Accès à l’avortement au Canada : pourrait-on vivre la même situation qu’aux États-Unis?
Avec le renversement de Roe v. Wade, beaucoup se questionnent sur l’état actuel de l’accès à l’avortement au Canada. Pourrait-on vivre la même chose qu’aux États-Unis?
La réponse est à la fois oui et non. Nos systèmes sont différents, et l’avortement fait partie des soins de santé au pays. Il existe toutefois bien des problèmes d’accessibilité, et un groupe opposé au droit à l’avortement disposant de beaucoup de moyens fait actuellement pression.
Au pays, l’avortement est considéré comme faisant partie des soins de santé et est réglementé par la Loi canadienne sur la santé, ce qui signifie qu’aucune loi en particulier ne régit cet acte (ce lien propose une brève histoire de l’avortement au Canada; ici, on explique Pourquoi nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi). Le problème réside dans le fait qu’au Canada comme ailleurs, ce n’est pas parce qu’une personne mérite et a droit à un traitement qu’elle peut nécessairement l’obtenir.
Même si l’avortement est un soin de santé au Canada et qu’il y a été décriminalisé il y a plus de 30 ans, beaucoup ont encore de la difficulté à l’obtenir. En tant que téléphoniste pour la Ligne d’accès gratuite d’information sur la santé sexuelle et de référence d’Action Canada, j’entends parler tous les jours de ces problèmes d’accès. C’est une procédure courante, sécuritaire et légale, mais des obstacles subsistent toujours.
Désinformation et mouvement anti-choix
Vous avez peut-être entendu parler des centres de grossesse. Un peu partout au pays, dans les grandes villes comme dans les plus petites, des centres s’affichent comme des « cliniques » offrant du soutien, mais on y tente plutôt de dissuader les gens de se faire avorter au moyen de fausses informations. Ces centres sont un bon exemple de militantisme anti-choix. Partout au pays, les voix anti-choix se font entendre, et des groupes bien financés tentent petit à petit d’éroder le droit à l’avortement au pays. Il a fallu 20 ans pour renverser Roe v. Wade, et des tactiques semblables de lobbying sont à l’œuvre ici aussi.
Nulle part où aller
Au Canada, seul un hôpital sur six offre l’avortement. Les services existants sont surtout situés dans les grandes villes et le long de la frontière avec les États-Unis, dans le sud du pays. Les populations rurales et nordiques sont donc laissées pour compte, sans accès à l’avortement. De plus, les services ne sont pas tous égaux dans le pays – dans certains endroits, la procédure n’est pratiquée que jusqu’à 12 semaines de grossesse, ce qui oblige certaines personnes dont la grossesse est plus avancée de se rendre dans une autre province. Mais même dans les grands centres urbains, les longs temps d’attente, le manque de personnel et la rémunération à l’acte empêchent d’obtenir des services rapides. Plus la grossesse progresse, plus le risque de devoir recourir à des soins plus intensifs augmente – des soins qui ne sont pas nécessairement accessibles à tout le monde.
Manque de prestataires
Les services d’avortement chirurgical se font généralement peu visibles, vu l’ampleur des violences et des menaces dirigées contre les organisations qui proposent l’avortement, le personnel de la santé et les personnes enceintes. Même lorsqu’ils sont disponibles, ces services peuvent donc être difficiles à trouver. Certains médecins et professionnel·le·s de la santé refusent encore d’offrir l’avortement à leurs patient·e·s en se faisant « objecteurs de conscience ». D’autres, de manière délibérée, ne feront pas de recommandation vers des services d’avortement, laissant les personnes à elles-mêmes pour trouver du soutien.
Les personnes qui souhaitent se faire avorter avant neuf semaines de grossesse devraient pouvoir demander à n’importe quel prestataire de soins primaires une ordonnance pour un avortement médical (la pilule abortive) ou une recommandation rapide et sans jugement pour un avortement chirurgical. Malheureusement, bon nombre de prestataires ne savent pas que la pilule abortive (également connue sous la marque Mifegymiso) fait partie de leur champ d’exercice, que son utilisation est approuvée au Canada et qu’elle est considérée comme la référence en matière d’avortement médical. Nous encourageons les prestataires de soins primaires à intégrer l’avortement médical à leur champ d’exercice, et ils peuvent même suivre des cours supplémentaires pour approfondir leurs connaissances.
Vous avez besoin d’un avortement, mais vous ne savez pas où aller? Appelez la ligne d’accès d’Action Canada pour obtenir de l’information exempte de jugement et des recommandations vers des services pertinents.
