La doxy-PPE pour la prévention de la syphilis : Qu’est-ce que c’est, est-elle efficace et comment surmonter les obstacles à l’accès?
Depuis plusieurs années, les communautés gaies, bisexuelles, trans, bispirituelles et queers (GBT2Q) connaissent des taux de syphilis démesurément élevés, alors que les actions des intervenant·e·s en dehors des organismes communautaires de santé sexuelle font défaut. Il n’empêche que les réponses fédérales et provinciales ont récemment été galvanisées par une augmentation des taux de transmission hétérosexuelle et du nombre de bébés nés avec la syphilis, une maladie appelée syphilis congénitale. Lorsqu’un fœtus en est infecté durant la grossesse, la syphilis peut causer une fausse couche, une mortinaissance ou une incapacité permanente chez le bébé à naître. Par conséquent, les efforts pour faire fructifier des interventions novatrices visant la syphilis se sont accélérés parallèlement à un accroissement de l’intérêt pour de nouvelles options préventives ciblant les hommes GBT2Q. Une nouveauté prometteuse réside dans la doxy-PPE, mais de nombreuses personnes ignorent encore l’existence de cette intervention et les moyens d’y avoir accès, y compris au sein de cette population qui pourrait en bénéficier le plus.
Qu’est-ce que la doxy-PPE?
Abréviation du nom Doxycycline, la doxy est un antibiotique utilisé pour traiter des infections bactériennes, y compris nombre d’infections transmissibles sexuellement (ITS) comme la syphilis et la chlamydiose. Ce médicament est également utilisé pour la prévention d’infections comme le paludisme (malaria).
Le sigle PPE signifie prophylaxie post-exposition. Il s’agit de prendre des médicaments pour prévenir une infection après avoir été exposé potentiellement à un pathogène. La PPE VIH est un exemple de ce genre de traitement préventif.
La doxy-PPE est une médication contenant de la doxycycline. On prend celle-ci après une relation sexuelle pour prévenir la syphilis, la chlamydiose et certaines autres ITS. Pour y avoir accès, il faut obtenir une ordonnance auprès d’un·e professionnel·le de la santé, le plus souvent avant d’avoir des relations sexuelles. On doit prendre le médicament dans les trois jours (72 heures) suivant une exposition éventuelle, mais le traitement commence idéalement le plus tôt possible. La dose consiste en deux comprimés de 100 mg que l’on peut prendre une seule fois par jour au maximum. Il suffit d’une seule dose pour chaque journée où des relations sexuelles sans condom ont lieu. Un truc utile pour se rappeler tout cela est la règle 3-2-1 (en anglais seulement).
La doxy-PPE est-elle efficace?
De nombreuses études (en anglais seulement) ont révélé que la doxy-PPE réduisait efficacement le nombre de cas de syphilis et de chlamydiose chez des femmes trans et des hommes gais, bisexuels et d’autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH).
À l’instar de la PrEP VIH quotidienne, qui sert à la prévention du VIH, la doxycycline peut être utilisée tous les jours comme prophylaxie pré-exposition (doxy-PrEP) pour prévenir la syphilis. Comme il existe moins de données au sujet de la doxy-PrEP, nous attendons avec impatience les résultats de l’étude DISCO (en anglais seulement) pour en savoir plus sur l’efficacité de cette méthode chez les hommes gbHARSAH cis et trans et chez les femmes trans. Cette étude se poursuit à l’heure actuelle au Canada.
Malheureusement, les données de recherche sont limitées en ce qui concerne l’efficacité de la doxy-PPE chez les femmes cis, les hommes trans et les personnes de diverses identités de genre. Une étude (en anglais seulement) menée au Kenya n’a trouvé aucune efficacité à la doxy-PPE chez des femmes cis, mais il est possible que cet échec soit attribuable à un faible taux d’observance thérapeutique chez les participantes. Or, étant donné les disparités historiques qui caractérisent la recherche sur le VIH et les ITS, ainsi que les retombées croissantes de l’augmentation de la transmission hétérosexuelle au Canada et la hausse alarmante des cas de syphilis congénitale, on ne peut prendre les résultats kenyans au pied de la lettre. Il nous faut d’urgence des études rigoureuses sur l’efficacité de la doxy-PPE pour la prévention des ITS chez les femmes cis, les hommes trans et les personnes aux identités de genre diverses.
Y a-t-il lieu de s’inquiéter de la résistance au traitement?
