Prévention ou résistance : le dilemme de la doxy-PPE

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On dirait que tout le monde prend de la doxy-PPE, ces temps-ci. Chaque jour, dans ma clinique, les gens me posent des questions à ce sujet, confondant souvent ce traitement avec la prophylaxie pré-exposition au VIH. Beaucoup pensent qu’avec la doxy-PPE, ils ou elles pourront dire au revoir à jamais aux infections transmissibles sexuellement (ITS).

La doxy-PPE consiste à prendre un antibiotique appelé doxycycline après les relations sexuelles pour aider à prévenir les ITS bactériennes; elle a été principalement étudiée chez les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH), ainsi que chez les femmes trans. Ce que nous avons pu tirer de ces études, c’est qu’il y a un avantage à prendre la doxy-PPE, en particulier justement dans le cas des gbHARSAH et des femmes trans. Prise correctement, la doxy-PPE entraîne une diminution des taux d’ITS, plus précisément de la chlamydiose (infection à Chlamydia) et de la syphilis, l’effet étant beaucoup moins marqué avec la gonorrhée. Si les risques individuels associés à la prise de doxy-PPE sont faibles et consistent principalement en des troubles gastro-intestinaux ou des éruptions cutanées en cas d’exposition au soleil, les problèmes de santé publique plus importants liés à la résistance aux antimicrobiens (RAM) n’ont pas été résolus. On parle de RAM lorsque des micro-organismes (comme les bactéries) acquièrent la capacité de résister aux effets de médicaments auparavant efficaces. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a désigné la résistance aux antimicrobiens comme étant une menace pour la santé mondiale.

Pourquoi cela est-il important?

Faisons d’abord un peu marche arrière. Beaucoup d’entre nous savent que les antibiotiques sont des médicaments utilisés pour traiter les infections bactériennes. Pour les besoins de la présente discussion, il est également important de savoir que plusieurs antibiotiques sont regroupés en « classes » en fonction de leur structure chimique et de leur mode d’action. Il est possible que les bactéries acquièrent une résistance à un ou plusieurs antibiotiques ou à une ou plusieurs classes entières d’antibiotiques.

La doxycycline est l’un des médicaments les plus efficaces que nous utilisons pour le traitement de certaines ITS bactériennes. Récemment, des études ont montré, sans surprise, chez les personnes prenant de la doxy-PPE une augmentation de la résistance à la doxycycline par la bactérie causant la gonorrhée, ainsi qu’une réduction de l’efficacité d’un autre antibiotique, le céfixime, contre ces organismes. Cet état de fait soulève des inquiétudes quant à la survenue d’une éventuelle augmentation de la résistance à un médicament apparenté, la ceftriaxone. Bien qu’on n’ait pas montré de résistance aux tétracyclines (classe d’antibiotiques à laquelle appartient la doxycycline) dans le cas de la syphilis, nous savons que la bactérie à l’origine de cette infection peut acquérir une résistance. Nous avons en effet constaté l’émergence d’une résistance de la bactérie à l’origine de la syphilis face à une autre classe d’antibiotiques appelée macrolides au cours des dernières années. En outre, des cas de résistance aux tétracyclines ont été signalés chez des personnes atteintes de chlamydiose (infection à Chlamydia), bien que ces cas soient rares.

« Mais attendez, diront certain·e·s. N’utilise-t-on pas la doxycycline pour traiter l’acné depuis des années? Pourquoi on ne sonne pas l’alarme dans ce cas, alors qu’on le fait pour la doxy prescrite aux hommes gais pour prévenir la syphilis? Ce doit être encore un cas de la satanée homophobie qui refait surface; quand va-t-on adopter une approche plus positive de la sexualité? »

Malheureusement, les arguments concernant l’utilisation des tétracyclines contre l’acné ne s’appliquent pas à la situation de la doxy-PPE utilisée pour traiter les ITS. Premièrement, la doxycycline est utilisée contre l’acné autant pour ses effets anti-inflammatoires que pour ses effets antimicrobiens. Deuxièmement, en ce qui concerne le traitement de l’acné, le micro-organisme généralement ciblé par la doxycycline est une bactérie à croissance lente par rapport à de nombreux autres micro-organismes courants. Cette croissance lente peut signifier qu’il y a moins de possibilités d’acquérir des mutations de résistance, par rapport aux ITS. Troisièmement, l’acné n’est pas considérée comme une infection transmissible, et encore moins comme une infection transmissible sexuellement — on n’assiste pas après tout à une épidémie d’acné kystique chez les adolescent·e·s après un bal à l’école. Quoi qu’il en soit, de nombreuses études ont montré que le taux de résistance à la doxycycline dans le traitement de l’acné a augmenté au fil des ans, coïncidant avec l’augmentation de l’usage de la doxycycline.

Qu’est-ce que cela signifie?

Devrions-nous éviter complètement la doxy-PPE? Pas du tout, mais nous devons être conscient·e·s des promesses et des risques de l’utilisation de ce nouvel outil. Tout d’abord, si une personne n’a pas eu d’ITS au cours des 12 derniers mois, elle n’a pas besoin d’utiliser la doxy-PPE; toutes les études portaient sur des personnes ayant des antécédents récents d’ITS bactérienne. Par contre, devez-vous utiliser la doxy-PPE chaque fois que vous avez des relations sexuelles? Si vous avez des relations sexuelles avec un·e seul·e même partenaire, probablement pas. Cependant, il existe des moments propices à l’utilisation de la doxy-PPE, par exemple si vous partez en gay cruise (en bateau de croisière!) ou en mode cruising gai (dans les buissons)! Les rencontres avec de nouveaux·elles partenaires sexuel·le·s et les périodes d’activité sexuelle intense, comme la marche de la Fierté ou les vacances, sont autant de moments propices à l’utilisation de la doxy-PPE. Une approche nuancée de l’utilisation de la doxycycline pour prévenir les ITS peut contribuer à préserver son utilité à l’avenir et à éviter l’apparition d’une résistance antimicrobienne généralisée.

 

Le Dr Kevin Woodward est professeur agrégé de médecine au Département des maladies infectieuses de l’Université McMaster. Il est également directeur général et médical du HQ Health Hub à Toronto. Au cours de sa carrière, il a travaillé au St. Joseph’s Healthcare Hamilton dans le domaine des maladies infectieuses en milieu hospitalier, ainsi qu’en clinique dans les domaines du VIH et de la santé sexuelle. Il participe à des projets provinciaux et pancanadiens de prévention du VIH et liés à la PrEP.

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