Résultats de l’étude Engage : efficacité et utilisation du vaccin contre le VPH chez les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes
Le papillomavirus humain (VPH) est un virus très répandu qui se transmet le plus souvent par contact sexuel. Le corps élimine de lui-même la plupart des infections par le VPH, mais certaines peuvent persister. Il existe de nombreux types de VPH. Certains peuvent causer des cancers, notamment de l’anus, du col de l’utérus et de la bouche. D’autres causent des verrues anales et génitales. On ne peut pas guérir le VPH par des médicaments, mais la vaccination peut prévenir l’infection par certains types de VPH. Tous les vaccins offrent une protection contre les deux types de VPH en cause dans la plupart des cas de cancer de l’anus et du col de l’utérus (les types 16 et 18); et certains nous protègent contre d’autres types de VPH plus souvent associés aux verrues anales et génitales (les types 6 et 11).
Le VPH chez les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes
En raison des taux plus élevés d’infection anale par le VPH, les taux de cancer anal sont de 10 à 20 fois plus élevés chez les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH). C’est l’une des raisons pour lesquelles il est prioritaire d’offrir la vaccination contre le VPH aux hommes gbHARSAH.
Des recherches ont démontré que la vaccination contre le VPH est très efficace pour réduire les risques d’infection anale par le VPH, de cancer de l’anus et de verrues anales et génitales chez les hommes gbHARSAH. Un essai clinique du vaccin quadrivalent contre le VPH (protégeant contre quatre types de VPH) a révélé que les hommes gbHARSAH qui l’ont reçu étaient 84 % moins susceptibles de contracter une nouvelle infection et 95 % moins susceptibles de développer une infection persistante liée à l’un des quatre types de VPH visés par le vaccin.
Afin d’améliorer notre approche de la prévention du cancer de l’anus dans cette communauté, nous devons savoir si elle fonctionne dans le monde réel, et non seulement auprès de participants triés sur le volet pour des essais cliniques. Nous devons également connaître les facteurs qui font en sorte que les hommes gbHARSAH se font vacciner ou pas, et à quel moment.
Pour répondre à ces questions, les scientifiques de l’étude Engage ont mené une série d’études sur l’efficacité du vaccin contre le VPH et le recours à celui-ci parmi les hommes gbHARSAH dans les trois plus grandes villes du Canada.
L’étude Engage
Engage est une étude de cohorte pluriannuelle sur la santé sexuelle des hommes gbHARSAH cis et trans. Elle utilise les réseaux sociaux pour recruter des participants à Toronto, Montréal et Vancouver. La participation consiste à se faire tester sur une base régulière pour les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et à répondre à une enquête auto-administrée évaluant les facteurs susceptibles d’influer sur la santé sexuelle. Les scientifiques d’Engage recueillent et analysent des données sur un large éventail d’indicateurs relatifs à la prévention, au dépistage et au traitement. L’un des principaux domaines de l’étude est l’efficacité et l’utilisation du vaccin contre le VPH.
Efficacité du vaccin contre le VPH chez les hommes gbHARSAH
Les résultats d’essais cliniques du vaccin contre le VPH sont encourageants. Toutefois, comme dans la plupart des essais cliniques, les participants ont été sélectionnés de manière à réduire les facteurs qui pourraient brouiller la mesure de l’effet du vaccin. Par conséquent, nous n’avons qu’une connaissance limitée de l’efficacité du vaccin en situation réelle et des hommes gbHARSAH chez lesquels il est le plus efficace.
C’est pourquoi les scientifiques ont réalisé une étude d’observation (en anglais seulement) auprès de 645 hommes gbHARSAH sexuellement actifs de 16 à 30 ans, à Vancouver, Toronto et Montréal. Les participants ont répondu à des questions d’enquête et ont été testés pour le VPH au début de l’étude et après 12 mois. Vu sa nature observationnelle, l’étude ne suivait pas des critères d’inclusion ou d’exclusion aussi stricts que ceux d’un essai clinique.
