Nous protéger nous-mêmes, nous protéger les uns les autres : la situation actuelle concernant le GHB dans le milieu du « PnP » et les mesures à prendre pour que nos amis restent en vie

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Avertissement : ce billet de blogue relate un cas de surdose mortelle. Son contenu risque de perturber certain·e·s de nos lecteur·trice·s. Pour obtenir du soutien en cas de deuil ou de perte, veuillez communiquer avec Healing Hearts Canada.

 

Connor n’aurait pas dû mourir seul dans sa chambre. Laissé à lui-même par son partenaire d’un soir, le visage enfoncé dans son lit après s’être évanoui, il s’est étouffé dans son propre vomi. Son décès était évitable : le mettre en position latérale de récupération et rester à ses côtés aurait permis de lui sauver la vie. Connor est le premier d’une série de décès récents survenus dans le milieu du « party and play » (PnP) de Toronto et imputés au GHB et à ses substituts, le GBL et le BDO. Au lieu d’être un signal d’alarme, ces décès ont suscité le silence et la confusion quant aux mesures à adopter, qu’il s’agisse d’incidents isolés ou d’un nouveau chapitre effrayant de la crise des drogues toxiques au Canada.

Pour éviter d’autres décès inutiles, les partisan·e·s de la réduction des méfaits, les hommes qui pratiquent le PnP et nos allié·e·s doivent faire pression en vue d’assurer un approvisionnement plus sécuritaire, de faciliter l’accès des hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH) aux analyses de drogues, d’informer les communautés des mesures à prendre dans les situations d’urgence liées à la prise de GHB, et de mettre un terme à la criminalisation et à la stigmatisation de l’usage des drogues. Mais avant d’aborder les solutions, permettez-moi de présenter quelques éléments d’information essentiels sur cette drogue récréative mal comprise.

Tout ce qu’il faut savoir sur le GHB

Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est un dépresseur dont les effets induisent une légère euphorie, à la manière de l’alcool. Vendu sous la forme d’un liquide transparent, souvent appelé « G » ou « ecstasy liquide », le GHB est utilisé par certains hommes gbHARSAH pour intensifier les rapports sexuels. La faible différence de dose qui sépare l’euphorie de l’inconscience rend ses effets imprévisibles. Ce phénomène est accentué par des facteurs tels que le sommeil, la prise de nourriture, la puissance de la drogue et l’utilisation conjointe d’autres dépresseurs du système nerveux tels que les benzodiazépines ou l’alcool.

Une personne qui prend trop de G peut glisser dans un état de sommeil profond qui ressemble plus à un coma qu’à une sieste (on parle parfois de « G-hole »). Un ralentissement dangereux de la respiration et de la fréquence cardiaque, conduisant à une insuffisance respiratoire ou à l’étouffement par le vomi, peut entraîner la mort.

On soupçonne que le BDO (butane-1,4-diol) ait joué un rôle dans la mort de Connor. Relativement nouvelle sur la scène torontoise, cette drogue est apparue alors que le GHB se raréfiait et devenait cher pendant la pandémie. Après leur absorption, le BDO et le GBL (gamma-butyrolactone) sont métabolisés en GHB dont le délai d’action est plus rapide et l’effet plus puissant. Ces trois drogues se ressemblent, ont un goût infect et circulent actuellement sur les marchés locaux de la drogue, souvent faussement présentées comme du GHB, ce qui met en danger les personnes qui en font usage.

Qu’y a-t-il dans votre fiole?

Il n’existe pas de données nationales concernant la diffusion du BDO et du GBL au Canada, bien qu’ils soient présents sur les marchés de Toronto et de Montréal. Les revendeur·euse·s ignorent souvent laquelle des trois substances — GHB, BDO ou GBL — ils ou elles vendent. Les analyses de drogues ne sont pas courantes dans le milieu du PnP, ce qui rend difficile la reconnaissance des substances. La décriminalisation et la réglementation du GHB (mesure également désignée sous le nom d’approvisionnement plus sécuritaire) permettraient aux personnes qui consomment ces drogues de savoir plus précisément ce qu’elles prennent, car il y aurait des emballages de contenu et des indications d’étiquetage comme ceux que l’on trouve sur les produits du cannabis et de l’alcool. En attendant, l’amélioration de l’accès à l’analyse des drogues est cruciale pour la réduction des méfaits.

Accès à l’analyse des drogues

Pour faire face à la crise actuelle, l’infrastructure des services d’analyse des drogues doit s’adapter aux besoins de la communauté du PnP. Les services classiques de réduction des méfaits sont inefficaces sur le plan des délais d’analyse du GHB. Pour obtenir des résultats probants, les appareils de spectrométrie de masse utilisés pour déterminer la composition des drogues doivent faire l’objet d’un réétalonnage poussé. Malgré les projets d’amélioration de l’infrastructure des services d’analyse des drogues, le peu d’information sur le PnP et le GHB dont disposent les intervenant·e·s en matière de réduction des méfaits nuit à l’efficacité des interventions. Les ressources et les sources de soutien concernant l’analyse des drogues doivent être accessibles à tout le monde. Cela signifie que les hommes gbHARSAH doivent participer aux débats concernant les services d’analyse des drogues, et qu’il faut favoriser la représentation à tous les niveaux des personnes queers en vue d’adapter ces services et de défendre les droits des personnes concernées.

