Ce qu’il faudra pour éliminer l’hépatite C du Canada

• 

Le Canada fait partie des 194 pays qui ont adopté la Stratégie mondiale du secteur de la santé contre l’hépatite virale de l’Organisation mondiale de la Santé, en 2016, et qui s’engagent – entre autres – à éliminer l’hépatite virale en tant que grave menace pour la santé publique d’ici 2030.

Mais que signifie concrètement éliminer l’hépatite virale? Des chercheurs, des fournisseurs de soins de santé et des praticiens en santé publique des quatre coins du monde étaient réunis pour tenter de répondre à cette question lors du récent Sommet mondial sur l’hépatite, à Toronto du 14 au 17 juin 2018. Les conférenciers ont partagé les plus récents résultats de recherches, signalé quels pays sont sur la bonne voie pour atteindre les cibles et discuté des éléments nécessaires pour parvenir à l’objectif de l’élimination dans le reste du monde.

L’élimination de l’hépatite C en tant que grave menace pour la santé publique a été définie par l’Organisation mondiale de la Santé en établissant des cibles qui prévoient que 90 % des personnes vivant avec l’hépatite C soient diagnostiquées; que 80 % des personnes vivant avec l’hépatite C et remplissant les conditions bénéficient d’un traitement; et que le nombre de nouveaux cas d’hépatite virale soit réduit de 90 %. Ce plan a été louangé, et qualifié d’ambitieux mais réaliste.

Jorge Mera, un médecin de la nation Cherokee, aux États-Unis, a affirmé dans sa présentation que si nous visons les cibles d’élimination à raison de 90 %, nous savons déjà qui fera partie des 10 % laissés de côté. Ce seront les personnes les plus marginalisées de nos communautés. En gardant cela à l’esprit, penchons-nous sur quelques thèmes généraux qui ont émergé du Sommet.

En ce qui concerne l’hépatite C spécifiquement, l’épine dorsale de la stratégie est l’objectif de guérir les personnes puisqu’il n’existe pas de vaccin pour l’instant. Nous avons marqué des progrès spectaculaires dans le traitement, ces récentes années. Les traitements au moyen d’antiviraux à action directe (AAD) guérissent presque tous les patients. Des essais cliniques dans le monde réel ont observé des taux de guérison similaires parmi les personnes qui consomment des drogues; de plus, d’excellentes options de traitement et de guérison s’offrent aux personnes co-infectées par le VIH ou l’hépatite B, ou atteintes de maladie rénale chronique.

Outre le traitement, que peut-on faire pour éliminer d’ici 2030 l’hépatite C en tant que menace grave pour la santé publique au Canada?

Simplifier, simplifier, simplifier

La simplicité du traitement est une excellente occasion d’élargir l’accès aux services de dépistage et de traitement. Pour de nombreuses personnes, la réception d’un résultat positif au dépistage de l’infection à hépatite C nécessite deux tests sanguins et trois rendez-vous médicaux. Il peut y avoir des délais avant qu’une personne soit arrimée aux soins et traitements, qu’elle avance dans le processus d’approbation de la couverture du traitement et qu’elle reçoive un examen diagnostique complet pour arriver à commencer un traitement.

On peut raccourcir et simplifier ces démarches pour le dépistage et le traitement, grâce au dépistage au point de services et à des directives thérapeutiques simples. Ceci permettrait de réduire le nombre de cas échappés au suivi et contribuerait à maintenir les personnes engagées dans les soins et qui, au bout du compte, seraient guéries.

Cependant, il existe un contrepoint au processus de traitement très simple et dépouillé pour tout le monde. Car, pour certaines personnes il serait bénéfique de faire l’objet d’une prise en charge intégrée, incluant l’accès à des travailleurs communautaires et de proximité, des travailleurs sociaux, des services de réduction des méfaits, des réunions de groupe de soutien ainsi que des rendez-vous de vérification périodique. Il existe une certaine tension entre le modèle de la simplification et celui de la prestation constante de services intégrés aux personnes qui en bénéficieraient.

Pour les personnes qui rencontrent des obstacles à l’obtention de soins appropriés, habilitants et exempts de préjugés, le traitement de l’hépatite C peut être un élément positif et catalyseur, dans leur vie. Ce peut être une occasion de développer une plus grande stabilité (par exemple, de s’inscrire aux prestations d’aide sociale ou de trouver un logement plus stable), de développer un lien de confiance avec un professionnel des soins de santé et d’avoir une interaction positive avec le système de soins.

Décentraliser et intégrer

Les efforts de dépistage doivent être élargis. Le transfert de tâches, en ce qui a trait au dépistage, signifie que ce service soit offert par un plus grand éventail d’intervenants. Par exemple, un chercheur a observé une grande acceptabilité de la prestation du dépistage au point de services par des travailleurs communautaires. Afin de joindre autant de personnes que possible, le dépistage devrait également être intégré à des services que les gens utilisent déjà.

La fourniture du traitement doit venir elle aussi d’au-delà de la sphère des spécialistes. Cette décentralisation est déjà amorcée dans diverses parties du Canada avec le Projet ECHO, un programme d’éducation pour former des infirmières et des médecins non spécialisés dans le traitement de l’hépatite C. Des recherches démontrent que des soins pour l’hépatite C reçus de spécialistes ou de non-spécialistes conduisent à des taux de guérison tout aussi élevés. Le transfert de tâches en général peut appuyer un plus grand nombre d’infirmières praticiennes afin qu’elles prennent l’initiative en matière de traitement. Comme pour le dépistage, l’intégration du traitement dans des services que les personnes utilisent déjà (par exemple, les services offrant des traitements de substitution aux opioïdes, les services de réduction des méfaits et les services de santé sexuelle) aidera à joindre plus efficacement les personnes.