L’étude a révélé que les participants vaccinés dans les cinq années suivant leur premier rapport sexuel anal étaient nettement moins susceptibles de développer une nouvelle infection ou une infection persistante liée à l’un des types de VPH visés par le vaccin (y compris les deux types associés à la plupart des cas de cancer de l’anus). De plus, les participants qui avaient moins de 23 ans au moment de leur première dose étaient moins susceptibles de développer une infection persistante.
Ces résultats soulignent l’importance du moment de la vaccination contre le VPH chez les hommes gbHARSAH – le plus jeune étant le mieux. Plus ils sont vaccinés tôt par rapport au moment où ils deviennent sexuellement actifs, plus cela est bénéfique. Il est donc important de chercher pourquoi certains hommes gbHARSAH ne se font pas vacciner du tout, et pourquoi certains ne le font pas assez tôt pour maximiser l’efficacité du vaccin.
Utilisation du vaccin contre le VPH chez les hommes gbHARSAH
Il est essentiel de connaître l’efficacité des vaccins, mais une chose est sûre : il ne peut y avoir aucune efficacité chez les personnes qui ne se font pas vacciner. Nous devons connaître le nombre d’hommes gbHARSAH qui ne se font pas vacciner, les raisons de leur choix et ce qui les distingue de ceux qui se font vacciner.
Dans une étude longitudinale (en anglais seulement) menée de 2017 à 2019, les scientifiques d’Engage ont constaté que seulement environ un quart des 2 500 participants de 16 à 80 ans à Vancouver, Toronto et Montréal s’étaient fait vacciner pendant cette période. Les taux d’amorce de la vaccination étaient plus élevés chez les hommes de 26 ans et moins : 26 % à Vancouver, 33 % à Toronto et 35 % à Montréal. En comparaison, les taux chez les hommes de 27 ans et plus étaient de 18 % à Vancouver, 26 % à Toronto et 7 % à Montréal.
Disparité de la couverture publique en fonction de l’âge
Des disparités liées à l’âge dans l’utilisation du vaccin étaient prévisibles, car la vaccination contre le VPH est offerte gratuitement aux hommes gbHARSAH de moins de 27 ans en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec depuis 2015-2016. Cela indique que le coût du vaccin pourrait être un obstacle important pour les hommes gbHARSAH qui dépassent l’âge d’admissibilité à la couverture publique. Une autre observation va en ce sens : les participants plus âgés ayant une assurance maladie privée étaient plus susceptibles d’être vaccinés contre le VPH. Ces résultats mettent en relief le problème que pose l’exclusion des hommes de 27 ans et plus de la vaccination financée par l’État : elle peut nuire aux objectifs de couverture communautaire et à l’équité d’accès aux vaccins.
Utilisation de services de santé sexuelle
Par ailleurs, les participants étaient plus susceptibles d’avoir amorcé la vaccination s’ils avaient eu recours à d’autres services de santé sexuelle, et plus de deux fois plus susceptibles de l’avoir amorcée s’ils avaient visité une clinique de santé sexuelle au cours des six mois précédents. Les participants qui avaient été récemment testés pour le VIH ou pour une autre ITSS, qui avaient récemment consulté un·e spécialiste du VIH ou avaient été vaccinés contre l’hépatite A ou B étaient plus susceptibles d’avoir amorcé la vaccination contre le VPH. Fait intéressant, les participants plus âgés étaient plus susceptibles d’avoir amorcé la vaccination contre le VPH s’ils étaient des utilisateurs actifs de la PrEP.
Ces résultats nous rappellent que l’utilisation d’un service de santé sexuelle, par des hommes gbHARSAH, est une occasion d’ouverture à d’autres services. Ceci est particulièrement important pour ceux d’entre eux qui ont peu d’interactions avec les services de santé sexuelle. Chaque rencontre est une occasion de fournir des informations et d’expliquer les options, pour que les hommes soient au courant qu’un vaccin efficace est disponible et pour qu’ils décident (espérons-le) de se faire vacciner. Toutes les occasions d’éducation et d’engagement sont à saisir.
