Une conversation entre la Dre Theresa Tam et Jade Elektra

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L’expression « indétectable = intransmissible » (I = I) fait référence au consensus scientifique selon lequel le VIH ne peut pas être transmis sexuellement lorsqu’une personne vivant avec celui-ci suit systématiquement un traitement antirétroviral (TAR) et que la quantité de VIH dans son sang demeure très faible — si faible qu’elle ne peut pas être détectée par de nombreux tests standard de dépistage.

Si le message I = I habilite les personnes vivant avec le VIH et réduit la stigmatisation associée au virus, il n’est efficace que si les personnes vivant avec le VIH sont en mesure de prendre leurs médicaments de manière continue. Certaines personnes au Canada, telles que celles appartenant aux communautés africaines, caraïbéennes et noires, les Autochtones, les hommes gais, bisexuels et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les personnes qui utilisent des drogues et les personnes incarcérées, sont confrontées à des obstacles sociaux et structurels qui peuvent avoir une incidence sur l’accès aux soins liés au VIH et rendre difficile le maintien d’un accès cohérent au traitement. Pour que le programme I = I ait le plus grand impact possible, il faut soutenir les personnes vivant avec le VIH en promouvant le programme I = I, en défendant les personnes confrontées à des obstacles en matière d’observance thérapeutique et en facilitant l’accès aux soins. Tou·te·s lesprofessionnel·le·s de la santé publique et de la santé peuvent contribuer à normaliser et à partager le message de l’accès universel.

La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique au Canada, a discuté avec Jade Elektra, militante de la lutte contre le VIH, artiste de drag et de studio et bâtisseuse de communauté, des nuances sociales et structurelles de I = I.

Dre Theresa Tam : Jade, c’est un plaisir de vous parler de I=I. Vous avez tant fait pour créer des espaces sécurisants et lutter contre la stigmatisation liée au VIH. Le magazine que vous avez fondé par et pour les personnes vivant avec le VIH n’en est qu’un exemple. J’ai hâte d’approfondir ce sujet avec vous.

Jade Elektra : Merci, Dre Tam. Je suis toujours heureuse de parler de I = I — c’est un sujet qui me tient à cœur et qui a besoin de plus d’attention.

I = I peut avoir un impact considérable sur une personne vivant avec le VIH, en particulier si elle est sexuellement active, et peut donner du pouvoir aux jeunes et aux personnes ayant récemment reçu un diagnostic de VIH. Cependant, j’aimerais connaître votre point de vue en tant que responsable de la santé publique sur les raisons pour lesquelles I = I est si important.

Dre Theresa Tam : Avec le recul, il est étonnant de voir à quel point le traitement et la prise en charge du VIH ont progressé au cours des 45 dernières années. Grâce aux progrès scientifiques, le VIH est devenu une maladie chronique traitable. Ne vous méprenez pas, il reste encore du chemin à parcourir, mais aujourd’hui, les personnes séropositives vivent plus longtemps et en meilleure santé qu’auparavant. Les personnes vivant avec le VIH qui connaissent I = I sont plus susceptibles de faire état d’une meilleure santé mentale, physique et sexuelle. Cette science a transformé ce que signifie vivre et aimer avec le VIH à l’échelle mondiale. 

Toutefois, nous devons également nous attaquer à la stigmatisation et à la discrimination dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH, tant dans la société que dans les établissements de soins de santé. Cela peut réellement affecter le bien-être des personnes, y compris leur volonté de se faire dépister et traiter.

Jade Elektra : Oui, il existe de nombreux obstacles qui peuvent nuire à l’atteinte du statut indétectable.

Dre Theresa Tam : En 2020, près de 17 000 personnes au Canada n’ont pas atteint la suppression virale. Parce qu’elles n’ont pas eu accès à des traitements efficaces contre le VIH ou qu’elles n’ont pris aucun traitement, elles risquent toujours de transmettre le VIH. Le message I = I est important parce qu’il réduit la stigmatisation associée au VIH et encourage les gens à accéder aux tests et aux traitements nécessaires pour atteindre un statut indétectable. Même s’il reste du travail à faire, le Canada a fait de grands progrès et a déjà atteint l’un des objectifs intermédiaires de l’ONUSIDA en matière de traitement du VIH pour l’année 2025, à savoir garantir que 95 % des personnes séropositives qui suivent un traitement ont une charge virale supprimée.  

