Atteindre le premier 90 : voici comment l’autodépistage du VIH peut nous aider à mettre fin à l’épidémie du VIH
Le Canada est signataire des cibles mondiales 90-90-90 pour mettre fin à l’épidémie du VIH d’ici 2030. Ces cibles visent à diagnostiquer au moins 90 % du nombre total de personnes vivant avec le VIH, à traiter 90 % des personnes diagnostiquées et à faire en sorte que 90 % de celles qui sont traitées arrivent à une charge virale indétectable d’ici 2020. Cependant, le Canada tarde à s’approcher de la première cible 90, en comparaison avec des pays similaires comme le Royaume-Uni et l’Australie. On estime que 86 % des Canadiens vivant avec le VIH ont été diagnostiqués. Ceci signifie que les autres 14 %, soit plus de 9 000 Canadiens, vivent avec le VIH et ne le savent pas!
Pourquoi le dépistage est-il si important?
Le dépistage du VIH est important parce qu’il constitue la voie d’accès au diagnostic et à l’implication dans les soins et les traitements pour les personnes vivant avec le VIH, de même qu’à l’obtention de soutien. C’est également une voie d’accès à l’implication dans la prévention du VIH pour les personnes qui reçoivent un résultat négatif au dépistage, mais qui sont exposées continuellement à un risque élevé de contracter le VIH. De plus, les personnes qui ont une infection à VIH non diagnostiquée contribuent de manière disproportionnée à la transmission du VIH – pour une part estimée à 38 % des nouvelles infections.
Que pouvons-nous faire?
Nous devons explorer des moyens novateurs d’élargir les occasions de dépistage à toutes les personnes à risque pour le VIH, y compris celles que les stratégies actuelles n’arrivent pas à joindre. Nous avons besoin d’occasions de dépistage qui aident à surmonter les obstacles au dépistage rencontrés par certaines personnes, comme la stigmatisation, les préoccupations touchant la confidentialité ainsi que le manque d’accès dû au transport ou aux temps d’attente.
En septembre 2019, une légère amélioration a eu lieu en ce qui concerne l’innovation en matière de dépistage. Santé Canada a approuvé une indication élargie pour l’utilisation du dépistage rapide aux points de services dans un plus grand éventail de milieux, au-delà des cliniques traditionnelles. Ce changement procure l’approbation réglementaire requise pour que des pairs et d’autres intervenants en services non cliniques puissent offrir le dépistage rapide – mais il reste à voir si les décideurs consacreront le financement et les ressources pour que ceci se concrétise.
Un autre moyen d’élargir l’accès au dépistage et d’éliminer des obstacles est l’autodépistage du VIH – une méthode selon laquelle la personne prélève elle-même un échantillon de son sang ou de sa salive, procède au test et analyse son résultat. Ce dépistage n’est pas encore offert au Canada, mais ce n’est pas un concept nouveau! Soixante-dix-sept pays dans le monde ont déjà des politiques qui autorisent l’autodépistage du VIH. Cela ne vise pas à remplacer les autres options de dépistage, mais simplement à offrir plus de choix.
Comment l’autodépistage du VIH peut-il accroître l’accès au dépistage?
L’autodépistage du VIH peut améliorer cet accès parce qu’il offre une solution de rechange aux personnes qui rencontrent des obstacles ou qui ne sont pas à l’aise d’aller se faire dépister dans les lieux habituels. L’autodépistage offre une occasion de faire le dépistage en privé et d’être certain de sa confidentialité. Une trousse d’autodépistage peut s’utiliser à la maison ou dans un organisme communautaire; elle peut être offerte en ligne, en pharmacie ou par des fournisseurs de services sociaux ou de santé. De plus, il a été démontré que la disponibilité de l’autodépistage conduit à une augmentation du recours au dépistage et de sa fréquence.
Une enquête réalisée au Canada auprès d’intervenants clés du domaine du dépistage a révélé que 71 % considèrent l’autodépistage comme un moyen important pour joindre les personnes non diagnostiquées.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le recommande : « L’autotest du VIH devrait être proposé comme approche supplémentaire aux services de dépistage du VIH. » D’après l’OMS, l’utilisation de l’autodépistage « contribuerait [aux] objectifs mondiaux en encourageant d’abord ceux qui se font dépister pour la première fois, les personnes séropositives non diagnostiquées et les individus constamment exposés au risque (qui doivent se faire dépister régulièrement). »
L’autodépistage est-il sur le point d’être offert au Canada?
L’autodépistage du VIH pourrait bientôt devenir une réalité au Canada. La trousse d’autodépistage INSTI, une marque spécifique à la technologie d’un fabricant canadien, doit recevoir l’approbation de Santé Canada avant de pouvoir être utilisée ici. Une étude nationale à grande échelle (auprès de 1 000 participants issus de populations prioritaires) est en cours pour déterminer si les personnes sont capables d’utiliser adéquatement la trousse de test et d’en interpréter correctement le résultat. Le test nécessite de se faire une piqûre au bout d’un doigt pour prélever un échantillon de sang. Les données de cette étude serviront à appuyer la demande d’approbation. Le dépistage du VIH à domicile pourrait donc être offert dès 2020.
L’autodépistage fonctionne-t-il bien?
