Que faire pour que les services de consommation supervisée et les sites de prévention des surdoses répondent mieux aux besoins des femmes racisées et des personnes dont le genre est non restrictif?

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Il est avéré que les services de consommation supervisée (SCS) et les sites de prévention des surdoses (SPS) permettent de réduire les méfaits et de sauver des vies. Cependant, certaines communautés comme les femmes racisées et les personnes dont le genre est non restrictif (p. ex., les personnes transgenres, de genre non conforme, non binaires et bispirituelles) peuvent se heurter à des obstacles au moment d’accéder à ces services. Pour savoir ce qu’il faut faire pour rendre les SCS et les SPS plus accessibles à ces communautés, CATIE s’est entretenu avec Cassandra Smith, responsable de l’application des connaissances au Dr. Peter Centre.

Quels sont certains des obstacles à l’accès aux SCS et aux SPS signalés par les femmes racisées et les personnes dont le genre est non restrictif?

L’un des obstacles dont on me parle constamment est le manque de sécurité. Il peut s’agir par exemple de ne pas se sentir en sécurité en arrivant dans un lieu parce que des hommes le fréquentent aussi ou traînent à proximité. Cela peut aussi se traduire par le sentiment d’être surveillé·e lorsque l’on se présente dans un lieu, que ce soit parce qu’il y a des policiers à proximité ou parce qu’on a l’impression que le personnel est aux aguets. La présence policière ou le sentiment d’être surveillé·e amène les femmes racisées et les personnes de la diversité de genre à se sentir menacées, et suscite une certaine méfiance à l’égard des SCS.

Un autre obstacle concerne le manque d’intimité et d’anonymat au moment d’accéder aux sites. Quand on regarde comment certains services sont mis en place, on voit un beau centre, un panneau, une porte qui s’ouvre directement sur une route principale, et parfois une porte vitrée qui laisse passer le regard. Il arrive que les SCS et SPS soient situés dans des lieux qui abritent d’autres services, comme le cabinet du médecin de famille, un programme pour les personnes âgées ou une banque alimentaire. Ça peut être une très bonne chose, car les SCS sont alors plus commodes et plus accessibles. Mais l’utilisation de substances suscite beaucoup de stigmatisation, de peur et d’incompréhension, et tout cela peut être encore plus marqué dans les communautés racisées. Par exemple, on m’a dit des choses comme : « On ne me verra jamais aller dans un endroit de ce genre. Quelqu’un va me voir, la tante ou le voisin de quelqu’un, et ils vont le dire à ma famille ». C’est une crainte légitime, car l’utilisation de drogues est associée à une grande honte pour la famille, ce qui peut être dangereux et accentuer l’isolement.

Pouvez-vous indiquer par quels moyens les SCS et les SPS peuvent répondre aux besoins des femmes racisées et des personnes de genres multiples?

La création d’un SCS ou d’un SPS spécifiquement destiné aux femmes et aux personnes dont le genre est non restrictif est une mesure qui a fait ses preuves dans des villes comme Vancouver et Hamilton, car ces sites offrent des espaces qui nous sont réservés. C’est un moyen de répondre aux besoins de sécurité et d’éviter que les gens ne se sentent surveillé·e·s. Il doit y avoir plus de SCS et de SPS comme ceux-ci pour les femmes et les personnes de genre divers un peu partout au Canada.

Les services existants peuvent être adaptés afin de mieux répondre aux besoins des femmes racisées et des personnes dont le genre est non restrictif, mais ce n’est pas simple, car les ressources sont très limitées et les services sont soumis à un grand nombre de réglementations et de restrictions particulières. À l’heure actuelle, s’adapter aux besoins de ces personnes peut consister à reconnaître que, pour certaines d’entre elles, la sécurité passe par l’évitement des SCS ou des SPS officiels.