Nous savons qu’il existe des obstacles qui empêchent de devenir indétectable. Jade, pourriez-vous nous faire part de votre point de vue sur ce qui pourrait empêcher quelqu’un d’atteindre le statut « indétectable »?

Jade Elektra : Oui, il existe de nombreux obstacles possibles, tels que le manque d’information, le racisme et l’accès limité aux établissements de santé. Les communautés africaines, caraïbéennes et noires en particulier connaissent des taux de VIH plus élevés, mais ces communautés peuvent également être confrontées à des obstacles plus systémiques et structurels empêchant l’accès aux médicaments. Certaines personnes doivent parfois choisir entre acheter de la nourriture, payer leur loyer ou obtenir leurs médicaments. D’autres personnes peuvent être confrontées à un accès intermittent au traitement, à des problèmes de santé multiples ou à un logement précaire sans routine fixe. Chacune de ces situations affecte leur capacité à suivre un plan de traitement. De plus, les personnes peuvent hésiter à continuer à se faire soigner si elles sont victimes de racisme dans les établissements de soins ou si elles n’ont pas accès à des soins adaptés à leur culture. Mais je pense que la stigmatisation liée au fait d’être séropositif·ve, ou même d’être perçu·e comme tel·le est le plus grand obstacle.

Dre Theresa Tam : Il est clair qu’il existe des facteurs systémiques complexes et cumulés qui peuvent avoir un impact sur la capacité d’une personne à prendre régulièrement ses médicaments ou à accéder aux tests et aux soins. 

Jade Elektra : Absolument. J’ai passé de nombreuses années sans aucun traitement médical, j’avais extrêmement honte et j’avais peur de dire à qui que ce soit que j’étais séropositive. Je crois que cette honte et cette peur ont en fait aggravé mon état de santé. Mais une fois que j’ai commencé à prendre des médicaments antirétroviraux et que j’ai commencé à voir mes résultats s’améliorer, j’ai été fière de prendre soin de moi.

Cela dit, toutes les personnes vivant avec le VIH n’ont pas accès à un traitement médical ou à une routine d’observance en raison des facteurs dont nous avons parlé. La honte et la peur que ces personnes peuvent ressentir peuvent être renforcées par la stigmatisation générale liée au VIH, l’incapacité à atteindre la suppression virale ou même la stigmatisation spécifique liée aux soins de santé. Elles peuvent être confrontées à la discrimination et au jugement des professionnel·le·s de la santé parce qu’elles ne suivent pas leur traitement tel que prescrit ou n’ont pas cherché du soutien pour mener une vie sociale et sexuelle épanouie. Elles peuvent même être qualifiées de « non-conformistes » dans l’observance de leur traitement, ce qui ajoute à la stigmatisation, alors que les obstacles auxquels ces personnes sont confrontées sont systémiques et ne sont pas le reflet d’une négligence de leur part.

Dre Theresa Tam : Pour les patient·e·s qui se heurtent à des obstacles à I = I, il est important que nous, en tant que professionnel·le·s de la santé, reconnaissions nos propres préjugés et évitions de stigmatiser les patient·e·s qui ne respectent pas leur traitement. En tant que professionnel·le·s de la santé, il est important d’adopter une approche centrée sur la personne et de fournir un soutien qui réponde aux besoins des patient·e·s.

Jade Elektra : Je suis convaincue que les professionnel·le·s de la santé doivent soutenir les patient·e·s vivant avec le VIH, en particulier ceux et celles qui se heurtent à des obstacles à l’accès à l’information à propos de I=I. L’accès à cette information devrait être une pratique courante, une conversation normalisée avec les patient·e·s et les client·e·s, et la connaissance des obstacles devrait être bien répandue. J’ai connu des établissements de santé où le ou la prestataire n’encourageait pas l’accès à l’information sur I = I ou n’était pas au courant de son existence. Que recommanderiez-vous aux professionnel·le·s de la santé de faire pour aider les patient·e·s séropositif·ve·s qui se heurtent à des obstacles à l’accès à l’information?

Dre Theresa Tam : Pas seulement en tant que professionnel·le·s de la santé, nous devons normaliser la santé sexuelle et les conversations sur la santé sexuelle, y compris les infections transmissibles sexuellement et par le sang, afin de réduire la stigmatisation associée au dépistage et au traitement du VIH.