Stigmatisation
L’avortement est un acte médical simple – et donc confidentiel – qui ne devrait toutefois pas être entouré de secret. Les personnes dont la famille, le ou la partenaire de vie ou la communauté est anti-choix (ou pas ouvertement pro-choix) ont parfois l’impression qu’elles ne peuvent pas parler de leur expérience, au risque de ne pas avoir de soutien ou même de se faire empêcher d’obtenir des soins. Une éducation complète à la sexualité est une façon d’aider les personnes, les familles et les communautés à combattre la stigmatisation et de tendre vers un accès intégral, équitable et inclusif aux soins de santé et à une meilleure santé de la population.
Des obstacles systémiques causant de sérieux préjudices
Bien évidemment, une multitude de facteurs influencent la capacité d’une société à garder sa population en bonne santé. L’accès à l’avortement est entravé par la discrimination systémique, le racisme, la transphobie, la pauvreté et d’autres formes d’oppression qui affectent le bien-être individuel et sociétal. Pour les personnes qui rencontrent déjà énormément de difficultés d’accès à la gamme complète des services de santé sexuelle et reproductive, soit les personnes noires ou racisées, pauvres, handicapées, jeunes et faisant partie des communautés 2SLGBTQIA+, l’avortement légal ne se traduit pas par un véritable accès.
Nous en sommes les témoins directs à travers notre Fonds d’urgence Norma Scarborough, qui offre depuis plus de dix ans un soutien financier aux personnes qui autrement auraient difficilement accès à l’avortement : celles qui n’ont pas la citoyenneté ou d’assurance maladie, qui n’ont pas les moyens de quitter leur ville pour obtenir des services ou qui n’ont pas de congé de maladie payé pour se rendre à des rendez-vous, ou encore celles qui ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles cherchent à accéder aux services de santé ou qui ont besoin de services à bas seuil d’accessibilité. Si l’on ne démantèle pas les systèmes intersectionnels d’oppression économique, raciale et patriarcale et que l’on ne s’y attaque pas au sein de nos systèmes de santé, l’avortement restera hors de portée pour beaucoup, qu’il soit légal ou non.
Les soins de santé menacés
Le sous-financement et les coupures dans le financement des soins de santé par les gouvernements du pays ont un impact sur l’accès à l’avortement. Plus nos systèmes luttent pour leur survie, moins il y aura de services disponibles pour les personnes qui en ont besoin. Les tendances politiques à la privatisation de la santé et aux coupures dans l’éducation et les services communautaires repoussent dangereusement les personnes marginalisées davantage vers la marge et entravent les droits sexuels et reproductifs.
Que faut-il en retenir? L’avortement fait partie des soins de santé, mais tout n’est pas gagné
Même si l’avortement est sécuritaire et légal au Canada, il demeure difficile d’accès ou carrément inaccessible pour trop de personnes. Vous vous rappelez la Loi canadienne sur la santé? L’état actuel des services d’avortement inscrit les provinces et les territoires en violation directe de la Loi, car ils ne sont ni universels ni sans entrave, empêchant de nombreuses personnes d’obtenir des soins indispensables.
Action Canada s’assure que l’accès à l’avortement au Canada est non seulement protégé, mais également renforcé (en savoir plus sur ce que nous faisons et comment vous pouvez vous impliquer). Les prestataires de soins de santé peuvent ajouter l’avortement à leur champ d’exercice, encourager leurs collègues à faire de même et s’efforcer de faciliter l’accès au service. De son côté, la population peut appuyer les initiatives communautaires et participer aux efforts de sa collectivité pour contrer les injustices raciales et économiques.
Ensemble, nous pouvons faire en sorte que l’accès à l’avortement soit pleinement protégé et renforcé, afin de garantir le bien-être de nos communautés.
Autres ressources :
Avortement : un pas en avant, deux pas en arrière ? – magazine Chatelaine
How to access abortion care in every province and territory – magazine Chatelaine (en anglais)
Statut pour tout le monde et accès à l’avortement pour tou·te·s – une pétition d’Action Canada
Domaines négligés en santé et droits sexuels et génésiques – trousse d’outils – une ressource d’Action Canada
Aborsh – un podcast de Rachel Cairns (en anglais)
Coral Maloney est navigatrice de la Ligne d’accès chez Action Canada pour la santé et les droits sexuels. Action Canada s’engage à défendre la santé et les droits sexuels et reproductifs au Canada et dans le monde et gère une ligne téléphonique d’information sur la santé sexuelle et les options pour la grossesse (1 888 642-2725). Pour en savoir plus sur Action Canada, inscrivez-vous à leur infolettre.