Chemsex, PnP, crystal meth : À quoi ressemble réellement la réduction des méfaits?
Depuis plusieurs années déjà, notre équipe à la clinique médicale L’Actuel constate une augmentation de la consommation de crystal meth chez ses patient·e·s. Au début de la pandémie, devant leur détresse et leur consommation accrues, nous nous sommes tournés vers des sources de financement privées afin de mettre sur pied un programme de soutien pour nos patient·e·s qui consomment du crystal meth et pratiquent le chemsex/PnP (de « party and play »). Nous avons également réussi à convaincre le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec de réaliser un projet pilote à la clinique pour cette population.
Le programme qu’on a mis sur pied est soutenu par trois piliers : l’implication des pairs, le renforcement des capacités des équipes soignantes et la construction d’un réseau de partenaires aptes à travailler ensemble pour soutenir les personnes qui font du PnP. Ces piliers engagent les parties prenantes à adopter le plus possible le principe du « no wrong door », une approche qui exige que nos patient·es reçoivent l’attention et la considération appropriées, peu importe le bureau dans lequel ils et elles se trouvent. Cette approche nécessite également que les obstacles administratifs, idéologiques et ceux liés au fonctionnement entre nos institutions soient abolis car ils freinent davantage l’accès au soutien pour des personnes qui se heurtent déjà à la stigmatisation et au rejet. Le programme vise autant le soutien individuel que le développement organisationnel, dans le but de créer un continuum de soins réellement adapté pour accueillir les personnes peu importe leur parcours, ou leur stade de rétablissement, le cas échéant.
Un des premiers constats n’aurait pas dû être une surprise : avant de veiller à la restructuration des réseaux et de proposer des approches curatives, il fallait avant tout examiner nos propres pratiques et identifier nos propres lacunes.
Quelles leçons peut-on déjà tirer?
Notre premier apprentissage a été de constater que le chemsex est un enjeu bien plus complexe que ne l’aurait escompté notre milieu clinique. À l’image d’une boîte de Pandore, l’ouverture de la problématique a mis en lumière une panoplie de facteurs secondaires plus ou moins évidents qu’il a fallu identifier, admettre et tenter de résoudre. Ces facteurs touchent largement les enjeux de l’adhésion du milieu médical, de la stigmatisation à l’intérieur même des ressources de soutien et de l’urgence sous-jacente à la prise en charge de cette problématique.
Toutes nos réponses à ces enjeux sont d’abord et avant tout l’expression de la réduction des méfaits : les premiers méfaits qu’on peut tenter de contrer sont ceux perpétués par nos institutions.
Les difficultés du milieu médical à intégrer une approche psychosociale sont devenues rapidement apparentes. Plusieurs limites des structures de soins médicaux standards compliquent l’accueil des chemsexers : un personnel qui n’est pas constant et dont l’approche peut différer d’un·e membre à un·e autre, des plages horaires restreintes et prédéterminées par patient·e freinent notamment le développement d’une relation entre la personne et l’équipe médicale. En effet, plusieurs personnes qui font du PnP auront besoin de plusieurs rencontres avant d’être à l’aise d’aborder le sujet; d’autres ne le seront jamais si elles ne sont pas certaines que l’équipe qui leur a été affectée les comprendra. La durée limitée des rendez-vous médicaux est aussi peu idéale du fait que dans beaucoup de cas, la prise en charge d’une personne consommatrice de crystal meth ou qui fait du PnP impliquera plusieurs enjeux concomitants : santé mentale, VIH/VHC, travail du sexe, immigration, traumatismes, transition, etc. À L’Actuel, il nous a donc fallu entamer un processus pour façonner la prise en charge médicale afin qu’elle soit mieux adaptée aux chemsexers, notamment par la disponibilité de services psychosociaux adéquats et par la formation des équipes.
