Unlocking the Gates: des services correctionnels à la communauté

Les personnes ayant une expérience de la prison sont démesurément touchées par l’hépatite C. La criminalisation de l’usage de drogues conduit davantage de personnes utilisatrices de drogues en prison, un milieu où le manque d’accès à des aiguilles, des seringues et du matériel de tatouage stériles augmente le risque de transmission de l’hépatite C. De plus, les obstacles aux soins en prison – et les nombreuses difficultés rencontrées après la sortie – font souvent en sorte que des personnes échappent au diagnostic et au traitement.
Unlocking the Gates, un organisme de la Colombie-Britannique dirigé par des pairs, appuie de différentes manières les personnes qui sortent des services correctionnels. Il les aide à se préparer à la sortie de prison et à la transition et à régler les questions de probation, de mise en liberté sous caution et de mandat d’arrêt lié au manquement d’une ordonnance de probation. Pour mieux comprendre le soutien à apporter à la sortie de prison, CATIE s’est entretenu avec Mo Korchinski, directrice générale de Unlocking the Gates.
Comment Unlocking the Gates a-t-il vu le jour?
Lorsque j’étais incarcérée au Alouette Correctional Centre for Women (ACCW), la prison provinciale pour femmes de Colombie-Britannique, l’ACCW avait mis en place un programme de recherche participative avec l’Université de Colombie-Britannique. J’y ai découvert le pouvoir de la recherche et combien elle peut être utile dans la lutte en faveur de changements politiques. Après ma sortie, on m’a embauchée pour m’asseoir à l’arrêt d’autobus de Maple Ridge et interviewer les femmes qui sortaient de prison. Elles étaient déposées en taxi à cet arrêt sans savoir quel autobus prendre ni comment rentrer chez elles. La plupart n’avaient pour tout bagage que les vêtements qu’elles portaient.
Unlocking the Gates (UTG) a démarré en tant que projet pilote pour s’attaquer aux obstacles que les femmes rencontrent après leur libération. Les autres pairs mentors d’UTG et moi consultions chaque jour le registre des tribunaux pour voir qui était en détention. Nous avons envoyé des milliers de lettres au ACCW pour faire connaître nos services. Parfois, les lettres aboutissaient dans les prisons pour hommes parce que le registre du tribunal n’indique pas le sexe, et c’est ainsi que nous avons ouvert le programme aux hommes.
Notre relation avec les services correctionnels a changé au début de la pandémie de COVID-19, car des personnes ont été libérées en masse dans la communauté pour respecter les directives de santé publique. Soudainement, nos services devenaient indispensables. Nous avons dû commencer à tisser des relations avec les services correctionnels afin que les gens retournent en toute sécurité dans la communauté. Au fil du temps, ils se sont rendu compte que le soutien que nous offrions aux personnes sortant de prison était en fait une bonne chose pour toutes les parties concernées.
Quels sont les obstacles les plus courants rencontrés après la libération?
La plus grande difficulté après la libération est de trouver un endroit sûr où aller. Nous savons qu’il y a une crise du logement, et personne ne louera à quelqu’un qui a été incarcéré. Après leur libération, les personnes n’ont pas d’emploi et ne reçoivent que peu d’argent de l’aide sociale. Nos besoins essentiels, nous les tenons pour acquis. Vous savez, pouvoir se réveiller dans un lit chaud et être capable de prendre une douche ou d’aller aux toilettes. Après leur libération, elles n’ont pas cette option si personne ne les aide. C’est pourquoi nous leur disons toujours de nous contacter le plus tôt possible afin que nous puissions mieux les aider.
Pourquoi faire appel à des pairs pour aider les personnes à réintégrer la communauté?
On ne peut pas enseigner à quelqu’un qui n’est jamais allé en prison ce que c’est que d’être libéré. C’est un sentiment, un état d’esprit de stress. Je suis sortie de prison voilà déjà 19 ans et je me souviens encore du sentiment que j’éprouvais en franchissant les portes – l’angoisse, tu ne possèdes rien. Tu n’as pas d’argent, tu n’as pas d’endroit où aller et tu ressens un grand désespoir. Nous essayons de donner aux gens de l’espoir et de la dignité le jour de leur sortie. Il n’y a aucune stigmatisation, car toutes les personnes membres d’UTG ont déjà été incarcérées. Nous avons toutes et tous utilisé des drogues. Nos services sont centrés sur la clientèle – chaque personne a des besoins et des problèmes différents et nous les prenons là où elles en sont. Et je crois que la principale caractéristique des personnes ayant un savoir expérientiel, c’est qu’en général, nous nous soucions beaucoup de nos pairs. Aucun·e d’entre nous n’a oublié ce que c’était que d’avoir faim, de ne pas pouvoir trouver de nourriture, de ne pas avoir de vêtements, d’endroit où se loger. C’est une vie très difficile. Une équipe composée uniquement de personnes ayant un savoir expérientiel leur donne de l’espoir.
