Il nous faut maintenant plus que jamais un approvisionnement en drogues sécuritaire

• 

La maladie à coronavirus (COVID-19) cause à juste titre beaucoup d’inquiétude chez tous. Mais il existe une autre crise de santé publique qui n’a toujours pas été résolue : la crise des opioïdes. Et si nous n’agissons pas sur-le-champ, la COVID-19 pourrait engendrer deux épidémies chez les personnes qui utilisent des drogues.

Des messages de santé publique contradictoires

Les messages de santé publique s’adressant aux personnes qui utilisent des drogues (en anglais) martèlent depuis longtemps les consignes suivantes : utilise de nouvelles fournitures, aie toujours de la naloxone sur toi, « commence lentement, vas-y doucement », et ne consomme pas seul. Or, en plein cœur de la crise de la COVID-19, les consignes sanitaires destinées au grand public sont de rester à la maison, d’éviter les sorties non essentielles et les rassemblements, de limiter les contacts avec les personnes les plus à risque et de maintenir une distanciation physique.

Mais alors, comment les personnes qui utilisent des drogues peuvent-elles éviter de consommer seules tout en limitant les contacts avec d’autres? Les sites de prévention des surdoses et les sites de consommation supervisée étant soit fermés, soit ouverts, mais avec des horaires extrêmement réduits, ces personnes sont contraintes de consommer seules, ce qui pourrait entraîner un résultat encore plus dangereux : des surdoses mortelles.

Pour aider les gens à éviter de consommer seuls, des travailleurs en réduction des méfaits ont mis en place des « programmes de vigilance » similaires à ceux de la ligne de prévention des surdoses des Grenfell Ministries à Hamilton, en Ontario, comme celui de Montréal, au Québec, mais ayant recours à des applications de vidéobavardage et de vidéoconférence comme FaceTime ou Zoom. Grâce à ce service, une personne peut consommer des drogues sous la supervision à distance d’une personne qui peut fournir de l’assistance ou appeler des secours, si nécessaire.

S’attaquer aux origines de la crise

Nul doute qu’il s’agit d’un moyen formidable de fournir des services médicaux d’urgence aux personnes qui sont en surdose, mais en fait, ce n’est qu’une autre solution de fortune au problème de l’approvisionnement de drogues contaminées. Et comme il est de plus en plus difficile de faire passer les précurseurs du fentanyl par les frontières (en anglais seulement) en raison de l’état d’urgence décrété partout dans le monde, nous devons fournir une solution de rechange plus sécuritaire au fentanyl contaminé vendu dans la rue ou aux substances utilisées pour étirer les stocks jusqu’à ce que les choses reviennent à la « normale ».

Entre-temps, notre pays étiquette les personnes qui utilisent des drogues comme des « toxicomanes » et des « criminels », fermant les yeux sur le fait que si ces personnes sont contraintes de se tourner vers le marché des drogues illégales, c’est parce que les médecins ne leur prescrivent pas de substances pharmaceutiques plus sûres que le fentanyl et la méthamphétamine.

Toutefois, d’excellentes nouvelles nous sont dernièrement parvenues de la Colombie-Britannique, où les médecins peuvent désormais légalement prescrire des doses à emporter d’opioïdes, de stimulants, de benzodiazépines et d’autres substances plus sûres que l’alcool et la nicotine. Ces nouvelles lignes directrices (en anglais seulement) représentent un pas dans la bonne direction dans le mouvement vers la légalisation des drogues, mais ce n’est pas suffisant! Nous avons besoin d’un programme d’approvisionnement sûr dans tout le pays. Nous avons besoin que tous les prescripteurs canadiens rejoignent le mouvement et sauvent des vies.

Qu’est-ce qu’un approvisionnement sécuritaire?

L’approvisionnement sûr ou sécuritaire désigne la fourniture par un médecin d’un approvisionnement légal et réglementé de drogues psychotropes qui n’étaient traditionnellement accessibles que par le marché des drogues illicites. Cette approche tient compte du fait que les personnes aux prises avec la toxicomanie peuvent avoir besoin de se faire prescrire ces médicaments dans le cadre de soins de santé appropriés.

