Gommer les inégalités dans les politiques en matière de sang

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« Donnez, c’est dans votre nature. »

C’est en tout cas ce qu’affirme l’ancien slogan de la Société canadienne du sang (SCS)*. Bien sûr, la SCS a une longue histoire de filtrage des personnes pouvant donner du sang. Actuellement, de nombreux Canadiens veulent en donner, mais ne le peuvent pas, notamment tous les hommes cisgenres séronégatifs qui ont eu des rapports sexuels avec un homme au cours des trois derniers mois. Cette exclusion s’applique à ceux qui ont une relation monogame, à ceux qui utilisent toujours la prophylaxie pré-exposition (PrEP), à ceux qui utilisent toujours un condom pendant leurs rapports sexuels et à ceux qui ont des rapports sexuels oraux, mais pas anaux. De nombreux membres de la communauté et des équipes de recherche communautaires considèrent depuis longtemps cette politique comme étant homophobe et ont fait valoir qu’elle ne tient pas compte des formes modernes de dépistage, de traitement et de prévention du VIH. Néanmoins des changements à la politique sont attendus dans les mois à venir. Quelles sont donc les prochaines étapes?

Nous utiliserons ici le terme HARSAH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) même si nous sommes d’avis qu’il limite la compréhension de l’identité des hommes gais, bisexuels, pansexuels et queer. Mais c’est le langage qu’utilise la SCS. Selon nous, cela dénote son manque de compréhension des besoins de la communauté. Nous reconnaissons que les HARSAH ne sont qu’une des nombreuses populations qui ont été victimes de discrimination de la part de SCS. Il y a un long passé de racisme anti-Noirs dans les politiques de sélection des donneurs. De plus, les personnes transgenres sont actuellement examinées pour leur admissibilité sur la base du sexe qui leur a été assigné à la naissance (et non de leur genre) si elles n’ont pas reçu d’intervention de génitoplastie. Cela signifie que les HARSAH noirs et/ou transgenres ont vécu des formes supplémentaires de discrimination dans le cadre des politiques passées et présentes concernant les dons de sang.

Un passé de discriminations

Si vous ne connaissez pas bien l’histoire de l’interdiction aux gais de donner du sang, en voici une chronologie condensée. Dans les années 1980, tout homme ayant eu des relations sexuelles avec des hommes (après 1977) était exclu du don de sang. La Croix-Rouge canadienne, qui gérait à l’époque l’approvisionnement en sang au Canada, avait établi cette politique en réponse à la crainte que le VIH ne pénètre dans les réserves de sang, avant l’existence de tests de dépistage adéquats. De nombreuses personnes ont ainsi contracté le VIH par le biais du système d’approvisionnement en sang, notamment parmi celles aux prises avec des troubles sanguins comme l’hémophilie. Un grand nombre d’activistes ont cherché à faire modifier cette politique, mais un changement majeur s’est produit lorsque la Cour supérieure de l’Ontario a répondu à une contestation de 2002 en vertu de la Charte des droits et libertés en tranchant en 2010 que la politique n’était pas discriminatoire, mais que la SCS n’avait pas démontré la nécessité d’une interdiction à vie. Bien que la SCS administre les politiques, Santé Canada joue un rôle important dans l’établissement de celles-ci. Malgré le travail de nombreuses personnes, le changement a été lent.

Un progrès graduel

Entre 2013 et 2020, sous la pression persistante des communautés frappées d’exclusion du don de leur sang, la période d’exclusion des HARSAH est passée à une période d’attente qui a été progressivement réduite. La durée de l’interdiction, initialement à vie, est successivement passée à cinq ans, à un an, puis aux trois mois actuels. Qu’est-ce qu’une « période d’exclusion »? C’est l’abstinence pendant un temps prescrit. En vertu de la politique actuelle, les HARSAH qui veulent donner de leur sang doivent s’abstenir de tout rapport sexuel avec des hommes (mais seulement des hommes; ils peuvent avoir des rapports sexuels avec des femmes) pendant trois mois complets.

Nous reconnaissons que cette interdiction a pu être sensée à une certaine époque, mais les politiques de Santé Canada n’ont pas suivi l’évolution de la science concernant la détection et la transmission du VIH. Par exemple, le test d’amplification des acides nucléiques (TAN) permet de détecter le VIH dès environ neuf jours après la transmission; et la SCS soumet déjà chaque don de sang à ce test. Ces politiques nuisent à la collecte d’une quantité suffisante de sang pour les personnes qui en ont besoin.