Nous voulons aussi nous assurer que le personnel d’UTG qui est déjà sorti du cercle vicieux de l’incarcération ne s’y fait pas reprendre. Bien sûr, notre savoir expérientiel compte, mais il faut aussi veiller à la sécurité des gens. C’est pourquoi nous exigeons une année de rétablissement et une année sans crime avant d’embaucher qui que ce soit, parce qu’en général, à ce stade, les personnes sont prêtes à reprendre leur vie en main. On se fait dire qu’on ne peut rien faire avec un casier judiciaire, alors c’est un excellent tremplin pour quelqu’un qui n’a jamais eu d’emploi. Mon casier n’a jamais été scellé, ce qui veut dire qu’il est accessible au public, et je suis travailleuse sociale. Votre casier judiciaire ne devrait pas vous arrêter, mais on nous dit que oui. Pour ma part, une personne a cru en moi et cela a changé ma vie. Je ne voulais pas la décevoir. La plupart des personnes qui ont connu la prison n’ont jamais eu quelqu’un pour les soutenir. Nous veillons à ce que chaque personne sache qu’elle est importante.
Comment avez-vous constaté qu’il était nécessaire d’intégrer l’hépatite C à vos programmes?
Quand je me suis libérée de ma dépendance, j’étais très fière de ne pas avoir contracté l’hépatite C. Puis je me suis fait tatouer chez quelqu’un et j’ai contracté le virus. J’ai eu beaucoup de mal à me faire soigner et à naviguer dans le système de santé. Même si ce n’était pas le thème principal de notre étude « Doing Time », nous avons aussi constaté en interrogeant les femmes que beaucoup d’entre elles déclaraient être atteintes de l’hépatite C et exprimaient le besoin de recevoir des soins médicaux après leur libération (en anglais seulement). Les personnes ayant une expérience de la prison détestent les soins de santé. Le fait de pouvoir réaliser des tests de dépistage de l’hépatite C dans des tentes et des camions de location en présence d’un·e infirmier·ère et d’offrir de la nourriture et une carte-cadeau permet de créer un guichet unique à bas seuil d’accessibilité. Mon personnel peut également faire passer un test au point de service lors de la sortie d’une personne de prison et la mettre en contact avec un·e infirmier·ère en cas de présence d’anticorps anti-VHC. Si le test de détection de l’ARN se révèle positif, nous avons déjà fait le travail en coulisses pour que le médicament soit autorisé et prescrit. Nous distribuons des cellulaires pour rester en contact avec les personnes et nous retournons toutes les deux semaines à nos points de service afin qu’elles puissent nous trouver.
En quoi le fait de proposer un traitement contre l’hépatite C ouvre-t-il la voie à d’autres services?
L’hépatite C n’est qu’un début, car les gens ont beaucoup d’autres problèmes de santé. La relation que nous bâtissons nous permet de répondre à d’autres de leurs préoccupations, nous permet de dire « Hé, ce n’était pas une mauvaise expérience… as-tu passé une mammographie? À quand remonte ton dernier test Pap? » L’hépatite C est un formidable tremplin pour permettre aux gens d’avoir une meilleure expérience des soins de santé. La plupart du temps, les personnes à qui je parle ont le sentiment que personne ne se soucie d’elles. Heureusement, mon équipe est formidable. L’infirmière qui vient faire les prises de sang se souvient du nom et du visage de tout le monde. C’est valorisant de recevoir un coup de fil et de me faire dire « Je viens de prendre mon dernier comprimé. J’ai terminé! Et je n’ai jamais rien terminé de ma vie. » Cette expérience est vraiment bénéfique pour l’estime de soi et la motivation. Et ça renforce aussi notre lien. Nous devenons leurs supporters et nous les écoutons. C’est important d’écouter leur histoire. Tout ce que ces personnes veulent, c’est d’être entendues.
Mo Korchinski est la directrice générale d’Unlocking the Gates. Forte de son savoir expérientiel de l’usage de substances et de l’incarcération, Mo a consacré sa vie à aider les autres à se sortir du cercle vicieux de l’incarcération en tenant compte des traumatismes et en favorisant la guérison. Elle est très engagée en faveur de changements politiques et de l’augmentation des ressources pour sa communauté.