouveau prochainement. 

Annexe 1 : Loi de 2024 visant à restreindre la consommation en public de substances illégales

Le premier volet de la Loi, l’Annexe 1, accorde aux représentant∙e∙s de la loi des pouvoirs étendus pour intervenir dans des cas où ils et elles suspectent que des personnes utilisent des substances illégales dans des espaces publics, notamment dans les rues, les parcs et les édifices publics. La Loi s’applique également aux personnes utilisant des abris de fortune dans les espaces publics, ce qui soulève des préoccupations concernant les conséquences disproportionnées sur les populations en situation d’itinérance.

La large définition du terme « lieu public » dans cette Loi est particulièrement problématique pour les personnes en situation d’itinérance qui n’ont souvent d’autre choix que de résider dans les espaces publics. Bon nombre dépendent de tentes ou d’abris de fortune pour se protéger, en particulier quand les conditions météorologiques sont difficiles. Les dispositions de la Loi ont pour effet de criminaliser l’usage de substances en public dans ces espaces, ce qui marginalise encore plus les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de dépendance.

Les mécanismes d’exécution accordés aux représentant∙e∙s de la loi en vertu de cette Loi créent des obstacles supplémentaires. Les agent∙e∙s peuvent en effet ordonner aux personnes de cesser de faire usage de la substance, de leur donner leurs renseignements personnels et de quitter les lieux, même si elles n’ont nulle part d’autre où aller. La capacité de l’agent∙e de saisir et de détruire les substances qu’il ou elle estime être illégales pourrait également nuire aux personnes qui les utilisent pour faire face à un traumatisme, ou à une maladie mentale non traitée.

Le défaut de se conformer aux instructions d’un∙e agent∙e peut entraîner de lourdes peines, y compris des amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 $, que les personnes en situation d’itinérance ne peuvent se permettre, ou un emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois. L’incarcération des personnes en situation d’itinérance les rendra temporairement moins visibles, mais il s’agit d’une manière totalement inefficace d’éliminer l’itinérance et de promouvoir la sécurité publique. Les brèves périodes d’incarcération sont déstabilisantes, car elles coupent les personnes de leurs soutiens sociaux et financiers. De nombreuses personnes en situation d’itinérance n’ont pas la possibilité d’entreposer leurs effets personnels quand elles sont en détention et peuvent tout perdre, notamment leurs documents d’identification essentiels. Cette situation crée des obstacles qui les empêchent de rétablir leur aide au revenu et leur accès aux services sociaux au moment de leur libération. Sans soutien adéquat, de nombreuses personnes n’ont d’autre choix que de retourner dans les campements ou de dormir dans la rue, où elles seront sans arrêt pénalisées.

Cette Loi qui est proposée est non seulement inefficace pour renforcer la sécurité publique, mais elle est également redondante. En effet, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances interdit déjà la possession de substances illégales et prévoit une peine potentielle d’incarcération. En pénalisant l’usage de substances illégales dans les espaces publics, la Loi cible de manière disproportionnée les personnes qui n’ont pas de toit, mais ne fait rien pour améliorer la crise de l’itinérance.

Annexe 2 : Modifications à la Loi sur l’entrée sans autorisation

Le deuxième volet de la Loi, l’Annexe 2, modifie la Loi sur l’entrée sans autorisation en présentant deux nouvelles circonstances aggravantes qui contreviennent à l’entrée sans autorisation. Ces modifications pourraient toucher de manière disproportionnée les personnes en situation d’itinérance qui n’ont pas d’alternative viable que d’occuper les espaces publics ou privés sans permission.

Nouvelles circonstances aggravantes :

  1. Avis de quitter les lieux : cette disposition s’applique lorsqu’une personne occupe des lieux après avoir reçu un avis de les quitter. Cette disposition comprend des situations dans lesquelles la personne a quitté les lieux, mais y est retournée plus tard.
  2. Probabilité de commettre une intrusion dans l’avenir : les tribunaux peuvent désormais tenir compte de la probabilité de commettre une nouvelle intrusion, ce qui pourrait donner lieu à des peines plus lourdes pour les personnes sans logement stable. Les personnes en situation d’itinérance qui sont forcées de chercher un refuge dans des endroits non autorisés pourraient faire face à des peines à répétition, alimentant ainsi un cycle de criminalisation, les enracinant davantage dans la pauvreté.

L’amende maximale en cas de culpabilité est fixée à 10 000 $, ce qui est totalement inabordable pour les personnes vivant déjà dans la pauvreté. Puisque le système des refuges de l’Ontario n’a pas la capacité d’offrir un logement temporaire à chaque personne en situation d’itinérance, ces modifications servent à les pénaliser en raison du manque de soutiens sociaux du gouvernement provincial. Si ce projet de loi devait être adopté, les personnes n’ayant pas accès à un logement seront criminalisées parce qu’elles retournent sur des lieux publics où elles se sont senties en sécurité. Cette situation les forcera à choisir entre trouver un refuge non sécuritaire, ou à risquer la criminalisation.

Le besoin de solutions intégrées

Alors que la Loi prétend promouvoir la sécurité publique, il lui manque une stratégie complète pour aborder efficacement l’itinérance et l’usage de substances. Pour cela, un plus grand accès aux soins de santé, aux soutiens sociaux et aux logements est nécessaire, et non pas une criminalisation.

Cette Loi, si elle est adoptée, risque d’exacerber les difficultés éprouvées par les populations les plus vulnérables de l’Ontario en donnant la priorité à des mesures punitives par rapport à des soutiens sociaux essentiels. En criminalisant l’usage des substances et des camps de fortune sans répondre aux besoins sociaux et sanitaires sous-jacents, la Loi sert à renforcer les cycles de pauvreté, de marginalisation et de criminalisation. L’Ontario doit se recentrer sur des solutions intégrées qui combinent les services de logement, de santé mentale et de traitement des dépendances pour aborder les causes fondamentales de l’itinérance, de la pauvreté et de la dépendance.

 

Sean LaPrairie a commencé sa carrière juridique en tant qu’avocate de la défense en matière criminelle en exerçant pour Aide juridique. En 2020, elle a commencé à travailler avec la Yukon Legal Services Society en pratiquant le droit pénal, le droit de la famille et le droit sur la protection de l’enfance. En 2023, elle a déménagé en Ontario pour travailler en tant qu’avocate de service au pénal avec Aide juridique Ontario. Elle est actuellement employée en tant qu’avocate plaidante à HIV & AIDS Legal Clinic Ontario (HALCO).

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