Offrir des services de prise en charge des ITSS aux personnes trans : qu’est-ce qui compte à part la gentillesse?

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Il est environ 23 h et je reçois un appel urgent d’une amie, membre de la communauté et femme trans réfugiée vivant avec le VIH. Elle m’annonce qu’elle ne peut pas obtenir le traitement urgent dont elle a besoin à l’hôpital et que la personne de l’accueil a ignoré plusieurs fois son identité de genre et a mal réagi à son anglais approximatif. J’ai appris ultérieurement que plusieurs cliniques avaient refusé ou différé la délivrance de ses médicaments contre le VIH et de son traitement hormonal substitutif (THS) pour diverses raisons, telles que l’absence d’assurance ou des barrières linguistiques.

Une autre membre de la communauté, qui est une personne non binaire, assignée au sexe féminin à la naissance, s’est vu constamment poser des questions dans une clinique de santé sexuelle sur les moyens contraceptifs, les tests de Pap et la santé vaginale, alors qu’elle avait refusé à plusieurs reprises de parler de son corps dans ces termes et qu’elle ne s’était pas présentée pour obtenir ce type de services.

Par ailleurs, un ami trans et gai m’a raconté qu’il avait été invité à participer à une étude médicale dans le cadre de laquelle la PrEP et la PPE à base de doxycycline étaient dispensées gratuitement dans un centre de santé sexuelle, mais qu’il s’était vu refuser la participation à l’étude lorsqu’on avait appris qu’il était une personne trans. En conséquence, il n’a pas reçu les médicaments gratuits promis, du fait des critères de sélection de l’étude.

Ces trois personnes issues de milieux différents partagent l’expérience de nombreuses personnes trans et non binaires qui cherchent à obtenir des services de santé sexuelle au Canada. Étant moi-même une femme trans réfugiée, j’ai dû apprendre à revendiquer ma santé et à sensibiliser les prestataires au moment d’accéder aux services. Je m’excuse de briser l’illusion de la solidarité des personnes cis, mais la gentillesse et le respect des pronoms sont la moindre des choses. Contrairement à ce que laisse entendre le titre de cet article, le manque de gentillesse et le non-respect des pronoms continuent de faire obstacle à une prise en charge des ITSS dans le contexte de l’affirmation de genre au Canada, alors qu’il s’agit du strict minimum. Les difficultés d’accès sont multiples, en particulier pour les personnes transféminines de couleur, les nouveaux·lles arrivant·e·s trans ou les personnes bispirituelles.

Notre action dans le domaine de la prestation de services d’affirmation de genre et de la diffusion des connaissances favorisant le respect des identités de genre est pluridimensionnelle. Elle repose sur la concertation et la coordination des efforts de toutes les parties intéressées, qu’il s’agisse des intervenant·e·s de première ligne dans les cliniques, des chercheur·euse·s, des organismes centraux, des facilitateur·trice·s ou des formateur·trice·s.

Arrêtons-nous sur quelques éléments essentiels qui permettront de rendre nos interventions liées au VIH et aux ITSS plus respectueuses de l’affirmation de genre :

Travail de première ligne

  • Employez les termes souhaités dans les formulaires et la communication. Par exemple, si j’appelle ma « queue de fille » une « baguette de princesse », ne soyez pas timide et dites-le de la même façon! Les termes dont se servent les personnes trans pour décrire leur corps et leur identité ne correspondent pas toujours à la nomenclature cisnormative à laquelle les prestataires de soins sont habitué·e·s.
  • Votre perception des corps trans ne nous apporte qu’un savoir limité : les personnes trans n’ont pas besoin d’une leçon d’anatomie sur la binarité sexuelle chaque fois qu’elles consultent un·e prestataire de soins. Notre corps est à l’image de la complexité de la nature humaine, que nous suivions ou non un traitement hormonal substitutif ou que nous ayons subi ou non une intervention chirurgicale, et il en va de même pour nos besoins. Demandez-nous d’abord ce dont nous avons besoin.
  • L’identité trans n’est qu’un aspect de nos besoins en matière de santé sexuelle : être une personne trans et non binaire, et en particulier une femme trans de couleur nouvellement arrivée au pays, est difficile sur le plan matériel. Le fait d’appartenir à une classe économique inférieure, d’être réfugié·e·, de ne pas connaître la langue ou les systèmes en place, d’être proche de la rue ou un·e travailleur·se du sexe, tout ceci façonne l’expérience des personnes trans et fait partie de la situation sociale de nombre d’entre elles au Canada. Même certaines avancées dans le système de santé obtenues par le milieu associatif du domaine du VIH et des ITSS peuvent poser des problèmes pour les communautés trans marginalisées. Il est important que notre pratique soit animée par une vision qui tienne compte des déterminants sociaux de la santé propres aux client·e·s trans.