À mon avis, les utilisateurs de drogues ne sont pas traités avec suffisamment de respect et de dignité; les soins de santé que nous recevons ne sont pas prodigués sans discrimination, et nous ne bénéficions certainement pas d’une prise en charge adéquate de la douleur et des symptômes. Les médecins doivent prendre conscience des préjudices qu’ils créent en refusant à leurs patients un approvisionnement sûr en drogues. Ce refus oblige leurs patients à se placer dans des situations dangereuses lors de l’achat de drogues illicites, ce qui pourrait entraîner plus de dommages, voire des décès.

Il est temps de redéfinir l’approvisionnement sécuritaire comme un service essentiel pour sauver des vies, et non comme un traitement de troisième ou quatrième ligne. Les médecins qui ne prescrivent pas ces substances à emporter mettent davantage de personnes en danger, en particulier dans un contexte de pandémie. Les utilisateurs de drogues qui ne bénéficient pas d’un approvisionnement sécuritaire ne vont pas rester chez eux. Ils vont sortir s’acheter des drogues, pandémie ou non!

Un approvisionnement sécuritaire donne des résultats

L’approvisionnement sécuritaire aurait dû être mis en place il y a belle lurette. Cette initiative aurait dû en fait être intégrée au premier site d’injection supervisé en Amérique du Nord. Après tout, certaines personnes doivent encore se livrer à des activités comme le travail du sexe, la vente de drogues et des délits mineurs pour pouvoir s’acheter de la drogue. L’injection supervisée ne résout donc pas les problèmes de santé et de sécurité liés à l’acquisition des drogues. Certains pays européens qui ont lancé des programmes tels que la prescription médicale d’héroïne (en anglais) ou celui-ci ont constaté une réduction de la consommation d’héroïne illicite et de la criminalité, ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie des personnes qui utilisent des drogues. Davantage de cliniques canadiennes doivent fournir de l’héroïne de qualité médicale, à l’exemple de la clinique Crosstown à Vancouver.

À Vancouver, de merveilleux médecins ouvrent la voie en matière d’approvisionnement sûr, comme le Dr Mark Tyndall et son projet MySafe, qui propose un distributeur automatique d’hydromorphone pour des personnes qui sont des utilisateurs d’opioïdes inscrits. Cette machine réduit le risque d’infection par le coronavirus car il n’y a pas de contact entre personnes. Mais surtout, elle peut sauver une vie en réduisant le risque de surdose due aux drogues extrêmement contaminées vendues dans les rues à la grandeur du pays.

Autre professionnelle de la santé qui fait bouger les choses, la Dre Andrea Sereda de London (Ontario) prescrit des drogues sûres à ses patients depuis plus de quatre ans. La Dre Sereda traite beaucoup de travailleurs du sexe et de personnes qui consomment du fentanyl. Elle a récemment participé à un webinaire pour le compte du British Columbia Centre on Substance Use, webinaire qui donne un aperçu de son programme et des bienfaits que ses patients en ont retirés.

Il est impératif que davantage de médecins dans toutes les provinces commencent à prescrire des drogues sécuritaires comme traitement de première ligne, plutôt que d’attendre de perdre plusieurs patients à cause de l’utilisation illicite du fentanyl avant de changer d’avis.

Prochaines étapes

Le modèle médical d’approvisionnement sécuritaire ne peut pas être l’unique solution. Nous devons adopter diverses approches pour répondre réellement à la demande satisfaite à l’heure actuelle par le marché noir. Nous devons envisager de cultiver ici même notre propre pavot pour produire de l’héroïne au Canada, afin que la drogue puisse être fournie sur ordonnance. Des militants de la Colombie-Britannique et d’autres régions du pays demandent depuis assez longtemps que de l’héroïne soit produite au Canada.

Avec plus de 14 000 décès associés à des surdoses au Canada depuis 2016, pourquoi le gouvernement tarde-t-il tant à approuver une solution de rechange plus sûre que l’approvisionnement en drogues illicites contaminées? Attend-il que nous soyons tous morts?

 

Matthew Bonn est le coordonnateur du programme de l’Association canadienne de personnes qui utilisent des drogues, membre du Halifax Area Network of Drug Using People, expert principal en culture de l’utilisation de substances chez Peers Assisting & Lending Support et membre du conseil national des Canadian Students for Sensible Drug Policy. Il est également le cofondateur de la HaliFIX Overdose Prevention Society, qui a mis en place le premier site de prévention des surdoses du Canada atlantique.

Partagez

Laissez un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Laissez un commentaire