Comment la PrEP et la charge virale indétectable redéfinissent-elles les relations sociales des hommes gais et bisexuels?

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Indétectable = Intransmissible, PrEP, Traitement comme prévention… Si ces approches font aujourd’hui consensus parmi les experts communautaires et scientifiques du VIH, leur appropriation par un plus large public reste encore incertaine. Dans la communauté gaie, ce nouveau contexte de la prévention suscite encore des résistances ou des questionnements : il suffit d’engager la conversation sur le sujet, en ligne ou dans un bar, pour s’en apercevoir!

De 2013 à 2015, l’étude Résonance s’est efforcée de mieux saisir la circulation et l’appropriation des avancées scientifiques et médicales dans le domaine. L’étude s’est déroulée à Montréal, Vancouver et Toronto. Dans un article publié récemment, plusieurs co-chercheurs de l’étude se sont intéressés plus en détail à la manière dont l’indétectabilité et la PrEP redéfinissent le rapport à soi et aux autres au sein de la communauté gaie. Nous vous présentons ici trois faits saillants tirés de cette analyse.

1. La prévention du VIH met en jeu le rapport à soi et aux autres!

Dans l’étude, plusieurs participants vivant avec le VIH ont partagé leur préférence pour l’auto-définition comme « indétectable » ou « séropositif indétectable ». L’un d’entre eux a même déclaré au cours d’un groupe de discussion : « indétectable, c’est le nouveau (séro)négatif » (Undetectable is the new negative). Cette affirmation a évidemment fait débat. Nous avons pu constater à quel point le potentiel préventif de l’indétectabilité reste diversement interprétable, selon l’expérience générationnelle, le statut sérologique ou la familiarité avec ces notions. Autrement dit, les choix préventifs des hommes gais et bisexuels ne peuvent pas être isolés de leurs vécus.

2. La prévention du VIH n’est pas exempte de jugement moral!

Pour beaucoup des participants, l’émergence d’approches biomédicales de prévention a été l’occasion de réévaluer, ou d’actualiser, leur perception du risque et des comportements sûrs. Certains participants n’avaient cependant jamais entendu parler de PrEP ou d’indétectabilité avant de participer à l’étude. Dans tous les cas, la réflexion sur le sujet conduit bien souvent chacun à déterminer de ce qui relève de « bons » ou de « mauvais » comportements de prévention. La PrEP est un sujet particulièrement fertile pour l’expression de ces appréciations morales, positives ou négatives! Considérée par certains comme un prétexte pour avoir des relations sexuelles sans condom, elle est au contraire valorisée par d’autres comme une marque de responsabilité préventive.

3. La prévention du VIH est une affaire de confiance… mais aussi parfois de suspicion!

La question des sources d’information considérées comme légitimes ou crédibles est importante lorsqu’on parle des données scientifiques ou médicales. Là aussi, les points de vue varient parmi les participants de l’étude. Concernant la PrEP, plusieurs ont exprimé leur suspicion vis-à-vis des intérêts « cachés » de l’industrie pharmaceutique, ou des inquiétudes sur de potentiels effets indésirables à long terme. Pour l’indétectabilité, l’absence de consensus qui a longtemps prévalu parmi les experts a eu des répercussions sur la crédibilité accordée à cette information. La question de la confiance vaut aussi pour les relations interpersonnelles. Pour certains participants, il reste difficile d’accorder du crédit à un partenaire sexuel occasionnel qui dit être sous PrEP ou avoir une charge virale indétectable.

Pour rendre compte de ces différentes dimensions de la prévention du VIH, l’article mobilise la notion de « biosocialité ». Ce terme est utilisé en sociologie pour décrire les relations sociales qui s’organisent autour – en faveur ou en opposition – des technologies de santé. Dans notre étude, la PrEP et l’indétectabilité constituent effectivement des points de repère significatifs, à partir desquels les hommes gais ou bisexuels envisagent leur rapport au risque, à la sexualité et au plaisir. Ce sont aussi des stratégies qui peuvent cristalliser des désaccords et des débats, en particulier autour de l’idée de responsabilité préventive. L’objet de cet article est de mieux comprendre d’où viennent ces différences de point de vue et comment elles s’expriment hors des cercles d’experts. Une telle démarche éclaire la manière dont la prévention du VIH résonne chez les hommes gais et bisexuels, et peut permettre d’adapter au mieux les interventions et la communication, à l’heure de l’indétectabilité et de la PrEP.

Finalement, même si elles datent de quelques années déjà, les données de l’étude Résonance restent d’une grande utilité pour saisir les évolutions de la prévention du VIH dans la communauté gaie!

 

Gabriel Girard est sociologue et travaille à la Direction de santé publique de Montréal. Il est également professeur adjoint de clinique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et s’implique dans plusieurs projets de recherche sur les VIH/sida.

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