Cette idée est renforcée par les résultats d’une autre étude Engage (en anglais seulement) : dans les trois villes étudiées, une proportion importante des participants – de 26 à 40 %, selon la ville – n’était pas au courant de l’existence d’un vaccin contre le VPH; et environ 7 à 14 % des participants (selon la ville) étaient indécis ou ne voulaient pas se faire vacciner. Pour améliorer ces chiffres, nous devons connaître les obstacles qui font que certains hommes gbHARSAH ne sont pas informés de l’existence du vaccin et n’optent pas pour la vaccination.
Identité sexuelle et utilisation du vaccin contre le VPH
L’identité sexuelle semble jouer un rôle à la fois dans la connaissance du vaccin et dans la volonté de le recevoir. Les participants qui s’identifiaient comme bisexuels étaient à la fois moins susceptibles de connaître l’existence du vaccin et moins disposés à le recevoir que ceux qui s’identifiaient comme gais. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les services de santé sexuelle et les informations destinées aux hommes gbHARSAH sont principalement adaptés aux besoins et aux perspectives des hommes qui s’identifient comme gais ou queers.
Le fait d’être sorti du placard (ou non) semble avoir lui aussi une influence. Les participants qui préféraient ne pas révéler avoir de relations de même sexe étaient moins susceptibles de connaître l’existence du vaccin et de vouloir le recevoir. Cela est logique, car la réticence à parler de l’orientation sexuelle et des expériences de même sexe limite considérablement les occasions de se renseigner sur les facteurs de risque et les outils de prévention dans le cadre de discussions avec des prestataires de soins de santé, des intervenant·e·s communautaires et des pairs. Ce constat montre l’importance de créer et de favoriser des espaces de soins de santé où les hommes gbHARSAH se sentent à l’aise et en sécurité de parler de tous les aspects de leur santé sexuelle, à tous les âges.
Facteurs socioéconomiques
Les facteurs socioéconomiques sont aussi à considérer, lorsque l’on cherche à savoir quelles personnes ont accès à la vaccination ou non, et pourquoi. Dans les trois villes à l’étude, les hommes ayant immigré au Canada étaient moins susceptibles de connaître l’existence du vaccin. À Vancouver, les hommes aux prises avec des difficultés financières croissantes étaient moins susceptibles d’être au courant du vaccin et d’être ouverts à le recevoir. À Montréal, le fait d’avoir fait des études postsecondaires était associé à la connaissance du vaccin et au souhait de le recevoir. Ces facteurs socioéconomiques peuvent influer sur les résultats liés au VPH, en créant des inégalités dans l’accès aux connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées en matière de santé sexuelle.
L’étude Engage a apporté des preuves précieuses de l’efficacité de la vaccination pour prévenir les infections au VPH qui sont associées au cancer de l’anus chez les hommes gbHARSAH. Elle a également fourni des estimations cruciales du recours au vaccin chez les hommes gbHARSAH, de même qu’un éclairage utile sur les raisons pour lesquelles il est faible, malgré les risques liés au VPH et l’efficacité du vaccin. De nombreux hommes gbHARSAH font face à des obstacles dans l’accès aux services de santé sexuelle. Par conséquent, nous devons saisir toutes les occasions de rehausser la sensibilisation à la vaccination contre le VPH, d’augmenter la couverture vaccinale et de cultiver des relations de confiance qui favorisent l’engagement et la rétention dans les soins.
La Dre Ann Burchell est titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur la prévention des infections transmissibles sexuellement à Unity Health Toronto et à l’Université de Toronto. Elle s’appuie sur des données épidémiologiques pour améliorer la prévention des ITS et les services de santé connexes, et pour réduire les complications liées à ces infections.
Dan Miller est le spécialiste en connaissances, Soins liés au VIH et aux ITS chez CATIE. Titulaire d’une maîtrise en santé publique de l’Université de Toronto, il possède une vaste expérience de travail dans les domaines des services de santé, de la recherche et de l’échange des connaissances en santé publique.