Mesures institutionnelles 

  • Nous devons mobiliser concrètement les personnes bispirituelles, trans et non binaires (BTNB) autour des enjeux qui les concernent et de l’échange de connaissances : il est essentiel que notre action repose sur des principes établis concernant les démarches liées à l’affirmation de genre. Il peut s’agir de lignes directrices internes des organismes concernant les démarches liées à l’affirmation de genre dans les cliniques, de principes de conception générale des formulaires d’admission ou des toilettes, ou de démarches visant à créer des espaces plus sécuritaires pour les personnes BTNB. Cela peut également se traduire par la création de ressources sur le fonctionnement des systèmes et la mise en place de protocoles de prescription de THS pour les patient·e·s trans. 
  • Plus de données sont nécessaires, mais nous devons les recueillir de manière éthique : il est évident que nous avons besoin de données cliniques et de santé publique concernant les personnes trans afin d’être mieux éclairé·e·s sur nos problèmes, mais il est essentiel de les recueillir de manière éthique. Il est également important d’intégrer, en plus des données quantitatives, les points de vue trans et d’autres types de données dans les démarches fondées sur des données probantes.
  • Embaucher et mettre à contribution un plus grand nombre d’entre nous dans le domaine des ITSS : les activités destinées aux personnes trans sont beaucoup trop polyvalentes et interdépendantes pour être traitées de manière cloisonnée. Les connaissances des personnes BTNB sont inépuisables lorsqu’il s’agit de fournir des moyens novateurs et enrichissants d’assurer la prévention et les soins liés aux ITSS.

 

À l’approche de la Journée internationale de la visibilité transgenre (31 mars), tâchons de trouver des moyens d’intégrer dans notre action et dans nos institutions des démarches globales et intersectionnelles respectueuses de l’affirmation de genre. L’intentionnalité, l’humilité et la compassion comptent pour beaucoup dans la prestation de services ou la diffusion de connaissances auprès des personnes trans et non binaires, en particulier en ces temps de montée de l’hostilité à l’égard des personnes trans et des immigré·e·s. Un changement radical s’impose si nous voulons transformer non seulement la manière dont nous traitons les personnes BTNB, mais aussi la manière dont nous proposons nos services et nos connaissances, qui répondent aux conceptions cisnormatives du corps humain et de la santé publique.

Enfin et surtout, dans le cadre de mon activité au sein du Réseau ontarien de traitement du VIH (OHTN) et de la Trans Women and Gender Diverse People HIV/STBBIs Health Research Initiative (TWIRI), j’ai beaucoup d’autres ressources sur la prestation de services liés au VIH et aux ITSS dans le contexte de l’affirmation de genre à faire connaître, et je suis ravie de pouvoir rapprocher les gens les uns des autres. N’hésitez pas à communiquer avec moi pour en savoir plus!

Asya Gunduz est la fondatrice de LubunTO, un organisme queer destiné aux immigrant·e·s de Turquie et du Kurdistan du Nord. Elle travaille également à l’OHTN comme responsable de la prévention du VIH et de la promotion de la santé auprès des personnes trans et de diverses identités de genre, en plus d’être coprésidente de TWIRI. En plus de ses activités de développement de la conscience communautaire dans le cadre de LubunTO, elle siège bénévolement au conseil d’administration du Centre de recherche communautaire (CBRC). Cliquez ici pour communiquer avec Asya.

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