Quels effets ont les médicaments pour traiter le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes sur les envies irrépressibles d’opioïdes?

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La buprénorphine/naloxone (aussi connue sous le nom de Suboxone) et la méthadone sont deux des médicaments les plus couramment prescrits dans le cadre d’un traitement par agonistes opioïdes (TAO) visant à soigner les troubles liés à l’utilisation d’opioïdes au Canada. L’objectif du TAO est de remplacer l’utilisation d’opioïdes non réglementés par un médicament thérapeutique sécuritaire et légal pouvant prévenir les envies d’opioïdes et les symptômes de sevrage. Ces traitements peuvent, pour leur part, réduire le risque de surdose et d’autres effets néfastes potentiels du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes, mais ils ne sont pas adaptés à tout le monde. En plus de ces traitements, nous avons aussi besoin d’un meilleur accès à un approvisionnement sécuritaire, c’est-à-dire une offre de médicaments légaux et réglementés pouvant altérer le corps et l’esprit qui ne sont habituellement accessibles que par le marché illégal. Ces médicaments comprennent des opioïdes tels que l’hydromorphone et la diacétylmorphine injectables, la morphine orale à libération lente ainsi que l’hydromorphone orale à libération immédiate et à libération lente.

Je sais à quel point le TAO peut changer la vie. Pour ma part, j’ai pris de la méthadone, de la buprénorphine et de l’hydromorphone, mais j’ai eu beaucoup de difficulté à m’abstenir d’utiliser d’autres drogues pendant que je prenais ces médicaments. C’est un peu comme si le fait de prendre ces médicaments réveillait en moi une forte envie de continuer à prendre des stimulants, des benzodiazépines ou d’autres opioïdes. L’envie de drogues se caractérise par un besoin irrépressible d’utiliser une substance, un élément central de la dépendance. Personnellement, le TAO me faisait cet effet qu’on ressent après avoir bu une bière : on en veut une autre. Mais même si ces médicaments m’ont fait me sentir ainsi, ils m’ont quand même sauvé la vie à plusieurs reprises.

Quelle est la différence entre la méthadone et la buprénorphine/naloxone?

La méthadone est un agoniste opioïde complet, ce qui signifie qu’elle a des effets semblables à ceux d’autres opioïdes comme l’héroïne et le fentanyl. Un agoniste opioïde complet se lie entièrement aux récepteurs opioïdes, diminuant ainsi les envies d’opioïdes et les symptômes de sevrage. La méthadone peut être prescrite sous différentes formes, comme un liquide ou des comprimés, et sous différentes formulations, telles que Metadol-D et Methadose. C’est la méthadone liquide qui est la plus souvent prescrite, tandis que les comprimés sont surtout offerts aux personnes souffrant de douleurs chroniques.

La buprénorphine/naloxone est quant à elle un agoniste opioïde partiel. Ce type d’agoniste active les récepteurs opioïdes dans le cerveau, mais de façon beaucoup moins importante qu’un agoniste complet. Il n’est donc pas aussi puissant que l’agoniste complet et ne produit pas les mêmes sentiments d’euphorie que des drogues comme l’héroïne et le fentanyl. La buprénorphine/naloxone réduit les symptômes de sevrage désagréables pour la plupart des gens, mais elle ne fonctionne pas pour tout le monde.

Ces médicaments sont administrés de façon très différente. En général, la méthadone est prescrite sous stricte surveillance, alors que la buprénorphine/naloxone est souvent considérée comme plus sécuritaire, de sorte que les prestataires se sentent plus à l’aise de prescrire des doses à emporter. Ce sont les modèles de soins standard, mais ils peuvent changer en fonction des directives provinciales et canadiennes.

Quelle est l’efficacité de ces médicaments pour réduire les envies irrépressibles de drogues?

