Surveillance des surdoses : quand le communautaire prend la situation en main

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Vous avez entendu parler de la crise des surdoses? Celle qui ravage le Canada depuis de trop nombreuses années déjà? Oui? Vous savez donc sûrement que le Québec ne se distingue pas des autres provinces. En effet, de juillet 2020 à juin 2021, 495 décès sont reliés à une possible intoxication aux opioïdes ou autres drogues. Le fentanyl est souvent pointé du doigt, mais il n’est pas le seul coupable.

Afin de mieux répondre à la crise des surdoses, des regroupements provinciaux et régionaux se sont mis en action afin d’avoir un impact sur cette tragédie. C’est le cas pour l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID) qui coordonne, mobilise et soutient plus de 125 organismes communautaires à but non lucratif œuvrant en dépendance et usage de substances à travers le Québec. L’AQCID coordonne également un comité national en réduction des méfaits qui a pour mandat de réfléchir et d’agir sur les enjeux en réduction des méfaits en lien avec le continuum de l’usage de substances. Il en va de même pour la Table des organismes montréalais de lutte contre le VIH/sida (TOMS) qui fait la promotion des actions et qui défend les intérêts de 31 organismes communautaires montréalais qui œuvrent dans la lutte contre le VIH/sida et autres ITSS et qui coordonne le Comité d’actions montréalais sur les surdoses (CAMS).

Un portrait de la situation

Pour prévenir les surdoses de façon efficace, il est important d’adapter nos messages de prévention afin qu’ils soient toujours d’actualité et adaptés aux réalités des personnes à qui ils s’adressent. Avec la hausse constante des surdoses mortelles et non mortelles auxquelles nous faisons face partout au Québec, les organismes communautaires ont manifesté le besoin d’avoir accès rapidement aux données concernant les surdoses et les substances afin d’avoir un portrait “presque en temps réel” de la situation. Les outils déjà existants ne répondent pas aux besoins spécifiques du communautaire, surtout en période de crise. C’est pour ces raisons que nous avons mis en ligne des questionnaires de collecte de données, par et pour le communautaire.

On a donc mis sur pied deux projets qui comportent plusieurs points en commun. Ils sont tous deux issus de besoins prioritaires et unanimes des organismes communautaires pour mieux prévenir d’autres surdoses. Un besoin de prendre soin de nos communautés. Ils s’adressent à tout le monde. Tout le monde? Même les gens qui ne consomment pas? Oui. Voici pourquoi…

L’importance des données

Dans un premier temps, il nous faut collecter des données. Nous comptons sur les informations provenant des organismes, membres ou pas de nos regroupements, qui travaillent auprès de personnes qui font usage de substances. Toutefois, nous souhaitons aller plus loin en interpellant les personnes qui consomment et leurs proches, qu’elles fréquentent des organismes ou non, afin d’avoir accès à des informations sur différents types de consommation. Cela nous permettra de rapidement transmettre des messages de sensibilisation quant aux potentielles surdoses liées à certaines substances en particulier. Les personnes qui travaillent dans le milieu de la santé et des services sociaux ainsi que dans tous les organismes du Québec sont également invitées à nous transmettre de l’information via ces outils.

L’anonymat de ces outils

Nous sommes conscientes que donner des informations sur sa consommation, ou celle de quelqu’un d’autre, peut présenter des enjeux de confidentialité et susciter des craintes. On espère vous rassurer en vous disant qu’aucune information personnelle, ou permettant d’identifier la personne concernée (ou son dealer), n’est demandée. L’anonymat et la confidentialité de ces outils ont toujours été au cœur de nos préoccupations. Les données ne sont utilisées que pour produire des statistiques générales. Pourquoi remplir ces questionnaires? Les statistiques partagées permettront de lancer de potentielles alertes ou appels à la vigilance, tant aux organismes qu’aux personnes qui consomment. En effet, sur le site web du Projet d’observation des données sur les surdoses (PODS) (au moment d’écrire l’article, le questionnaire est en ligne, mais les autres sections du site web sont à venir), il sera possible de s’inscrire pour recevoir les alertes au moment où elles sont créées. Pratique pour les gens qui ne vont pas dans les organismes communautaires! Ne vous inquiétez pas, les alertes et les données, montréalaises et québécoises, seront aussi partagées sur les réseaux sociaux, dans les organismes, etc. Partager son expérience avec les substances, c’est un peu partager son savoir. C’est aussi s’engager à prendre soin des autres.