Nous pouvons continuer à soutenir les patient·e·s qui se heurtent à des obstacles à I = I en promouvant l’ensemble des options de prévention efficaces et fondées sur des données probantes pour le VIH et d’autres infections transmissibles sexuellement et par le sang, comme les condoms, la prophylaxie pré-exposition (PrEP), la prophylaxie post-exposition (PPE) et la réduction des méfaits. Nous pouvons mettre les patient·e·s en contact avec d’autres services sociaux ou de santé, qui peuvent alors les aider à surmonter les obstacles auxquels ils et elles se heurtent pour devenir indétectables. Comment encourager les professionnel·le·s de la santé à défendre l’approche I = I tout en rencontrant les patient·e·s là où ils et elles en sont?

Jade Elektra : Je pense qu’un effort plus important pour éduquer tou·te·s les professionnel·le·s de la santé, les personnes vivant avec le VIH et le grand public au sujet de I = I pourrait aider à combler le fossé. Des brochures dans les salles d’attente et les cliniques et des affiches dans les lieux publics sont un excellent moyen d’entamer la conversation. Nous pouvons maintenant ajouter la récente campagne de sensibilisation de l’Agence de la santé publique du Canada sur le thème de I = I et ses ressources utiles telles que la fiche d’information sur les Conseils de communication pour les professionnels de la santé. Une autre bonne source d’information est CATIE, un organisme communautaire qui promeut les bonnes pratiques en matière de prévention et de traitement, et qui met gratuitement à disposition d’excellents documents sur le VIH et I = I. L’information doit être largement diffusée dans la sphère publique.

Encourager les patient·e·s à poser des questions est un autre excellent moyen d’entamer la conversation et de rencontrer les gens là où ils en sont. Les professionnel·le·s de la santé peuvent interroger les patient·e·s sur leur situation et les obstacles qu’ils et elles peuvent rencontrer afin d’apprendre comment répondre au mieux à leurs besoins en matière de santé. N’oubliez jamais que chaque personne a ses propres circonstances qui expliquent pourquoi elle peut ou ne peut pas atteindre le statut « indétectable ». Il est utile de se concentrer sur ce qui est le plus important pour elle et sur ce qui peut être fait pour soutenir les patient·e·s dans leur situation particulière.

Dre Theresa Tam : Merci, Jade, d’avoir pris le temps de parler de I = I et d’avoir partagé ouvertement vos pensées et vos expériences. Notre conversation d’aujourd’hui souligne que tou·te·s les professionnel·le·s de la santé, qu’ils et elles travaillent ou non dans le domaine de la santé sexuelle ou du VIH, ont le pouvoir de créer un changement positif en lançant et en promouvant des conversations sur le VIH, I = I et le sexe à moindre risque.

 

Pour en savoir plus sur I = I et accéder aux ressources destinées aux professionnel·le·s de la santé, veuillez consulter le site Canada.ca/VIH.

 

La Dre Theresa Tam a été nommée administratrice en chef de la santé publique (ACSP) du Canada en juin 2017. En tant que principale professionnelle de la santé publique du gouvernement fédéral, elle fournit des conseils pour aider à protéger la population du Canada contre les menaces pour la santé, à faire progresser l’équité en matière de santé et à promouvoir la santé des communautés, en utilisant les meilleures données et preuves disponibles. Cliquer ici pour lire sa biographie complète.

Jade Elektra (née Alphonso King Jr.) est une militante noire queer séropositive, drag queen, chanteuse ayant enregistré sous le nom de DJ Relentless et artiste de scène originaire de Tampa, en Floride, qui vit maintenant à Toronto, en Ontario. Jade vit ouvertement avec le VIH et, par son militantisme et son travail de sensibilisation, cherche à faire avancer les choses pour les personnes séropositives et queers de couleur, ainsi que les communautés LGBTQ à Toronto et dans le monde entier. Jade est l’une des fondatrices de POZPLANET et POZ-TO, qui luttent contre la stigmatisation liée au VIH/sida en organisant des activités sociales, en établissant des partenariats avec des organismes communautaires de lutte contre le VIH/sida et en organisant des collectes de fonds pour ces dernières.

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