Le projet Kotawêw de doulas autochtones pour le VIH et les ITSS : la parenté comme boussole de notre parcours de recherche
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Le projet Kotawêw de doulas autochtones pour le VIH et les ITSS est une réponse communautaire à l’impact disproportionné du VIH et des autres infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) sur les personnes de diverses identités de genre et les femmes autochtones. Bien que notre travail soit actuellement en phase de recherche, notre objectif est de cocréer un programme de formation pour les doulas autochtones afin qu’elles puissent soutenir les membres de leur communauté en favorisant les liens avec les services de prévention et de traitement du VIH et des ITSS grâce à des soins fondés sur la parenté et les pratiques traditionnelles.
Notre équipe principale est composée de chercheur·euse·s bispirituel·le·s et de femmes autochtones ayant une expérience vécue, ainsi que de personnes alliées. Le projet est codirigé par deux Aînés/détenteurs de savoirs, Albert McLeod et Leslie Spillett, ainsi que par la cochercheuse principale Laverne Gervais. Ce travail revêt un caractère personnel pour chacun·e d’entre nous et ai guidé par une compréhension collective du fait que le VIH et les ITSS n’affectent pas seulement les individus, mais aussi les réseaux de parenté entiers. Tante Rose, une membre de la communauté ayant une expérience vécue et qui a partagé son histoire dans le cadre de notre recherche, l’a magnifiquement exprimé : « On entend toujours l’adage selon lequel ça prend une communauté pour élever un enfant. Mais ça prend aussi une communauté pour grandir avec le VIH, pour être informé sur le VIH, pour comprendre le VIH, pour s’éduquer. » Ses paroles reflètent une vérité qui trouve écho dans tous les récits que nous avons recueillis. La parenté, les relations, les liens et la communauté sont des éléments essentiels des soins liés au VIH et aux ITSS.
Le mot kotawêw, dérivé du cri, signifie « faire un feu ». Cet acte de créer de la chaleur et de la lumière symbolise le rôle des doulas qui nourrissent l’espoir et la guérison au sein de la communauté. En offrant des soins relationnels et respectueux des valeurs culturelles, ces doulas éclairent le chemin des femmes autochtones, ainsi que des personnes bispirituelles, trans et de diverses identités de genre qui naviguent dans des parcours de santé complexes.
Leslie Spillett, notre Aînée, parle souvent du feu comme d’une force sacrée qui, comme chacun·e d’entre nous, a une raison d’être. Le feu rassemble les gens et appelle le retour à la maison. Lorsque nous prenons soin du feu, il prend soin de nous. Le mot cri pour le feu, iskotêw, se traduit par « le cœur d’une femme ». Cet enseignement guide notre travail alors que nous prenons soin du feu pour nos proches, gardant leur cœur, leur esprit et leur bien-être au centre de nos soins.
Qu’est-ce qu’une doula autochtone pour le VIH et les ITSS?
Alors que les approches en matière de reproduction et d’accouchement qui englobent les pratiques et les modes de savoirs autochtones connaissent un renouveau significatif, on assiste à une résurgence du rôle traditionnel des personnes aidantes, connues sous le nom de doulas. Enracinées dans la tradition des personnes ayant l’expérience de l’accouchement qui se soutiennent mutuellement pendant la grossesse, le travail, l’accouchement et la période postnatale, les doulas offrent un soutien physique et émotionnel non médical continu, et défendent leurs intérêts. Bien que les études de recherche aient largement exploré les rôles traditionnels des doulas dans le contexte de la naissance, il existe une lacune importante dans la compréhension de leur contribution potentielle aux soins et à la prévention du VIH et des ITSS pour les femmes des Premières Nations, inuites et métisses, ainsi que pour les personnes bispirituelles, trans et de diverses identités de genre.
Notre projet vise à combler cette lacune en explorant le rôle des doulas autochtones dans la prévention et les soins du VIH et des ITSS. Nous sommes déterminé·e·s à mettre en lumière des connaissances qui peuvent améliorer le soutien et les soins fournis par les doulas au sein de ces communautés.
Une doula autochtone pour le VIH et les ITSS accompagne les personnes vivant avec ou touchées par le VIH ou une ITSS en favorisant des relations enracinées dans le lien de parenté, la défense des intérêts et les liens culturels. Ce rôle va au-delà du soutien médical traditionnel : il consiste à offrir des conseils, un accompagnement et un accès à des pratiques culturelles, comme les cercles de partage et les liens avec les personnes détentrices de savoirs.
Nos premières conclusions soulignent qu’un diagnostic de VIH est souvent perçu comme un parcours solitaire. Nombre de nos proches ont fait part de leur isolement et de leur difficulté à trouver des espaces sûrs où elles pourraient discuter de leur diagnostic. Elles ont souligné l’importance d’avoir une doula qui partage leur expérience vécue; une autre personne autochtone qui comprend par son vécu la stigmatisation et les difficultés liées à la vie avec le VIH ou au fait d’avoir une ITSS. Cette compréhension commune peut créer un sentiment de sécurité et de confiance, faisant tomber les barrières causées par la stigmatisation.
