Un remède puissant : sept ans plus tard
En 2018, CATIE et CAAN (Communities, Alliances & Networks) ont sorti Un remède puissant, un film par et pour des personnes autochtones vivant avec le VIH. Le court métrage combine les connaissances autochtones sur la culture et le bien-être avec les connaissances occidentales sur le dépistage et le traitement du VIH. En racontant leurs expériences avec les médecines autochtones et occidentales, huit militant·e·s autochtones nous enseignent que le VIH ne doit pas être craint et nous montrent différentes façons d’avancer sur le chemin de la guérison.
Sept ans après la sortie du film, CATIE s’est entretenu avec deux de ses protagonistes, Danita Wahpoosewyan et Trevor Stratton, pour discuter de ce qui a changé, de ce qui est demeuré inchangé et de ce qui peut être fait pour continuer à diffuser l’important message du film.
En quoi réside la force d’Un remède puissant?
Un remède puissant célèbre la vie, essentiellement. Il aborde les thèmes du dépistage, du diagnostic, du traitement et des soins en montrant ce à quoi peut ressembler une belle vie avec le VIH. Le film crée une ouverture vers des possibilités pour que les Autochtones se connaissent mieux, viennent en aide à autrui et renouvellent leur force spirituelle. Ayant été coupé·e·s de leur culture, nombre d’Autochtones sont à la recherche de leur identité et de leur communauté. Pour Danita, renouer avec sa culture a été le début de son parcours de guérison. « Si chaque personne a l’occasion de retrouver son identité et d’en apprendre davantage sur les dons que le Créateur lui a accordés, elle se sentira d’autant plus forte et aura une bonne opinion d’elle-même. »
Le film met également en évidence le pouvoir de la santé holistique et la signification d’une vie en harmonie avec soi-même et avec les autres. « Nous sommes connecté·e·s à tout ce qui existe dans l’univers. Chaque grain de sable, chaque étoile nous est apparenté », explique Trevor. Dans la médecine occidentale, cette interconnexion est aujourd’hui appelée Une seule santé, une approche que la science autochtone connaît depuis longtemps. Un remède puissant enseigne ce concept en nous montrant que le bien-être est étroitement lié à notre relation à la terre et à tous nos semblables qui marchent, volent, rampent et nagent.
Qu’est-ce qui s’est amélioré depuis la parution d’Un remède puissant?
Dans les sept dernières années, d’énormes progrès ont été réalisés en matière de prévention, de dépistage et de traitement du VIH. Les moyens de prévention sont plus nombreux que jamais, y compris de nouvelles options pour prévenir les autres ITS comme la syphilis, la gonorrhée et la chlamydiose. De nouvelles options de dépistage du VIH et des ITS sont disponibles un peu partout au Canada, rendant le dépistage plus accessible à davantage de personnes. Le traitement du VIH s’est beaucoup simplifié et comporte bien moins d’effets secondaires.
À mesure que la compréhension de l’importance des savoirs autochtones en matière de programmes et de recherche s’améliore, s’ensuit une augmentation dans les investissements et l’allocation de ressources. Davantage de prestataires de soins de santé tiennent compte des traumatismes dans leur pratique. De plus en plus, les organismes aident les gens à renouer avec leur culture grâce à des activités communautaires, comme des cercles de guérison avec les Aîné·e·s et les gardien·ne·s du savoir et des sorties sur le territoire comme la cueillette de plantes médicinales et la chasse.
L’importance des programmes et des réseaux autochtones de soutien par les pairs est de plus en plus reconnue, le sentiment de communauté étant au cœur des liens et du soutien. Peu à peu, on reconnaît de plus en plus que le savoir expérientiel est aussi important que les connaissances théoriques et qu’il doit être tout autant valorisé. Les possibilités offertes aux pairs sont plus vastes aujourd’hui qu’il y a sept ans, mais il y a encore beaucoup à faire pour parvenir à une véritable égalité en matière d’emploi.
Qu’est-ce qui s’est détérioré?
On observe une montée du racisme et de la discrimination à l’encontre des personnes 2SLGBTQI+. La crise des drogues contaminées continue de faire de nombreuses victimes et les voix opposées à la réduction des méfaits se font de plus en plus entendre. La hausse de l’inflation et du coût de la vie s’accompagne d’une augmentation de la pauvreté. Une crise économique a accentué la pénurie de logements, ce qui a mené à l’apparition de campements dans plusieurs régions du Canada.
Et surtout, la pandémie de COVID-19 a exacerbé presque toutes les inégalités. L’accès aux services de dépistage, de traitement et de promotion de la santé a changé radicalement au début de 2020, et certains services ont été carrément supprimés. La réorientation des fonds et des ressources a fait qu’il a été difficile pour beaucoup d’organismes communautaires de rester ouverts et de fournir les services sur lesquels leur clientèle comptait.