Élargir l’accès au traitement pour tous

Des obstacles à l’accès au traitement ont été observés dans le monde entier. Au Canada, dans certaines populations, l’accès au traitement n’est pas uniforme. Les personnes qui consomment des drogues sont les plus affectées par l’hépatite C, et sont également aux prises avec des obstacles à l’accès à son traitement, en raison de la stigmatisation, de la discrimination et d’un manque de services adéquats et appropriés.

Dans les prisons, au Canada, une personne sur quatre est atteinte d’hépatite C – c’est 25 fois plus que dans la population générale. Or les personnes incarcérées dans des prisons provinciales rencontrent des obstacles institutionnels à l’accès au traitement. Quant au Service correctionnel du Canada, il a exprimé de forts engagements afin d’offrir le traitement de l’hépatite C dans les établissements fédéraux – mais l’accès au traitement dans les prisons provinciales est difficile, épars et souvent parsemé d’obstacles et de retards.

Certains pays, comme l’Australie, ciblent les prisons comme une occasion de micro-élimination – une stratégie consistant à éradiquer l’hépatite C dans des populations plus petites ou des circonstances ou régions plus circonscrites afin de favoriser l’élimination à l’échelle nationale. Offrir le traitement dans toutes les prisons du Canada pourrait faire une énorme différence dans le progrès vers l’élimination de l’hépatite C.

Les personnes autochtones ont également des taux plus élevés d’hépatite C, au Canada, et les données démographiques concernant les cas traités révèlent d’énormes inégalités. Il est crucial d’améliorer l’accès à des services de dépistage et de traitement culturellement appropriés, et que cela passe par des initiatives dirigées par des Autochtones.

On ne devrait pas considérer les personnes qui consomment des drogues, les personnes incarcérées et les personnes autochtones de manière isolée. Certaines personnes peuvent prendre part à plus d’une de ces identités ou expériences, et chacune de ces communautés est aux prises avec des obstacles institutionnels et systémiques qui augmentent la probabilité d’avoir l’hépatite C et qui peuvent accroître les obstacles à l’accès à des soins.

Mettre à l’échelle la réduction des méfaits et les autres efforts de prévention

Une partie importante de la conversation sur l’élimination tourne autour du dépistage, de l’arrimage aux soins et du traitement. Or le dépistage et le traitement ne conduiront pas à eux seuls à l’élimination. Il faut également une expansion et une mise à l’échelle de la réduction des méfaits et des autres efforts de prévention.

Nous avons besoin de plus de services et de ressources pour les programmes de seringues, les sites de consommation supervisée et la santé globale des personnes qui consomment des drogues. Nous devons également nous assurer que ces services joignent les individus là où ils sont (y compris dans nos prisons).

À l’heure actuelle, les personnes qui consomment des drogues sont plus susceptibles de mourir d’une surdose que de l’hépatite C. Les efforts pour éliminer l’hépatite C devraient devenir une occasion d’élargir les services de soutien et de soins de santé pour les personnes qui consomment des drogues, y compris pour la prévention des surdoses. Transférer la prise en charge de la consommation de drogues au système de soins de santé, au lieu du système de justice pénale, pourrait aussi aider à répondre aux facteurs sous-jacents de la transmission de l’hépatite C.

Des questions ont également été soulevées quant à la transmission sexuelle de l’hépatite C. Ces préoccupations viennent des hommes gais, bisexuels et hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, en particulier dans le contexte de l’utilisation de la PrEP, des relations sexuelles sans condom ou sous l’effet de drogues dures (« chemsex »). Nous ne savons pas encore clairement comment cela affectera la transmission de l’hépatite C dans ces communautés, mais des études de modélisation (présentées lors du Sommet) concernant l’utilisation de la PrEP par des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes indiquent qu’en l’absence de programmes spécifiques, d’efforts d’éducation et d’un dépistage régulier, les taux d’hépatite C pourraient augmenter considérablement.

Prochaines étapes pour le Canada

Le Réseau canadien sur l’hépatite C (CanHepC) dirige des efforts pour élaborer une ébauche de plan d’action national sur l’hépatite C – un cadre de travail que les provinces et territoires pourront utiliser pour établir des cibles d’élimination réalistes et pour offrir une gamme d’interventions fondées sur les données qui nous aideront à y arriver. La situation actuelle au Canada est inacceptable.

Devant l’élan et l’énergie générés par cet effort mondial pour l’élimination, nous ne devons pas oublier les ressources accrues qui sont nécessaires pour joindre certaines populations, ni les occasions d’intégrer les déterminants sociaux de la santé dans nos efforts d’élimination – en pensant plus globalement à la santé des personnes qui consomment des drogues, des personnes incarcérées, des Autochtones et d’autres communautés affectées de manière disproportionnée par l’hépatite C. Il s’agit là d’une occasion de se mobiliser, de repousser les limites et de produire de meilleurs résultats pour l’hépatite – ainsi que pour la santé et le bien-être des individus partout dans le monde.

Bref, ne nous arrêtons pas à une élimination à 90 %. Comme l’a affirmé Jorge Mera, visons les 100 %, pour nous assurer de joindre tout le monde, y compris les personnes les plus marginalisées de nos communautés.

 

Rivka Kushner est spécialiste en connaissances, hépatite C, chez CATIE.

Partagez

Laissez un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Laissez un commentaire