L’objectif des deux outils

Ces deux outils ont vu le jour grâce au travail des comités de nos regroupements respectifs constitués d’intervenant.e.s, de personnes qui consomment, de coordinations et de directions d’organismes dans le but d’avoir des dispositifs de surveillance des surdoses et des substances qui correspondent aux besoins des personnes ciblées par ce projet et qui l’utiliseront. Ayant l’objectif que ces outils soient pertinents autant pour les personnes qui travaillent en dépendance et en réduction des méfaits que par les personnes directement concernées, il allait de soi que ce soit développé en concertation.

L’AQCID a travaillé conjointement avec son comité national à mettre en place une vigie communautaire des surdoses. Cette initiative a pour objectif de fournir un portrait provincial des surdoses aux organismes communautaires, aux personnes qui font usage de substances, aux proches de celles-ci ainsi qu’à toute personne désirant obtenir des informations à ce sujet, et ce, dans un temps propice pour faire de la prévention auprès de celles-ci.

Le contexte montréalais

Montréal a décidé de créer son propre projet, car les réalités de la consommation, et des personnes qui consomment sont différentes d’une ville à l’autre. De plus, Montréal est particulièrement touchée par la crise des surdoses. Parce qu’il y a une plus grande population. Parce qu’une panoplie de substances y sont possiblement plus accessibles. Les organismes qui interviennent en réduction des méfaits ont besoin d’un outil qui répond à leurs besoins spécifiques, avec les enjeux qui y sont associés, tout en étant maîtres des données recueillies. Un portrait montréalais des substances consommées et des surdoses prend donc tout son sens.

Les outils en bref

Voyons maintenant concrètement quels sont ces outils ? Il s’agit de questionnaires en ligne qui visent à récolter des informations sur les surdoses survenues, mais aussi sur les substances qui les ont provoquées OU qui pourraient en provoquer. C’est-à-dire qu’il est possible de les remplir lorsqu’il y a eu consommation d’une substance qui n’a pas eu l’effet recherché. Prenons l’exemple d’une personne qui consomme un stimulant, mais qui s’endort et présente des signes de détresse respiratoire sans nécessairement faire de surdose.

Pour les gens de Montréal, le PODS se trouve ici : www.surdosesmontreal.com. Pour le reste du Québec, la vigie de l’AQCID se retrouve ici : www.vigiesurdoses.com. Les informations sur les surdoses (quelle que soit la substance en cause) nous permettent de dresser un portrait de la situation au Québec et à Montréal, alors que les informations sur les substances nous permettent de partager l’information et de faire des appels à la vigilance afin d’éviter de possibles surdoses. C’est pourquoi il nous semble essentiel de colliger des informations provenant de différents milieux et concernant différents types de consommation.

Nous rallions nos forces en tant que regroupements provinciaux et régionaux parce que nous luttons conjointement contre cette crise qui ne cesse de faire des victimes. Nous travaillons avec et pour des organismes qui devraient avoir accès aux données des surdoses afin de faire une différence majeure dans cette crise interminable qui nous touche tous et toutes, de près ou de loin.

 

Bianca Desfossés est agente en réduction des méfaits au sein de l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID). Celle-ci détient une Technique en Travail social du Cégep de Trois-Rivières, un Certificat en Psychologie de l’UQTR ainsi que plus de huit années d’expérience en toxicomanie. Elle œuvre pour la justice sociale, plus précisément dans la reconnaissance des droits des personnes qui font usage de substance(s). 

Émilie Roberge cumule plus de 10 ans d’expérience comme intervenante de première ligne en réduction des méfaits, en tant qu’intervenante de proximité dans des services de consommation supervisée et comme travailleuse de rue auprès de personnes qui consomment des drogues. Elle est désormais chargée de concertation communautaire sur les surdoses pour la TOMS et est étudiante au baccalauréat en travail social à l’UQAM. Elle milite pour les droits des personnes qui consomment des drogues depuis plusieurs années, autant au niveau professionnel que personnel.

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