Le « spotting » et la Loi sur les bons samaritains : Implications et considérations

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Les lois sur les « bons samaritains » visent à assurer aux personnes qui sont témoins d’une surdose de drogue, qui interviennent lors d’une surdose, ou qui en sont victimes, une protection contre l’arrestation et les accusations criminelles. Ce type de législation a été mis en œuvre au Canada et aux États-Unis en réponse au nombre croissant d’intoxications mortelles liées aux drogues, mais varie d’un endroit à l’autre. Au Canada, la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose a été conçue pour encourager les personnes qui utilisent des drogues à accéder sans crainte de répercussions criminelles aux services de prévention et d’intervention en cas de surdose, comme le Service national sans frais d’intervention en cas de surdose et de prévention des surdoses. Des travaux de recherche ont mis en relief certains avantages de ce type de loi, notamment la probabilité accrue de recours aux services d’urgence, mais des points de vue divergent quant à leur efficacité et on observe des degrés variables de connaissance de ces lois dans la communauté des personnes qui utilisent des drogues.

Les divers degrés de connaissance de la Loi et de confiance en elle créent des situations précaires pour les personnes qui utilisent des drogues, en particulier dans le contexte canadien d’un approvisionnement en drogues de plus en plus toxiques et des décès par surdose qui en découlent. On connaît peu les perspectives et expériences des personnes qui utilisent des drogues, en rapport avec cette loi et avec les interventions en réponse aux surdoses (comme les programmes de distribution de naloxone) au Canada. L’influence de la Loi sur la disposition à utiliser des services virtuels de prévention et d’intervention en cas de surdose présente également une pertinence pour la création et la mise en œuvre de services novateurs de réduction des méfaits.

En tant que chercheur·euse·s en santé publique dans le domaine de la réduction des méfaits, nous souhaitons faire état de la compréhension de la Loi sur les bons samaritains et de ses limites, en nous basant sur les perspectives de personnes qui utilisent des drogues en Ontario et en Nouvelle-Écosse ainsi que de personnes qui sont intervenues devant des surdoses dans leur communauté et qui ont participé à une étude sur les services de réponse aux surdoses à distance.

Voici quelques leçons importantes tirées de cette étude.

1. Les personnes qui utilisent des drogues ont une connaissance limitée ou nulle de la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose

La plupart des participant·e·s étaient dans l’incertitude ou l’inconnu concernant la Loi et la façon dont elle s’applique à eux/elles et à leur contexte géographique. Bon nombre ont répondu connaître peu cette loi, signalant ne pas pouvoir « contester » les arrestations ou les accusations faites par des agent·e·s de police lors d’un événement de surdose. Certain·e·s ont offert des réflexions étoffées à propos des traumatismes et de la stigmatisation toujours engendrés par le système de justice pénale, parmi les personnes qui utilisent des drogues, et quant à la façon dont cela conduit à une méfiance à l’égard de la Loi. Les participant·e·s ont réfléchi à la façon dont la stigmatisation persistante qui découle de la criminalisation de la consommation de substances continue de poser des obstacles à l’accès aux services sociaux et de santé qui sauvent des vies.

2. Les personnes qui utilisent des drogues ont le sentiment que la Loi sur bons samaritains ne les protège pas efficacement

Les participant·e·s qui connaissaient mieux la Loi ont expliqué qu’en dépit de son objectif déclaré, ils la trouvaient inefficace pour protéger les personnes qui utilisent des drogues, en situation de surdose. Cela est dû aux protections limitées contre diverses formes d’accusations auxquelles sont confrontées les personnes qui utilisent des drogues, qui sont des cibles du système de justice pénale. La variabilité des expériences associées à la Loi a suscité l’incertitude de nombreux participant·e·s quant aux actions à poser devant une situation de surdose. La plupart ont expliqué se sentir déchiré·e·s devant l’idée de faire confiance à la Loi et de tenter de sauver des vies, compte tenu de leurs rapports négatifs antérieurs avec les autorités. Plusieurs ont signalé que l’application de la Loi était laissée à la discrétion de l’agent·e de police se présentant sur les lieux de la surdose et n’était donc pas constante. Bien que la Loi puisse offrir une protection contre certains préjudices, les répondant·e·s ont indiqué considérer qu’elle ne les protège pas contre le risque d’intervention des services de protection de l’enfance, contre la violence policière, la destruction de biens et les arrestations injustes. De telles expériences se sont multipliées pour les personnes de diverses identités sociales et confrontées à de nombreuses formes d’oppression comme le racisme, le sexisme et le colonialisme.

Comment pourrait-on améliorer la Loi sur les bons samaritains?

  1. Inclure de manière équitable et complète les personnes qui utilisent des drogues dans la modification de la Loi, en ce qui concerne son champ d’application (par exemple, ce qu’elle protège), son contenu et sa mise en œuvre. Cela peut s’effectuer par la création de postes rémunérés et permanents pour des personnes qui utilisent des drogues, au sein des organismes gouvernementaux pertinents.
  2. Établir une norme nationale pour la mise en œuvre de la Loi. À l’heure actuelle, celle-ci n’est pas appliquée de façon uniforme dans tout le Canada, ce qui crée des préjudices et de la confusion pour de nombreuses personnes qui utilisent des drogues.
  3. Imposer des restrictions aux agent·e·s de police afin qu’ils/elles ne se présentent pas sur les lieux d’une surdose lorsque les services d’urgence sont appelés.
  4. Décriminaliser la consommation de drogues. La Loi ne tient pas compte des expériences complexes et croisées de stigmatisation, d’oppression et de criminalisation auxquelles sont confrontées les personnes qui utilisent des drogues, ce qui entraîne des préjudices supplémentaires. Si nous ne décriminalisons pas la consommation de drogues, nous nous limitons à protéger les gens lorsqu’ils sont à l’article de la mort au lieu d’adopter une approche préventive pour améliorer globalement leur vie.

Afin d’améliorer l’efficacité de la Loi sur les bons samaritains pour les personnes qui utilisent des drogues, nous devons modifier cette loi pour inclure ces considérations plus générales. Ce n’est qu’alors que nous pourrons réellement protéger les personnes qui utilisent des drogues de tout préjudice additionnel.

 

Melissa Perri (elle), MPH, est doctorante en sciences sociales et comportementales de la santé et coordonnatrice de la recherche à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto.

Nat Kaminski (iel) est une personne non binaire et queer investie dans la cause de la réduction des méfaits et de la décriminalisation; iel siège aux conseils d’administration de l’Association canadienne des personnes qui utilisent des drogues (ACPUD) et de l’Ontario Network of People Who Use Drugs, et travaille comme adjoint·e de recherche à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto.

 

  • Le terme « spotting » désigne l’action de superviser à distance une personne pendant qu’elle consomme une drogue, pour appeler les services de secours en cas de signes de surdose.

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