Réforme de la loi sur le VIH : Chad Clarke et Colin Johnson discutent de la décriminalisation de la séropositivité

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Fâché! Décu! Trahi! Confus! Inquiet! Voilà comment se sent chaque jour Chad Edward Clarke et pourtant, il demeure attaché à sa cause : changer la manière avec laquelle le système de justice canadien a répondu à la non-divulgation de la séropositivité en la criminalisant. Chad a récemment reçu le premier HIV is Not A Crime Leadership Award (prix du leadership Le VIH n’est pas un crime) de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV) et il livre son témoignage ci-dessous à l’un des membres de son comité directeur, Colin Johnson.

Colin Johnson : Chad, je sais que vous avez déjà raconté votre histoire à plusieurs reprises, mais elle doit être entendue. Commençons par le début : pouvez-vous vous présenter?

Chad Clarke : Je m’appelle Chad Edward Clarke; Edward, en l’honneur de mon grand-père que j’appelle « Papa Jack ». Je suis né il y a 52 ans en Alberta. Un peu « fauteur de troubles », j’ai eu certains démêlés avec la justice. Pour quitter l’Alberta et recommencer à zéro, j’ai déménagé à Toronto et j’ai travaillé ici et là dans le village gai. Je vis avec le VIH et j’ai été condamné pour ne pas l’avoir divulgué; je milite en faveur d’une réforme juridique concernant le VIH et je suis membre du comité directeur de la CCRCV et ancien membre du conseil d’administration de PASAN (Prisoners with HIV/AIDS Support Action Network).

Colin Johnson : Vous ne chômez pas! Lorsque vous étiez en Alberta, et au moment où vous avez déménagé pour la première fois à Toronto, vous aviez certainement des plans pour l’avenir. Quels étaient-ils?

Chad Clarke : Ironiquement, je voulais être dans l’armée ou devenir agent de police. « Servir et protéger » : voilà quelque chose que j’essaie encore de faire aujourd’hui en militant.

Colin Johnson : Chad, pourquoi et comment avez-vous commencé à défendre la décriminalisation de la séropositivité?

Chad Clarke : Le 12 février 2009 a été la pire journée de ma vie! Avant cette journée, tout allait bien et la vie était belle. Mon travail me plaisait. J’étais fiancé à mon amour d’enfance et j’avais prévu de lui demander sa main deux jours plus tard, le jour de la Saint-Valentin (la bague était dans ma poche). Tout cela a changé quand j’ai reçu un appel du Service de police de South Simcoe m’informant que je faisais l’objet d’un mandat d’arrêt national au Canada en raison d’une accusation d’agression sexuelle grave; l’une des accusations les plus graves en droit canadien. « Ma vie est foutue! » C’est la pensée qui m’est venue à l’esprit. C’est une ex-petite amie qui m’accusait, car elle avait reçu un diagnostic de VIH. Elle me reprochait de ne pas lui avoir révélé ma séropositivité pendant notre relation.

J’ai informé la police que je me présenterais au commissariat après avoir dit au revoir à ma famille, étant entendu que je serais libéré après avoir payé ma caution. Assis dans ma voiture le lendemain matin, j’ai pensé à m’enfuir et j’ai même envisagé le suicide, mais j’ai quand même décidé d’aller jusqu’au bout parce que la police m’avait « promis » que je serais libéré sous caution. Au lieu de cela, lorsque je suis arrivé au poste, on m’a passé les menottes et j’ai été traduit en justice. Ma libération sous caution a non seulement été refusée par le juge de paix, mais les chefs d’accusation portés contre moi ont été énumérés en pleine audience publique, ce qui a permis à d’autres prisonniers de les entendre. L’humiliation a continué puisque j’ai été enfermé dans une cellule en isolement sous protection — un endroit habituellement réservé aux violeurs, aux informateurs et aux tueurs en série.

J’étais déprimé. Je me sentais lésé, mais le pire était de ne pas avoir accès à mes médicaments et de subir les menaces des autres prisonniers et des gardiens. PASAN a dû plaider en ma faveur pendant deux semaines et demie pour que je reçoive mon médicament anti-VIH, Atripla, que je prends une fois par jour.

Colin Johnson : Désolé de vous faire revivre ces évènements pénibles et merci de nous les livrer. Comment s’est soldé votre cas?

Chad Clarke : La Couronne a demandé entre 10 et 15 ans d’emprisonnement. J’ai donc été en détention provisoire (chaque jour d’attente passé en prison dans l’attente de mon procès comptait pour deux jours) pendant que mes avocats cherchaient un ou une juge plus clément·e, ou au moins un·e qui serait plus impartial·e. En fin de compte, j’ai accepté une entente, mais je n’avais pas vraiment le choix. J’ai donc plaidé coupable d’agression sexuelle grave et été condamné à quatre ans. Avec le crédit résultant du temps déjà purgé, il me restait deux ans et demi de prison à faire.

