Comment les conseils consultatifs de pairs améliorent l’accès à la réduction des méfaits dans les communautés du Manitoba

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CATIE s’est entretenu avec Shohan Illsley, directrice générale du Manitoba Harm Reduction Network, au sujet des conseils consultatifs de pairs que l’organisme coordonne à la grandeur de la province, et de la manière dont ce modèle contribue à améliorer l’accès à la réduction des méfaits dans les communautés rurales et éloignées.

Que sont les conseils consultatifs de pairs et comment s’intègrent-ils dans les activités du Manitoba Harm Reduction Network?

Le Manitoba Harm Reduction Network est en fait un réseau de réseaux. Nous regroupons 11 réseaux dans la province, dont neuf œuvrant dans des communautés rurales et éloignées. À chacun de ces réseaux correspond un conseil consultatif de pairs (CCP).

Les CCP sont fondés sur le principe du « rien sur nous sans nous » et visent à renforcer le leadership des pairs au sein des communautés. Ils sont composés de personnes qui utilisent des drogues figurant parmi les personnes les plus touchées par la violence coloniale et structurelle. Les CCP viennent renforcer la capacité des gens à faire leur travail pour qu’ils prennent soin les uns des autres et contribuent à ce que des solutions émanent de leur communauté.

Pourquoi est-il si important que chaque réseau ait son propre conseil consultatif de pairs?

Cette disposition est importante parce que ce qui fonctionne pour une communauté peut ne pas fonctionner pour une autre. Les obstacles et les problèmes peuvent varier grandement entre les communautés rurales et isolées. Les CCP sont un moyen de donner aux gens la capacité d’action et l’autonomie requises pour mettre sur pied et mener des initiatives dont ils savent qu’elles vont améliorer la santé et le bien-être de leurs ami·e·s, des membres de leur famille et de leur communauté. Ils échangent également avec les CCP d’autres communautés sur ce qui a bien fonctionné pour eux, afin d’apprendre les uns des autres tout en adaptant les approches aux besoins locaux.

À quoi ressemblent les conseils consultatifs de pairs?

Chaque CCP est composé de 12 à 20 personnes qui utilisent des drogues de la région. Ces personnes se réunissent tous les mois pour conseiller leurs réseaux locaux, mener des études et des projets, organiser des activités et orienter les services dans leurs communautés. Elles travaillent également à l’amélioration de leurs compétences et de leurs capacités en tant que porte-paroles et leaders. Les réunions ont lieu là où les pairs se sentent le plus à l’aise, que ce soit dans un centre d’amitié local, dans un parc ou même dans les locaux de la filiale régionale de la Légion royale. Les réunions sont soutenues par le ou la coordinateur·trice du réseau du MHRN et par les membres du CCP eux/elles-mêmes.

Pouvez-vous nous parler un peu du travail accompli par les conseils consultatifs de pairs?

Les CCP créent et organisent une grande diversité d’activités, de programmes et d’évènements qui répondent aux besoins de leurs communautés.

Par exemple, des journées de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) sont organisées par et pour les pairs. Ces évènements ont vu le jour parce qu’après avoir constaté de nombreux obstacles à l’accès aux services de santé centraux, les CCP ont proposé que des évènements organisés par la communauté permettraient de répondre aux besoins en matière de santé et de services sociaux. Ces évènements ont lieu dans des espaces communautaires où les pairs se sentent le plus à l’aise. Ils fournissent des services sociaux et de santé à la communauté, tels que des services de santé mentale, des tests de dépistage des ITSS et des soins des pieds, tout en répondant à des besoins fondamentaux comme la nourriture et des services de coupe de cheveux. Les CCP organisent également des évènements de suivi pour que les gens se retrouvent au moment d’obtenir leurs résultats de tests, ainsi que leur traitement, si nécessaire. On espère qu’avec le temps, les membres de la communauté établiront de meilleures relations avec les personnes travaillant dans le système de soins de santé.

Le programme de casiers de Flin Flon est un autre exemple d’initiative issue d’un CCP. Le groupe savait que de nombreuses personnes n’avaient pas accès aux fournitures de réduction des méfaits et aux autres services du centre de soins de santé primaires. Bon nombre des motifs profonds expliquant cette situation seraient toujours un mystère sans le travail du CCP. Les pairs cherchaient un moyen de faire entrer leurs ami·e·s dans le bâtiment où sont offerts tous les services de santé, mais ils savaient qu’il fallait commencer par instaurer un climat de confiance. Ils se sont donc dit que s’il y avait des casiers à l’extérieur où les gens pouvaient accéder à des fournitures d’usage de drogues à moindres risques 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, cela amènerait au moins leurs ami·e·s à s’approcher du bâtiment.