Des publications ont examiné les effets de ces médicaments pour traiter le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes, mais comme nous le savons, les opioïdes sont très puissants et créent une dépendance chez les personnes qui les utilisent pendant une longue période. Les opioïdes créent également une dépendance physique – lorsqu’on arrête d’en consommer, on peut ressentir des symptômes de sevrage tels que de l’insomnie, des bouffées de chaleur et des frissons, des sueurs, des vomissements, des écoulements nasaux et de la diarrhée. Les opioïdes en circulation, comme le fentanyl et le carfentanil, sont extrêmement forts. Ils sont puissants et à action rapide en plus de cela. La conséquence de l’utilisation de ces substances est un besoin et un désir puissant d’en consommer davantage, et ce, même si on suit un traitement pour un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes. C’est ce qu’on appelle l’envie irrépressible de drogues.  

L’essai contrôlé randomisé OPTIMA a permis de mesurer l’efficacité de deux modèles différents d’administration du TAO. L’équipe de l’étude a réparti les participant·e·s au hasard, qui ont reçu soit la méthadone régulière sous supervision, soit la buprénorphine/naloxone permettant une utilisation plus souple à domicile. Une mesure secondaire a également permis d’évaluer l’efficacité de chaque médicament pour réduire les envies d’opioïdes selon le mode d’administration. OPTIMA a recueilli des données auprès de personnes dans quatre provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Alberta, Ontario et Québec) entre 2017 et 2020. Les participant·e·s ont été suivis pendant 24 semaines.

En octobre 2022, OPTIMA a publié des résultats concernant l’efficacité des médicaments utilisés pour le TAO et des modes d’administration pour réduire les envies de drogues. L’étude s’est penchée sur différentes mesures liées à l’envie irrépressible d’utiliser des opioïdes, notamment l’intensité, la fréquence et la durée. Elle a observé que la buprénorphine/naloxone réduisait davantage les envies d’opioïdes que la méthadone, en particulier lors les deux premières semaines des essais. Cette observation contraste avec la littérature existante, qui indique que la méthadone est plus efficace ou équivalente à la buprénorphine/naloxone pour réduire les envies d’opioïdes.

L’équipe de recherche a relevé plusieurs raisons pour lesquelles la buprénorphine/naloxone a pu être plus efficace pour réduire les envies de drogues :

  1. Avec la buprénorphine/naloxone, il est possible de trouver la dose qui convient à ses besoins beaucoup plus rapidement qu’avec la méthadone. En démarrant rapidement un traitement à la buprénorphine/naloxone, il est possible de contrôler plus facilement les envies d’opioïdes.
  2. La buprénorphine/naloxone était prise par voie orale en comprimés et il était possible d’avoir des doses à emporter aussi tôt que deux semaines après le début du traitement. Cette méthode permet de réduire la dévalorisation, le stress, la honte, l’anxiété et les tracas liés à l’utilisation supervisée de substances liquides comme la méthadone et pouvait entraîner une diminution des envies de drogues.
  3. La buprénorphine/naloxone est un agoniste opioïde partiel, ce qui rend plus difficile de ressentir les effets d’autres opioïdes utilisés en plus du TAO. Les personnes peuvent donc être moins susceptibles d’avoir une forte envie d’opioïdes.

Nous devons tirer des enseignements de l’expérience des personnes qui utilisent des drogues

Il est impératif de remettre en question les normes qui entourent l’administration stricte et réglementée de ces médicaments. De plus, une approche de TAO centrée sur la personne peut réduire la transmission de l’hépatite C. En examinant les effets du mode d’administration du TAO, nous pouvons changer la façon dont les soins de santé pour les personnes qui utilisent des drogues sont conçus et dispensés. Cette démarche bouscule le système en place et permet une approche davantage axée sur la personne. Au lieu de forcer les gens à participer à des pratiques condescendantes, comme l’administration supervisée du TAO, les rendez-vous quotidiens avec des professionnel·le·s de la santé et les tests de dépistage de drogues dans l’urine supervisés, nous devons créer des modèles de soins plus sécuritaires et plus efficaces pour les personnes qui utilisent des drogues.