Même si la doxycycline (en anglais seulement) est utilisée depuis de nombreuses années pour prévenir et traiter des infections, certaines personnes craignent que l’usage de la doxy-PPE n’entraîne une résistance aux antimicrobiens (RAM). La RAM survient lorsqu’une bactérie acquiert la capacité de résister à des médicaments antimicrobiens, de sorte que ceux-ci deviennent inefficaces. Même s’il faut prendre cette possibilité au sérieux, aucun indice de RAM n’a été observé depuis que les antibiotiques sont utilisés pour traiter la syphilis et la chlamydiose, et ce, depuis des décennies. Des cas de RAM ont toutefois été associés à de nombreux médicaments antimicrobiens servant au traitement de la gonorrhée, y compris la doxycycline. Notons cependant que ce médicament n’est pas couramment utilisé au Canada pour traiter la gonorrhée.
Quels sont les obstacles à l’accès à la doxy-PPE et comment les surmonter?
Malgré sa nouveauté pour de nombreuses personnes travaillant dans les organismes communautaires de santé sexuelle, la doxy-PPE est déjà utilisée au Canada. Lors de l’édition 2022 du sondage Sexe au présent réalisé par le Centre de recherche communautaire (CBRC), 25 % des répondant·e·s étaient au courant de l’existence de la doxy-PPE, 36 % voulaient s’en servir et 6 % l’avait déjà utilisée. Notons que les participant·e·s à ce sondage sur la santé sexuelle, le plus ancien de son genre au Canada, incluent des hommes gais, bisexuels, queers et trans, ainsi que des personnes bispirituelles et non binaires.
Tout comme lors des premiers jours de la PrEP VIH, les communautés queers et trans sont en train de prendre les rênes de la lutte contre la syphilis et les autres ITS en se renseignant sur la doxy-PPE et en prenant des mesures pour améliorer leur santé et bien-être. Il reste que de nombreuses personnes dans ces communautés se heurtent à des obstacles lorsqu’elles tentent d’avoir accès à la doxy-PPE, notamment un manque de connaissances de la part des prestataires de soins et une résistance à la prescrire, ce qui n’est pas sans rappeler les débuts de la PrEP VIH aussi. Ces obstacles privent ces communautés d’une intervention de santé efficace à un moment où elles pourraient en tirer des bienfaits énormes.
Il est indispensable que nous évitions les erreurs commises lors du déploiement de la PrEP VIH au Canada. Nous avons urgemment besoin de lignes directrices à l’échelle du pays sur la doxy-PPE pour soutenir les prestataires de services œuvrant auprès des communautés touchées par la syphilis. Nous avons besoin de financement et d’investissements continus dans l’éducation sur la doxy-PPE et dans le renforcement des capacités des prestataires et des communautés touchées. Cela doit inclure des investissements ciblés et pertinents dans les communautés qui ont trop souvent été laissées pour compte lors du déploiement de la PrEP VIH. Cela inclut les Autochtones, les Noir·e·s et les personnes queers et trans racisées, y compris celles qui utilisent des drogues. Enfin, nous devons éviter les modèles de déploiement encombrants et inutilement complexes qui restreignent l’accès à la doxy-PPE, modèles du genre qui inhibent encore l’accès au traitement du VIH et à la PrEP dans de nombreuses régions du pays.
Comme la doxy-PPE en est à ses premiers balbutiements, pour améliorer l’accès, il est essentiel que les prestataires de services collaborent avec les communautés canadiennes touchées par l’épidémie de syphilis, tout comme un groupe de prestataires peu nombreux mais efficace a émergé pour revendiquer l’accès à la PrEP VIH et contribuer à la santé des communautés queers et trans. En exploitant les leçons apprises lors du déploiement de la PrEP VIH au Canada, vous aussi pourrez prendre position en faveur de la santé de nos communautés en faisant connaître la doxy-PPE et en contribuant à freiner la propagation de la syphilis. Si l’alternative consiste à maintenir le statu quo ou à devenir un·e agent·e de changement, j’espère que vous choisirez le changement. Nos communautés comptent sur vous.
Brook Biggin (il/lui) est directeur de l’éducation, de la mobilisation des connaissances et des politiques au Centre de recherche communautaire (CBRC). Brook vit à Edmonton, en Alberta, sur les terres désignées par le Traité no 6. Il y travaille dans le domaine de la santé 2SLGBTQIA+ depuis une décennie, se spécialisant notamment dans le VIH et les infections transmissibles sexuellement et par le sang. En tant que personne queer vivant avec le VIH, Brook croit qu’il faut mettre les expériences et les compétences des communautés 2SLGBTQIA+ au centre des efforts collectifs visant à juguler l’épidémie de syphilis.