Nous constatons souvent que les femmes racisées et les personnes dont le genre est non restrictif préfèrent se présenter dans un centre satellite moins officiel où elles peuvent s’approvisionner et utiliser des drogues avec une personne de confiance, ou rester en sécurité en se supervisant (spotting) les unes les autres ou en utilisant une ligne d’assistance téléphonique virtuelle de prévention des surdoses. En mettant à leur disposition un éventail d’options permettant de garantir leur sécurité, les prestataires de services peuvent établir des relations de confiance avec les femmes racisées et les personnes dont le genre est non restrictif. 

Comment concevriez-vous un SCS ou un SPS spécifiquement destiné aux femmes racisées et aux personnes dont le genre est non restrictif?

Je pense qu’il y a un certain nombre de choses à faire avant même d’envisager quelque chose de spécifiquement destiné aux femmes racisées et aux personnes dont le genre est non restrictif. Tout d’abord, il faut que la direction et le personnel soient à l’image des communautés que vous essayez de servir. C’est essentiel pour que les gens se sentent concernés et qu’ils reconnaissent que le lieu a été créé par des personnes qui comprennent leur communauté, leur histoire, leurs priorités et leurs préoccupations. Deuxièmement, il faut comprendre les obstacles systémiques, c’est-à-dire l’histoire des Noir·e·s et des Autochtones dans le domaine des soins de santé et la profonde méfiance que de nombreuses personnes nourrissent pour cette raison même à l’égard du système de soins de santé.

Je pense qu’une fois ces éléments en place, il faut faire preuve d’une grande créativité et essayer de nouvelles choses, car le modèle actuel n’est pas adopté par les personnes racisées, les femmes et les personnes dont le genre est non restrictif. Nous savons ce qui ne fonctionne pas et nous savons pourquoi ça ne fonctionne pas. C’est pourquoi je pense que nous devons créer un nouveau type d’espace qui ne ressemble à rien de ce qui existe actuellement.

Pour les communautés noires, cela peut passer par des discussions avec les propriétaires d’entreprises ou les responsables religieux pour voir s’il est possible de collaborer et d’aménager des lieux que les gens auront envie de fréquenter. Par exemple, un SCS pourrait être jumelé à un salon de coiffure, ou encore être aménagé dans le sous-sol d’une église. Ce genre de solution pourrait aider les gens à se sentir plus à l’aise de s’y présenter parce que le lieu ne sera pas explicitement associé à l’utilisation de drogues ou à la stigmatisation qui s’y rattache.

Mais pour en arriver au point où nous pourrons envisager un nouveau modèle qui réponde à nos besoins, nous devons commencer à parler de l’utilisation de drogues dans nos communautés. Nous devons nous attaquer aux mythes et aux idées fausses que les membres de la communauté, les propriétaires d’entreprises et les responsables religieux peuvent entretenir au sujet de l’utilisation de substances et de la réduction des méfaits. Il s’agit de la première étape essentielle si nous voulons les amener à imaginer, à approuver et à soutenir la création de SCS et de SPS destinés aux femmes racisées et aux personnes dont le genre est non restrictif.

Pour en savoir plus sur les obstacles auxquels se heurtent les femmes et les personnes dont le genre est non restrictif en matière d’accès aux SCS et aux SPS, lisez le compte rendu de l’enquête nationale Holding and Untangling : National Survey Report. (en anglais seulement)

 

Cassandra Smith est mère, spécialiste de la réduction des méfaits, animatrice, militante, chercheuse et ancienne responsable de la réduction des méfaits et de l’engagement communautaire au sein de la Black Coalition for AIDS Prevention (Black CAP). Elle a à son actif plus de neuf ans d’expérience à titre d’experte en promotion de la santé et en réduction des méfaits auprès de diverses communautés, ainsi qu’à titre de responsable d’équipes de réduction des méfaits. En tant que conférencière, elle fait part de son expérience personnelle et de son expertise en tant que femme racisée évoluant dans des systèmes tels que la justice pénale et les systèmes de soins de santé, ainsi que dans les services de réduction des méfaits et de santé mentale. Aux côtés de Santé Canada, Cassandra a représenté des organismes issus de la société civile au sein de la délégation canadienne lors des 65e et 66e sessions de la Commission des stupéfiants des Nations Unies, en 2022 et en 2023.

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