L’importance d’un travail en amont
Le deuxième défi s’est dessiné à travers ladite formation. En effet, un frein évident à l’apprentissage est l’existence de préjugés même au sein d’une communauté d’allié·e·s et de semblables LGBTQIA2+. Les histoires des personnes qui font du PnP peuvent être percutantes, déstabilisantes ou lourdes, surtout si elles ont un élément de santé mentale, voire psychiatrique. Ces personnes peuvent faire partie de celles qui se présentent à répétition à la clinique pour des traitements ou des prophylaxies post-exposition ou de celles qui sont constamment en retard ou absent·e·s à leurs rendez-vous. Elles ne sont pas une clientèle qu’on dirait facile – elles n’attirent pas naturellement la sympathie. Les histoires de vie et les parcours à la clinique peuvent provoquer une résistance des professionnel·le·s de la santé et des jugements de valeur ou encore produire du sensationnalisme anecdotique. Il est clair que les professionnel·le·s proches de cette population sont eux et elles aussi à risque de développer une attitude subjective ou défensive : pensons aux équipes reliées aux populations LGBTQIA2+, ayant un passé (ou un présent) de consommation, ou qui ont perdu des ami·e·s, des collègues et des patient·e·s à cause de la dépendance. Nous soulignons donc l’importance d’un travail en amont pour mettre à niveau autant les connaissances que les attitudes pour toutes les équipes qui composent une organisation.
Résister au sentiment d’urgence
Le dernier défi concerne le sentiment concomitant d’urgence et d’impuissance qui entoure la consommation de crystal meth ou le PnP. Ces sentiments sont autant des réactions normales face à la complexité des cas qui se présentent à nous qu’une expression inhérente de la pression ressentie par les équipes. Ces sentiments sont d’autant plus forts pour un·e soignant·e dans une situation où « soigner » n’est pas immédiatement possible ni même souhaitable. Se laisser submerger par l’urgence peut nuire à la créativité d’une intervention et nous empêcher de comprendre les situations de nos patient·e·s dans toute leur complexité. L’urgence réduit une situation donnée à un impératif temporel – régler le problème dans son ensemble et dans l’immédiat selon des objectifs qui ne sont probablement pas ceux exprimés par nos patient·e·s.
Contrer l’impuissance, c’est accepter humblement un rôle de passeur : les chemsexers sont les seul·e·s expert·e·s de leur situation, et il faut être présent·e·s pour les accompagner. C’est aussi trouver des allié·e·s et ne pas penser que la solution repose uniquement sur nos propres épaules. Le but n’est pas d’avoir raison. Le but est d’optimiser nos efforts en soins pour garder nos patient·es en meilleure santé possible, qu’ils/elles observent leurs traitements le cas échéant et qu’ils/elles se présentent à leurs rendez-vous le plus souvent possible. Il est temps de revoir le paradigme de réduction des méfaits pour le rendre adéquat et entièrement pertinent pour les personnes qui consomment du crystal meth.
Jonathan Bacon (il/lui) est coordonnateur des interventions à la Clinique médicale L’Actuel où il assure le développement de programmes de soutien variés sur les sujets de la santé mentale et de la consommation de substances. Fier de sa propre expérience en travail de rue auprès des travailleurs·ses du sexe dans le Village, à Tiohtià:ke / Montréal, il coordonne également l’équipe psychosociale de la clinique. En parallèle, il est président du CRIPHASE, un organisme qui vient en aide aux hommes ayant vécu des abus sexuels à l’enfance, et il complète présentement un D.E.S.S. en Droit et politiques de la santé de l’Université de Sherbrooke.
Diplômé de HEC Montréal et de l’Université d’Ottawa, Jean-Sébastien Rousseau a d’abord œuvré comme stratège en communications et en relations publiques. Après avoir lui-même fait l’expérience de la dépendance, il a entamé un grand virage personnel qui l’amène aujourd’hui à travailler de près avec les communautés LGBTQIA2+ dont il est un fier membre. Il prend parole régulièrement au sujet du rétablissement au crystal meth tout en sensibilisant les parties prenantes aux enjeux qui y sont reliés. Au sein de l’équipe de la clinique médicale L’Actuel, il accompagne des patient.e.s dans leurs démarches en lien avec la consommation et/ou la dépendance.
Bravo les gars. Vous faites une différence dans la communauté.