Les études en cours devraient examiner les conséquences qu’ont les médicaments utilisés pour le TAO sur les envies de drogues et sur le stress, ainsi que leur efficacité globale. L’étude OPTIMA illustre bien comment des données quantitatives peuvent être tirées d’un essai à l’échelle du pays afin d’explorer les différents impacts de la méthadone et de la buprénorphine/naloxone sur les envies de drogues. 

Les personnes qui suivent un TAO doivent être impliquées dans la recherche sur les médicaments qu’elles prennent et sur la manière dont leur traitement est administré. Il est certes essentiel d’examiner les ensembles de données sous l’angle de la recherche, mais à moins que ce ne soit appuyé par des expériences de la vie réelle, nous passerons à côté d’éléments importants que seules les personnes qui utilisent des drogues peuvent identifier. Il est crucial que des personnes ayant un savoir expérientiel soient impliquées dans les projets de recherche qui ont des répercussions directes sur leur vie. Nous devons faire pression auprès des organismes universitaires afin qu’ils incluent des personnes ayant une expérience concrète de l’utilisation de drogues dans chaque aspect du processus de recherche. Ce point est extrêmement important si nous voulons des recherches efficaces, fondées sur des données probantes et répondant aux besoins des personnes qui suivent un TAO ou qui pourraient en bénéficier.

Le TAO n’est qu’un outil parmi d’autres pour combattre la crise des surdoses à partir d’une approche thérapeutique. Si nous sommes dans ce cauchemar apocalyptique, c’est parce que des décideurs ont pensé que le TAO serait suffisant et que si les gens ne réussissent pas le traitement, eh bien tant pis pour eux. Le TAO ne devrait pas être le premier traitement qui soit offert. Il ne devrait être proposé que si la personne désire vraiment l’essayer.

Toute personne qui utilise des drogues et qui souhaite bénéficier de programmes d’approvisionnement sécuritaire centrés sur la personne devrait avoir accès à cette option ainsi qu’à d’autres services de réduction des méfaits. Si la personne souhaite se tourner vers le TAO, et uniquement si cette décision est vraiment la sienne, alors cette méthode devrait lui être offerte. On ne devrait pas avoir à ne pas réussir un TAO avant de se faire proposer un approvisionnement sécuritaire.

Le système est obsolète et défectueux.

 

Matthew Bonn est responsable de programmes pour l’Association canadienne des personnes qui utilisent des drogues. Il est aussi membre du conseil d’administration international de l’International Network of Health and Hepatitis in Substance Users et occupe un poste d’agent de transfert des connaissances au Dr. Peter Centre. Ses écrits à titre de rédacteur indépendant ont été publiés entre autres par Filter-Mag, The Blackwood Gallery de l’Université de Toronto, The Conversation, Doctors Nova Scotia, Policy Options et The Coast. Il a également fait partie de la 64délégation canadienne à la Commission des stupéfiants. Matthew est une personne qui utilise des drogues et qui a déjà été incarcérée.

 

Ressources et note

Veuillez noter que ce billet de blogue ayant été rédigé en anglais, la plupart des documents auxquels il est fait référence dans le texte sont eux-mêmes en langue anglaise.

  1. Patient-centred care in opioid agonist treatment could improve outcomes: https://www.cmaj.ca/content/191/17/E460.short
  2. Buprenorphine/naloxone and methadone effectiveness for reducing craving in individuals with prescription opioid use disorder: Exploratory results from an open-label, pragmatic randomized controlled trial: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0376871622003416
  3. The OPTIMA Trial: https://www.optima-trial.com
  4. Flexible buprenorphine/naloxone model of care for reducing opioid use in individuals with prescription-type opioid use disorder: an open-label, pragmatic, noninferiority randomized controlled trial: https://ajp.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.ajp.21090964
  5. National Guideline for the Clinical Management of Opioid Use Disorder: https://crism.ca/wp-content/uploads/2018/03/CRISM_NationalGuideline_OUD-ENG.pdf

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