Il a été démontré que diverses technologies d’autodépistage sont exactes : des recherches ont conclu que les utilisateurs sont capables d’arriver au même résultat qu’un fournisseur de soins de santé qui a reçu une formation. Il est démontré également que l’autodépistage est sécuritaire, plus pratique pour les utilisateurs, facile à utiliser et propice à l’autonomisation – et que son taux d’acceptabilité est élevé dans plusieurs populations prioritaires.
La technologie d’autodépistage la plus susceptible de recevoir la première approbation au Canada (la trousse INSTI d’autodépistage du VIH) identifie correctement presque 100 % des cas d’infection à VIH (sensibilité) et donne erronément un résultat positif dans approximativement 0,5 % des cas où l’échantillon analysé est négatif (spécificité).
Il est important de savoir que les trousses d’autotest ne constituent qu’un dépistage initial. Un résultat réactif suggère que la personne pourrait avoir le VIH, mais nécessite un test de confirmation par un professionnel formé, avec prise de sang. Il est important que les personnes qui utilisent une trousse d’autodépistage sachent où aller pour un test de confirmation si leur résultat d’autodépistage est réactif.
Comme pour tout dépistage, il y a une période fenêtre. Si le résultat est non réactif et que la personne a pu avoir une exposition additionnelle au VIH, elle devrait refaire le dépistage pour confirmer son résultat.
Comment les fournisseurs de services peuvent-ils aider?
Les intervenants peuvent jouer plusieurs rôles dans la mise en place de l’autodépistage du VIH. Un rôle clé concerne l’éducation :
- favoriser la connaissance de l’autodépistage du VIH (lorsqu’il sera offert)
- encourager son utilisation périodique ou fréquente par les personnes à risque élevé pour le VIH
- expliquer la nécessité de consulter un professionnel des soins de santé pour un test de confirmation si l’autodépistage donne un résultat réactif; et
- démontrer l’utilisation du test aux personnes qui ont besoin d’aide
Les fournisseurs de services peuvent également jouer un rôle dans le test de confirmation, en dirigeant la personne ou, si possible, en l’effectuant eux-mêmes. Selon le résultat, l’arrimage à des programmes en VIH – prévention ou soins et traitements – est également crucial. En outre, si cela est possible financièrement, les fournisseurs de services peuvent distribuer des trousses d’autodépistage pour que les personnes puissent l’utiliser à la maison ou dans un établissement communautaire. L’autodépistage peut également servir dans le cadre du travail de proximité ou lors d’événements communautaires.
À quoi devrions-nous réfléchir?
Certains enjeux doivent être pris en considération en ce qui a trait à la mise en œuvre de l’autodépistage du VIH.
Il est important que la mise en œuvre de l’autodépistage suive une approche fondée sur les droits de la personne et que l’on fasse en sorte que toute utilisation soit volontaire, sans coercition venant de la famille, d’un partenaire ou d’un fournisseur de soins. Cela devrait toujours être une décision personnelle; personne ne devrait être forcé à passer un test.
Le counseling pré-test est un élément important du processus de dépistage du VIH. L’information ordinairement fournie lors du counseling pré-test, comme les modes de transmission du VIH et ce que l’on doit savoir si le résultat est positif, pourrait être offerte de multiples façons, notamment sur le feuillet inclus dans la trousse de dépistage, ou par le biais de brochures ou d’applications.
Il est particulièrement important que les personnes dont le résultat de dépistage est réactif aient accès à un test de confirmation afin d’être reliées à des soins et traitements pour le VIH si leur statut VIH est confirmé comme étant positif. Des observateurs ont suggéré que le counseling post-test, incluant des liens concrets aux soins, pourrait être effectué par divers moyens – lignes téléphoniques, brochures, vidéos, applications, feuillet amélioré dans les trousses d’autodépistage, ou par le biais d’organismes communautaires locaux.
Par ailleurs, des obstacles financiers pourraient limiter la réussite du déploiement. On ne sait pas, pour le moment, combien l’autodépistage du VIH coûtera lorsqu’il sera offert au Canada; le prix de détail aux États-Unis est d’environ 40 $. Certaines personnes auront les moyens de l’acheter, mais une adoption à grande échelle de l’autodépistage nécessitera que l’on trouve des façons d’offrir la trousse gratuitement ou à plus bas prix.
Certes, de nombreux facteurs sont à considérer pour assurer un déploiement efficace, mais c’est une excellente occasion de mettre à profit une technologie d’efficacité éprouvée et qui nous aidera à mettre fin à l’épidémie de VIH. Travaillons donc ensemble pour trouver des solutions efficaces et pour ne pas laisser passer cette occasion.
Laurel Challacombe possède une maîtrise en épidémiologie et est actuellement directrice de l’échange de connaissances sur le VIH et de l’évaluation chez CATIE. Elle travaille depuis 20 ans dans le domaine du VIH et a rempli un certain nombre de postes dans des organismes provinciaux et régionaux, en y faisant de la recherche et de l’échange et transfert de connaissances.
Camille Arkell est gestionnaire en réduction des méfaits, prévention et dépistage du VIH chez CATIE. Elle possède une maîtrise en santé publique avec spécialisation en promotion de la santé, de l’Université de Toronto, et travaille dans le domaine de l’éducation et de la recherche sur le VIH depuis 2010.