Améliorer les interventions communautaires face aux urgences liées à l’utilisation du GHB

J’ai mis l’accent sur les changements nécessaires au niveau des systèmes. Cependant, les membres de la communauté du PnP ont également un rôle important à jouer en protégeant leurs ami·e·s et les autres fêtard·e·s, et en intervenant comme il se doit dans les situations d’urgence liées à la prise de GHB. Les résultats des études montrent que la plupart des cas de surdose au GHB ne sont pas pris en charge par les services médicaux d’urgence en raison de l’idée fausse qui prévaut chez les personnes qui s’adonnent au PnP selon laquelle un « G-hole » n’est pas dangereux. Les incidents récents viennent contredire cette idée, mettant en évidence la nécessité de former la communauté à la reconnaissance et à la prise en charge des surdoses. En donnant aux membres de la communauté les moyens d’intervenir de manière indiquée, on peut limiter les risques tout en s’efforçant de mettre fin à la criminalisation et à la stigmatisation.

Criminalisation et stigmatisation

La criminalisation et la stigmatisation engendrent la peur, ce qui a des répercussions profondes sur les choix des personnes qui utilisent des drogues. La peur d’être désigné·e comme un·e adepte du PnP — perte d’emploi, relations conflictuelles et jugement de la société — peut pousser un individu à vivre dans le secret, ce qui a souvent des conséquences tragiques. Ces craintes peuvent même dissuader les personnes présentes d’offrir une aide salutaire, comme en témoigne le cas de Connor. Les reportages sensationnalistes ont accentué la stigmatisation entourant le GHB en l’associant à des violences sexuelles et même à des meurtres, éclipsant ainsi la réalité qui est que la plupart des consommateur·trice·s privilégient le consentement.

Criminaliser et interdire le GHB sur la base des agissements d’une petite minorité d’individus qui chercheraient à nuire à autrui ne fera qu’inciter les personnes qui en font usage à se tourner vers des solutions plus risquées, et augmenter ainsi les risques de surdose et de décès. Les personnes qui consomment du GHB ne sont pas des criminels, et les cas exceptionnels ne justifient pas qu’on adopte des lois qui ont pour effet d’accroître les risques de surdose pour tou·te·s les utilisateur·trice·s récréatif·ve·s.

 

En conclusion, la communauté du PnP doit faire partie des débats sur la toxicité de l’approvisionnement en drogues au Canada. La décriminalisation et la légalisation des drogues, et des outils et programmes complets de réduction des méfaits sont des moyens essentiels si l’on veut éviter d’autres tragédies. En tant que membre de cette communauté, j’exhorte les hommes gbHARSAH à défendre leurs intérêts et à exiger de participer au débat national sur les droits des consommateur·trice·s de drogues. Ces pertes récentes sont un rappel brutal de la crise plus vaste liée aux drogues qui frappe tout notre pays – nous ne pouvons plus ignorer notre vulnérabilité. Nous devons nous montrer solidaires des membres des autres communautés qui consomment des drogues.

Aux partisan·e·s de la réduction des méfaits, nous demandons de collaborer avec les allié·e·s de la santé des hommes gbHARSAH afin d’améliorer l’accès aux services et le soutien. Nous pouvons nous inspirer du travail de The Outreach Network de CATIE, qui collabore actuellement avec l’Alliance pour la santé sexuelle des hommes gais afin que les intervenant·e·s de première ligne en réduction des méfaits en Ontario soient formé·e·s et informé·e·s en matière de PnP, à titre d’exemple. C’est maintenant qu’il faut agir. Que ces décès ne soient pas en vain.

Reposez en force, Connor, Frederick, Mirek, Max, Sam, Jacob et tous ceux et toutes celles qui ont été emporté·e·s trop tôt.

 

Jordan Bond-Gorr est coordonnateur des initiatives en matière de PnP/chemsex à l’Alliance pour la santé sexuelle des hommes gais. Il contribue à l’élaboration de documents, d’études et de ressources sur les réalités du « chemsex » et de la consommation de méthamphétamine en cristaux chez les hommes queers, à l’intention des prestataires de services. Jordan est convaincu que la honte et la stigmatisation sont la cause de la plupart des méfaits que nous imputons aux drogues. Il s’est donné pour mission de créer des espaces de dialogue sans jugement sur le « chemsex », afin de permettre aux hommes gbHARSAH de redevenir maîtres de leurs discours et de leurs vies.

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