Colin Johnson : Quand tout cela s’est terminé, comment vous êtes-vous senti?

Chad Clarke : Oh, ce n’était pas terminé! Je n’avais pas réalisé que mon nom était désormais inscrit à vie au registre des délinquants sexuels. En fait, il figurait dans deux registres : le Registre national des délinquants sexuels géré par la GRC et celui de l’Ontario. J’aimerais que le ministre de la Justice m’explique pourquoi mon nom figure dans ce registre à vie alors que celui d’un violeur en série y est inscrit pendant cinq à dix ans en cas de première infraction.

Colin Johnson : Chad, qu’aimeriez-vous que comprenne le gouvernement du Canada à propos de la criminalisation du VIH?

Chad Clarke : Cette criminalisation ne fait que renforcer la stigmatisation qui entoure déjà le VIH. Cela rend les personnes réticentes à se faire tester ou à suivre un traitement, de peur d’être ostracisées au sein de leur communauté.

C’est encore pire pour certaines communautés, comme les communautés africaines, caraïbéennes, noires et autochtones, qui sont toutes accusées de manière disproportionnée de non-divulgation de la séropositivité. Cela nuit aussi aux nouveaux et nouvelles arrivant·e·s au Canada qui, souvent, ne connaissent pas les lois et risquent l’expulsion à la suite d’une condamnation.

Je veux que le gouvernement du Canada comprenne qu’être inscrit·e au registre des délinquants sexuels rend impossible l’obtention d’un emploi, d’avoir une vie, sans parler des conséquences sur la santé mentale. Je souffre maintenant du trouble de stress post-traumatique (TSPT)!

Colin Johnson : Que souhaitez-vous que le gouvernement du Canada fasse en matière de réforme du droit?

Chad Clarke : Je souhaite que la non-divulgation de la séropositivité soit traitée comme une question de santé publique et de droit de la personne. Des personnes ont été condamnées même en l’absence de transmission ou d’intention de transmettre le virus. Ce n’est pas ça, la justice. Je pense que le droit pénal ne devrait s’appliquer que lorsqu’on peut prouver la transmission et l’intention de nuire. J’aimerais que le nom des personnes reconnues coupables de non-divulgation de leur séropositivité soit retiré du registre des délinquants sexuels. Je veux une réforme du droit sur-le-champ! Trois ministres de la Justice et trois ministres de la Santé se sont succédé depuis le début de notre initiative de défense de nos droits et notre communauté attend toujours.

Colin Johnson : Et vous?

Chad Clarke : Je veux retrouver ma vie. Je veux être dédommagé pour mon TSPT et pour mes quatre années d’incarcération.

Colin Johnson : Merci, Chad, de nous avoir accordé cette entrevue. Je sais que ce n’est pas facile, mais votre témoignage et l’histoire de votre militantisme doivent être racontés. Qu’est-ce que cela signifie pour vous de recevoir votre premier HIV is Not A Crime Leadership Award du CCRV?

Chad Clarke : Je souhaite remercier la Coalition. C’est un honneur de savoir que je peux être entendu!

 

Chad Clarke vit avec le VIH depuis plus de 15 ans. Son expérience personnelle des poursuites et de l’incarcération l’a transformé en un leader et un militant passionné qui œuvre contre la criminalisation discriminatoire découlant de la non-divulgation de la séropositivité. Sa voix a été une étincelle qui a inspiré de nombreuses personnes à s’impliquer dans le mouvement pour le changement.

Il s’implique activement dans la réponse au VIH en tant que membre du conseil d’administration du Réseau canadien des personnes séropositives (RCPS) et du Prisoners HIV/AIDS Support Action Network (PASAN). En 2019, il a été un témoin invité et la seule personne criminalisée invitée à parler à la Chambre des communes sur la justice et les droits de la personne dans le cadre de son étude sur la criminalisation découlant de la non-divulgation de la séropositivité. Il est actuellement membre du comité directeur de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV).

 

Colin H Johnson est un homme gai noir qui vit avec le VIH depuis 40 ans. Il défend les communautés africaines, caraïbéennes et noires depuis des décennies, et plus particulièrement les personnes queers et celles qui font l’usage de substances. Il travaille actuellement comme conseiller auprès des gouvernements, des universités et des organismes communautaires sur des questions allant des infections transmissibles par le sang, en passant par la réduction des méfaits, la décriminalisation des drogues, le racisme, la colonisation et les identités de genre.

Il est coprésident de la Toronto Harm Reduction Alliance (THRA) et siège au comité directeur de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV). Il s’est récemment joint au comité de lutte contre le racisme envers les Noir·e·s de la ville de Toronto. Il prend publiquement la parole pour parler du VIH et des drogues afin de lutter contre la stigmatisation. Il a obtenu un certificat en accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario octroyé par la Toronto Metropolitan University. Dans ses moments de détente, c’est un grand amateur de courses de Formule 1 et de soccer.

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