Malgré toutes les avancées en matière de prévention, de dépistage et de traitement du VIH, nombre d’entre elles ne profitent toujours pas aux personnes qui en bénéficieraient le plus. Parfois, les options ne sont pas offertes à toutes et à tous de la même manière, et d’autres obstacles, comme le manque d’accès au transport et aux services de garde d’enfants, limitent encore plus les options de prévention, de dépistage et de traitement.
Qu’est-ce qui est demeuré inchangé?
La stigmatisation liée au VIH est encore présente et prolifère même à certains endroits. Elle se manifeste lors de mauvaises expériences de soins, créant des milieux non sécuritaires et une méfiance à l’égard des prestataires de soins de santé. Elle entraîne aussi une méconnaissance des options de prévention, de dépistage et de traitement et elle détourne les gens de ces services vitaux. La stigmatisation peut prendre la forme d’un rejet par la famille et la communauté, si bien que certaines personnes autochtones vivant avec le VIH se sentent seules ou isolées. Cette solitude peut être dévastatrice. Et là où il y a de la stigmatisation, il y a de la peur. La peur peut empêcher une personne d’amorcer un traitement et d’atteindre une charge virale indétectable. En raison de la stigmatisation et d’idées fausses, beaucoup de communautés autochtones n’ont jamais entendu le message de I=I ou alors n’y croient pas.
Que peut-on faire?
Les prestataires de services et les organismes communautaires peuvent créer des lieux respectueux de la culture pour présenter Un remède puissant et ainsi mieux faire connaître les avancées en matière de prévention et de soins du VIH, y compris le message de I=I. Les prestataires de services peuvent également réclamer un accès aux nouvelles options de prévention, de dépistage et de traitement. L’éducation et la sensibilisation peuvent se faire par des campagnes, des ateliers, des formations et des activités de proximité dans la communauté. De plus, il est essentiel de valoriser et de soutenir le travail des pairs autochtones, c’est-à-dire les personnes ayant une grande expertise, afin de rejoindre les populations difficiles à atteindre et de leur montrer qu’elles peuvent bien vivre avec le VIH.
Les prestataires de soins de santé et les cliniques doivent se tenir au courant des avancées en matière de prévention, de dépistage et de traitement du VIH et comprendre ce que signifie la prestation de soins tenant compte des traumatismes et ce à quoi cela ressemble concrètement. Les prestataires doivent proposer différentes options de prévention et de traitement, y compris des options adaptées aux Autochtones, comme parler à un·e Aîné·e ou se rendre dans un pavillon de ressourcement. Là encore, les programmes de pairs et les réseaux de soutien sont essentiels pour faciliter l’accès à ces options.
Les communautés autochtones peuvent diffuser Un remède puissant et se servir du guide d’animation pour susciter des discussions et encourager les gens à se renseigner sur le VIH afin de réduire la stigmatisation et la honte. Les communautés peuvent créer des espaces sûrs favorisant la guérison et le renouement culturel qui invitent les Autochtones vivant avec le VIH à réintégrer le cercle. La projection du film Un remède puissant est une façon d’y parvenir.
« Un jour, je serai une Aînée et je verrai mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants », explique Danita. « Ma santé fait partie intégrante de cette aventure. »
Danita Wahpoosewyan, 58 ans, est fière d’être la mère de deux enfants, la grand-mère de quatre petits-enfants et l’arrière-grand-mère de quatre arrière-petits-enfants. Originaire de la Première Nation Anishinabek, sur le territoire du Traité no 4 (anciennement la Première Nation Sakimay), elle porte les noms spirituels suivants : Lightning Rock Woman (Femme du rocher foudroyant), She Who Calls Far (Celle qui appelle au loin) et White Horse With Wings (Cheval blanc ailé). Elle a reçu un diagnostic de VIH en 2005 et est devenue une leader forte parmi ses pairs, travaillant avec des organismes communautaires, des chercheur·euse·s et des prestataires de soins de santé. Elle a reçu le prix commémoratif Sheldon Bowman en 2019 et en 2023 et le CAAN Legacy Lifetime Award en 2019.
Trevor Stratton est un citoyen de la Première Nation des Mississaugas de Credit. Ayant reçu un diagnostic de VIH en 1990, Stratton est depuis lors un militant et un leader résilient qui continue de s’impliquer au sein des communautés bispirituelles et des communautés de lutte contre le VIH/sida. Il fait partie de Communities, Alliances & Networks (CAAN) depuis plus de 20 ans et a remporté en 2019 le prix Ruban rouge de l’Association canadienne de recherche sur le VIH. Ses efforts à l’échelle locale et mondiale ont grandement contribué à la mobilisation communautaire et à une meilleure compréhension du VIH et du sida dans les communautés autochtones.