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) est l’un des nombreux partenaires qui ont œuvré à la constitution d’une base de connaissances pour arriver à mettre fin à l’interdiction. Nous avons reçu du financement de recherche du gouvernement fédéral via le Programme de recherche sur les HARSAH de la SCS pour soutenir nos enquêtes Sexe au présent de 2018 et 2019.

Ce que nous avons constaté

Les HARSAH veulent donner du sang. Dans l’enquête Sexe au présent de 2018, auprès de 3 500 hommes gais, bisexuels, queer, trans et bispirituels, plus de 90 % des participants ont déclaré qu’ils donneraient du sang s’ils le pouvaient. En 2019, quelque 87 % de nos 6 700 répondants ont abondé dans le même sens. Dans notre travail, nous parlons à des hommes qui expriment leur frustration face à leur inadmissibilité et à la discrimination flagrante qu’ils rencontrent dans leur désir de contribuer à sauver des vies.

À titre d’exemple, Kirk a participé à la collecte d’échantillons de sang séché dans le cadre de l’enquête Sexe au présent, lors de la Fierté d’Halifax en 2018. C’était une journée froide, humide et pluvieuse, et pourtant les gens ont fait la queue pour participer à une étude de recherche – simplement pour jouer un petit rôle afin d’aider à renverser l’interdiction. Un participant est venu aux festivités de la Fierté après le travail juste pour participer à l’étude. Avant qu’il découvre son orientation sexuelle et devienne sexuellement actif, lui et son père avaient donné du sang ensemble. Il espérait pouvoir partager à nouveau cette expérience avec son père un jour.

Combler le fossé

Quelle est la prochaine étape? La SCS prévoit de demander à Santé Canada de supprimer la période d’inadmissibilité qui oblige les HARSAH à l’abstinence sexuelle pendant trois mois avant de faire un don de sang, pour la remplacer par des critères basés sur le comportement sexuel pour tous les donneurs. Il s’agit d’une politique appuyée par la plupart des HARSAH : 73 % des participants à notre enquête Sexe au présent de 2019 sont en faveur de cette démarche. C’est un bon premier pas, mais il reste encore un long chemin à parcourir.

Après des décennies de discrimination à l’égard des HARSAH (sans parler des erreurs d’aiguillage des personnes transgenres et des antécédents de racisme anti-Noirs), la SCS ne devrait pas s’attendre à être accueillie à bras ouverts aux festivals de la Fierté en 2022. Elle devra investir au cours des prochaines années dans le dialogue, l’éducation et la sensibilisation, non seulement auprès des HARSAH et des communautés LGBTQIA2S+, mais aussi avec le grand public canadien. Elle doit reconnaître les dommages qu’elle a causés aux communautés LGBTQIA2S + et noires. La SCS doit prévoir plusieurs campagnes pluriannuelles pour rétablir des liens afin d’encourager les nouveaux donneurs et développer ainsi des relations. Ce travail doit être éclairé par des voix et des organismes communautaires de confiance issus des communautés touchées et il doit s’effectuer en collaboration avec ces communautés.

De nombreux organismes communautaires sont prêts, capables et désireux d’aider la SCS à faire le travail nécessaire pour gagner la confiance des communautés. Pour prouver, une fois pour toutes, que c’est vraiment dans la nature de nous tous de donner du sang.

*Note : Les deux auteurs vivent dans des provinces où le système d’approvisionnement en sang est géré par la Société canadienne du sang. Héma-Québec envisage probablement des changements semblables à l’admissibilité au don de sang.

 

Kirk Furlotte (il) est le gestionnaire régional de l’Atlantique pour le Centre de recherche communautaire. Il est diplômé de premier cycle et d’études supérieures en promotion de la santé de l’Université Dalhousie. Kirk travaille en recherche et en éducation sur la santé des personnes trans et queer depuis 2010. Il est un colon blanc, cis et gai qui a le privilège de vivre, de travailler et de s’amuser à Kjipuktuk/Halifax dans le Mi’kma’ki, le territoire ancestral et non cédé des Mi’kmaq. 

Ben Klassen (il) est un homme blanc, cis et queer qui vit et travaille sur les territoires non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh à Vancouver, en Colombie-Britannique. Il est actuellement directeur de la recherche au Centre de recherche communautaire et travaille comme chercheur à divers projets communautaires LGBTQ2S+ depuis 2015. Ben est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’Université Simon Fraser.

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