À l’écoute des communautés : leçons tirées des épidémies de VIH/sida et de variole simienne
Il y a un peu plus de 40 ans, des clinicien·ne·s ont décelé une forme rare de pneumonie* chez un petit nombre de jeunes hommes de Los Angeles, par ailleurs en bonne santé. Ce groupe allait bientôt être connu comme le « foyer initial » de l’épidémie de VIH/sida. En 2022, des cliniques de santé sexuelle de Montréal ont signalé les premiers cas de variole simienne au Canada. Dans les deux cas, cependant, les communautés touchées ont été les premières à savoir qu’il se passait quelque chose. Dans les années qui ont précédé la découverte du VIH, les personnes qui s’injectaient des drogues parlaient de la « pneumonie des drogués » ou du « dépérissement ». Plus tard, il a été établi qu’il s’agissait de complications liées au sida. Au début de l’épidémie mondiale de variole simienne qui sévit actuellement, les membres des communautés queers ont commencé à s’organiser et à sensibiliser le public, conscients que les virus respectent rarement les frontières nationales. Ces parallèles historiques et géographiques me paraissent importants.
L’histoire du VIH/sida et l’épidémie actuelle de variole simienne nous enseignent deux choses essentielles. Tout d’abord, il est évident que les communautés sont souvent les premières à repérer et à reconnaître les menaces qui pèsent sur leur santé et leur bien-être. En tant que professionnel·le·s de la santé, nous ferions bien d’écouter les communautés concernées lorsqu’elles expriment leurs préoccupations. Deuxièmement, les clinicien·ne·s sont particulièrement bien placé·e·s pour reconnaître les tendances que suivent les maladies au sein des communautés. Cette position privilégiée implique non seulement la responsabilité de déceler un problème et d’alerter les autorités de santé publique, mais aussi d’exiger que les mesures prises soient rapides, judicieuses et non stigmatisantes.
Afin de reconnaître les tendances à l’œuvre, nous devons réellement voir les personnes qui se présentent devant nous, ainsi que les communautés auxquelles elles appartiennent. L’universitaire Delese Wear parle du regard dialectique, par lequel nous, clinicien·ne·s, apprenons à « fixer un œil sur [nos] patient·e·s, et l’autre sur les cercles concentriques de leurs milieux sociaux ». Pour voir et comprendre véritablement nos patient·e·s, nous devons créer des espaces qui permettent ce type de reconnaissance mutuelle. Dans le contexte des infections transmissibles sexuellement, cela signifie créer des espaces où les gens se sentent à l’aise de parler de leur orientation et de leurs pratiques sexuelles. Certaines personnes ne se sentent pas prêtes à sortir du placard devant leurs prestataires de soins : cela peut être lié à la stigmatisation, au contexte culturel, à la peur de subir une discrimination ou de recevoir des soins de qualité inférieure, voire à la crainte que les soins soient purement et simplement refusés. Il est possible que les patient·e·s ne saisissent pas la pertinence de leur vie sexuelle au regard du problème pour lequel ils/elles consultent. Sur le plan clinique, ils/elles peuvent « omettre de divulguer » certains renseignements; en fait, il serait plus exact de dire que c’est nous qui « n’avons pas su les recueillir ». En outre, les professionnel·le·s de la santé peuvent se concentrer à tort sur des marqueurs d’identité tels que l’« orientation sexuelle » plutôt que sur les pratiques et comportements sexuels, et négliger des aspects cliniquement importants de la vie sexuelle de leurs patient·e·s.
Comment les professionnel·le·s de la santé peuvent-ils/elles créer le type d’espace qui permet aux client·e·s de révéler leur personnalité entière et authentique? L’affichage est utile, mais insuffisant à lui seul. Tout le personnel, y compris le personnel administratif de première ligne, doit être formé et encouragé à fournir des espaces culturellement adaptés et accueillants pour tous les genres et toutes les orientations sexuelles. On peut modifier les formulaires de manière à éviter les tournures hétéronormatives. Les professionnel·le·s de la santé doivent s’efforcer d’éviter les suppositions, poser des questions judicieuses et ouvertes, et expliquer clairement pourquoi ils/elles les posent. En expliquant en quoi certaines questions peuvent contribuer à améliorer les soins, et en reconnaissant et en combattant la stigmatisation, les clinicien·ne·s peuvent instaurer la confiance par la transparence.
Considérer nos client·e·s dans leur entièreté signifie aussi reconnaître qu’ils/elles ont des besoins de santé qui vont au-delà du problème pour lequel ils/elles consultent. Dans ma propre pratique, le fait de voir de jeunes patient·e·s atteint·e·s de la variole simienne a été l’occasion de les responsabiliser et de les rendre acteur·rice·s de leur santé et de leur bien-être. C’est également l’occasion de faire le point sur les vaccinations (liées à la santé sexuelle et autres), de proposer un test de dépistage du VIH et une prophylaxie pré-exposition si nécessaire, de rassurer et de soutenir les patient·e·s et de les orienter vers les ressources communautaires utiles. Les gens ont le droit de connaître le plaisir et la santé sexuels, et doivent pouvoir l’entendre de la bouche de leurs professionnel·le·s de la santé. Une seule expérience positive en matière de soins de santé dans le présent peut favoriser une participation plus ouverte et plus confiante aux soins futurs.
En tant que professionnel·le·s de la santé, nous pouvons exiger que nos cliniques, établissements et agences de santé publique ciblent leurs efforts de prévention et de vaccination en appliquant les principes de la participation constructive. Cela suppose de collaborer avec les organismes communautaires qui sont en première ligne. Ces organismes savent ce que les communautés veulent et ce dont elles ont besoin pour favoriser leur santé et leur bien-être. Les cas de variole simienne sont en baisse au Canada, et les professionnel·le·s de la santé aussi bien que les patient·e·s s’en réjouissent. Veillons à prendre à cœur les leçons tirées afin d’être prêt·e·s pour la prochaine épidémie potentielle. Si vous êtes prêt·e·s, vous n’aurez pas à vous y préparer.
*L’auteure de ce billet de blogue l’a écrit en anglais, par conséquent la plupart des articles de référence ont été rédigés en anglais et ne sont pas disponibles en français.
Malika Sharma est médecin spécialiste du VIH et des maladies infectieuses, et enseignante clinicienne à l’hôpital St. Michael. En milieu clinique, elle se concentre sur les soins des personnes et des communautés souvent marginalisées et opprimées par nos systèmes de santé, notamment les personnes qui utilisent des substances et celles qui vivent avec le VIH. Ses intérêts en matière d’enseignement et de recherche sont centrés sur les pratiques antiracistes et féministes dans l’enseignement médical, la réduction des méfaits et les déterminants structurels de la santé.