Ils espéraient que petit à petit, les gens noueraient des relations avec le personnel infirmier par l’entremise des notes laissées dans les casiers, et que tôt ou tard, ils se sentiraient suffisamment à l’aise pour accéder aux services de santé offerts dans le bâtiment, comme le traitement des plaies, le dépistage des ITSS, la vaccination et le traitement du diabète. Même si le programme semble avoir pour but d’améliorer l’accès à des fournitures d’usage de drogues à moindres risques, en ce qui concerne les pairs du CCP, il s’agissait en réalité de faire entrer leurs ami·e·s dans un bâtiment où on offre des services dont ils ont besoin.

Que faut-il faire pour aider les gens à participer aux conseils consultatifs de pairs?

La première chose à faire est de créer un environnement bienveillant. Pour ce faire, il est essentiel d’adopter les principes de la réduction des méfaits, de montrer que nous croyons en la capacité d’action et l’autonomie des gens, d’aller à leur rencontre, de respecter le principe du « rien sur nous sans nous » et de créer un espace sans jugement concernant l’usage de drogues. Lorsque nous avons commencé à interagir avec les personnes qui utilisent des drogues, ces dernières pensaient que c’était une ruse pour les attraper ou attraper les personnes qui vendent des drogues. Gagner leur confiance et prouver que nous ne sommes pas là pour les incriminer peut prendre des mois.

Il est également essentiel d’honorer les connaissances que les gens possèdent et le travail qu’ils accomplissent déjà pour protéger leur communauté. Nous payons donc les gens en espèces pour leur temps et nous n’attendons pas d’eux qu’ils contribuent à chaque réunion à laquelle ils assistent pour être payés.

Les coordinateur·trice·s de réseau et les pairs leaders s’efforcent également de répondre aux besoins fondamentaux susceptibles d’influer sur la participation, qui peuvent varier d’une communauté à l’autre. Il peut s’agir de fournir de la nourriture et des boissons si les gens ont faim. Ce peut aussi être une aide au transport, qu’il s’agisse de payer l’essence ou les taxis, ou d’organiser du covoiturage pour aider les gens à se rendre aux réunions. Si les gens ont des enfants, nous fournissons des ressources pour payer la garde d’enfants ou nous nous assurons que les réunions sont adaptées pour permettre la présence d’enfants, de sorte que les gens puissent les amener avec eux. Il est très important de s’attaquer aux obstacles à la participation de manière spécifique à chaque CCP et à chaque communauté.

Quels conseils donneriez-vous aux prestataires de services ou à d’autres personnes qui souhaitent mettre en place des conseils consultatifs de pairs dans des communautés plus petites?

C’est toute une question. Mon conseil est en fait de transférer le pouvoir et le contrôle aux communautés locales. Nous avons souvent constaté que les gens des centres urbains arrivaient dans nos communautés convaincus que c’était eux qui allaient « corriger » notre situation — qu’ils avaient plus d’études ou d’expérience, et donc qu’ils avaient toutes les réponses. Mais ça ne se passe jamais vraiment comme ça, car la dynamique des petites localités est incroyablement différente. Mon conseil est donc de trouver comment mettre en œuvre des services dans les communautés rurales et éloignées qui soient dirigés par les personnes les plus touchées, et d’avoir confiance que toutes les réponses aux obstacles auxquels nos communautés sont confrontées se trouvent dans les communautés elles-mêmes. À partir du moment où nous sommes convaincu·e·s que les communautés possèdent les réponses, il devient logique de leur fournir les ressources et les infrastructures nécessaires pour résoudre leurs propres problèmes.

 

Shohan Illsley a grandi dans le nord du Manitoba : à The Pas, avec la Première Nation crie d’Opaskwayak et à Churchill. Ses grands-parents sont originaires d’Islande, d’Écosse et d’Angleterre. Elle est mariée à son amour de jeunesse et mère de quatre enfants. Elle réside avec sa famille à Winnipeg. Shohan et son mari élèvent leurs enfants en s’appuyant sur les savoirs et les cérémonies autochtones. Ils s’efforcent chaque jour d’intégrer la résistance à la colonisation et aux pensionnats dans l’identité de leurs enfants. 

Shohan est directrice générale du Manitoba Harm Reduction Network et travaille dans le domaine de la réduction des méfaits depuis 2000. Son expérience professionnelle inclut le travail avec des personnes qui utilisent des drogues et qui sont affectées par la violence structurelle et coloniale. Shohan part du principe que chacun·e est l’expert·e de sa propre vie.

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