La sagesse de la communauté et les thèmes principaux de nos résultats préliminaires
Tout au long de ce parcours, les proches, les personnes détentrices de savoirs et les personnes aidantes ont partagé des connaissances inestimables qui ont jeté les bases de notre travail. Ces connaissances comprennent l’importance de bâtir la confiance et de nourrir les relations à long terme, ainsi que de prioriser les pratiques culturelles, comme la mise en récit (storytelling) et les tentes à sudation pour réaffirmer l’identité et compléter les soins biomédicaux. Le soutien tangible, comme la navigation dans le système, les ressources de réduction des méfaits et l’accès au logement et aux soins de santé, est essentiel pour répondre aux besoins de base. Le soutien émotionnel, y compris la défense des intérêts et la réduction de l’isolement pendant les diagnostics, est vital pour le bien-être. De nombreuses personnes ont également souligné que la lutte contre la stigmatisation et la violence coloniale fondée sur le genre passe par l’éducation, les soins tenant compte des traumatismes et la guérison menée par la communauté.
Les personnes aidantes et les prestataires de services ont fait ressortir l’importance de fournir des soins impartiaux et un soutien respectueux des valeurs culturelles tout en abordant les difficultés systémiques. Les personnes détentrices de savoirs ont mentionné la nécessité de l’humilité culturelle et de l’accompagnement spirituel, tandis que les proches ont parlé de la charge émotionnelle que représente le soutien d’un être cher et de leur propre expérience de la stigmatisation.
Un appel à l’action
Nous appelons les communautés, les personnes qui font de la recherche et les systèmes de soins de santé à voir au-delà des modèles de soins biomédicaux occidentaux. Nous comprenons que les besoins des membres des communautés sont holistiques et qu’ils ne peuvent être satisfaits uniquement par des approches cliniques. Les soins prodigués aux personnes autochtones vivant avec ou touchées par le VIH ou des ITSS doivent être ancrés dans les modes de savoirs autochtones, les soins relationnels et les valeurs de parenté.
Le projet Kotawêw de doulas autochtones pour le VIH et les ITSS est une étape vers la restauration de systèmes de soins fondés sur les liens et la communauté. En nous réappropriant les traditions et en centrant les soins sur la parenté, nous espérons mettre fin à la surreprésentation actuelle des personnes autochtones touchées par le VIH et les ITSS et bâtir un avenir où personne n’aura à parcourir ce chemin seul.
Nous invitons nos proches, les membres de la communauté et nos allié·e·s à se rassembler autour du feu avec nous, en l’entretenant avec soin et détermination afin qu’il puisse continuer à apporter chaleur, lumière et guérison à tous ceux et celles qui en ont besoin.
Candace Neumann est une artiste métisse, une étudiante, une doula, une danseuse du soleil, une praticienne du bain de cèdre, une travailleuse communautaire et une animatrice de Winnipeg, au Manitoba. Elle est actuellement inscrite au programme de maîtrise en travail social sur les savoirs autochtones à l’Université du Manitoba.
Melissa Morris est bispirituelle/autochtone queer et est fière de détenir la citoyenneté de la Fédération Métissse du Manitoba, ses racines ancestrales remontant à la colonie de la Rivière-Rouge, dans le Nord du Manitoba et en Saskatchewan. Melissa est une militante de premier plan, qui utilise son récit fondé sur les forces pour s’attaquer aux inégalités auxquelles sont confrontées les personnes autochtones atteintes d’ITSS. Melissa est coordonnatrice communautaire au Waniska Centre for Indigenous STBBI Research et travaille par l’entremise de son partenaire communautaire Ka Ni Kanichihk, en plus d’être gestionnaire au Village Lab. Dans ses temps libres, Melissa est bénévole au Nine Circles Community Health Centre, où elle siège au conseil d’administration et au comité consultatif des personnes ayant une expérience vécue.
Rusty Souleymanov, Ph. D., est doyen associé et professeur agrégé en travail social à l’Université du Manitoba, et détient une formation interdisciplinaire en travail social, en santé publique et en psychologie. Il est également directeur du Village Lab. Sa recherche porte sur la santé et le bien-être des communautés socialement et économiquement marginalisées, et vise à élaborer des modèles de programmes de lutte contre le VIH, de soins de santé et de services communautaires qui tiennent compte des particularités culturelles. Rusty siège au conseil d’administration du Nine Circles Community Health Centre, de Réalise et de Shared Health Manitoba et fait partie de l’équipe de direction du Manitoba HIV/STBBI Collective Impact Network.