Résultats de l’étude Engage : vers l’élimination du VIH en tant que menace pour la santé des hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes

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Des estimations publiées récemment par l’Agence de la santé publique du Canada montrent d’importants progrès réalisés à l’égard de l’élimination du VIH comme menace pour la santé publique des hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH). Le taux estimé de nouvelles infections chez les hommes gbHARSAH sexuellement actifs a diminué de 20 % entre 2018 et 2020, ce qui est extrêmement réjouissant.

Autre constat encourageant, les estimations tirées des données de 2017-2019 qui montrent que 98 % des hommes gbHARSAH vivant avec le VIH au Canada ont reçu un diagnostic; que 96 % des personnes ayant reçu un diagnostic suivaient un traitement; et que 94 % des personnes suivant un traitement ont atteint l’inhibition de leur charge virale. L’inhibition virale signifie que la quantité de VIH dans le sang est si faible que la personne ne peut pas le transmettre à ses partenaires sexuel·le·s. Ces estimations montrent que les objectifs de l’ONUSIDA pour 2025 (95-95-95) sont désormais atteignables pour les hommes gbHARSAH au Canada.

Bien que ces chiffres soient encourageants, il ne faut pas oublier que les hommes gbHARSAH sont encore touchés de façon disproportionnée par le VIH : en 2020, ils représentaient plus de 45 % des nouvelles infections au VIH alors qu’ils ne constituent qu’environ 4 % de la population masculine adulte au Canada. Pour remédier à cette situation inacceptable, il nous faut des données fiables – pas seulement sur les objectifs généraux, mais aussi sur les lacunes entourant la prévention, le dépistage, le traitement et les autres services.

L’étude Engage

L’étude Engage est amorcée en 2017, notamment pour aider à prendre conscience des lacunes dans les services liés au VIH offerts aux hommes gbHARSAH. Cette étude de cohorte pluriannuelle sur la santé sexuelle se sert des médias sociaux pour recruter des participants à Toronto, Montréal et Vancouver. Ces derniers doivent se soumettre régulièrement à des tests de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et répondre à une enquête autoadministrée évaluant les facteurs susceptibles d’influencer leur santé sexuelle.

L’un des principaux objectifs d’Engage est de fournir des estimations récentes de la prévalence et de l’incidence (nouvelles infections) du VIH et des ITSS chez les hommes gbHARSAH. Engage recueille et analyse aussi des données sur différents indicateurs relatifs à la prévention, au dépistage, au traitement et à l’inhibition virale durable. Quelques résultats de cette étude seront présentés ci-dessous, pour nous permettre de comprendre ce qui doit encore être amélioré, comment procéder à ces améliorations et à qui les apporter. Ces précieuses informations nous aideront à poursuivre l’objectif de l’élimination du VIH.

Prévention : le recours à la PrEP

La PrEP (prophylaxie pré-exposition) est une méthode éprouvée et très efficace de prévention du VIH : la personne séronégative prend un médicament pour réduire son risque de contracter le virus. Une analyse d’Engage (en anglais seulement) indique toutefois que le recours à la PrEP est faible chez les hommes qui en bénéficieraient le plus. La majorité des participants à l’étude qui satisfaisaient aux exigences cliniques (en anglais seulement) ont indiqué connaître la PrEP, mais seulement la moitié d’entre eux avaient ressenti le besoin de l’utiliser dans les six derniers mois. Ils sont encore moins nombreux (environ un quart) à avoir essayé de l’obtenir. Quant à savoir combien de participants satisfaisant aux exigences cliniques ont eu recours à la PrEP, notre estimation est d’environ 15 à 20 %. Les chiffres pour les hommes gbHARSAH dans l’ensemble du pays sont probablement encore plus bas, car les participants d’Engage provenaient tous de grands centres urbains avec des concentrations relativement élevées de ressources et de services pour le VIH.

Les analyses d’Engage nous ont aidés à mieux comprendre pourquoi de nombreux hommes n’utilisent pas la PrEP alors qu’ils répondent aux exigences cliniques. L’un des facteurs pourrait être la méconnaissance de la PrEP et de son efficacité et le fait de ne pas savoir quand et pour qui elle est recommandée. Les participants à l’étude qui ne l’utilisaient pas même s’ils répondaient aux exigences cliniques étaient plus nombreux à dire qu’ils n’en savaient pas assez sur le sujet. Ils étaient également plus nombreux à affirmer qu’ils ne pensaient pas que la PrEP était efficace, et ce, en dépit du fait que son efficacité a été démontrée par des données solides.

Les participants qui n’utilisaient pas la PrEP étaient également plus nombreux à déclarer ne pas se sentir suffisamment à risque pour l’utiliser, même si, encore une fois, ils répondaient tous aux exigences cliniques. Ils étaient également plus susceptibles d’avoir un partenaire sexuel principal. Cela pourrait également suggérer un manque de connaissances sur les situations où la PrEP est recommandée, notamment lorsque le statut VIH de leur partenaire n’est pas connu.

Un autre facteur pouvant expliquer le faible taux de recours à la PrEP est l’absence, ou l’impression d’absence, de milieux de soins dans lesquels il est possible de discuter ouvertement de santé sexuelle et d’options pour la prévention du VIH. Les participants qui n’utilisaient pas la PrEP étaient plus nombreux à indiquer qu’ils n’arrivaient pas à trouver un·e médecin qui accepte de prescrire la PrEP. Ils étaient également moins enclins à révéler qu’ils avaient des partenaires sexuels masculins à un prestataire de soins primaires. Ces résultats nous rappellent que la stigmatisation et la discrimination demeurent de puissants obstacles à l’efficacité de la lutte contre le VIH. Il est encore nécessaire de rendre les milieux de soins plus sécuritaires et moins stigmatisants pour les hommes gbHARSAH, afin de permettre des discussions ouvertes et franches sur la santé sexuelle et la prévention du VIH.

Dépistage : rejoindre ceux qui n’ont pas reçu de diagnostic

Comme indiqué plus haut, d’importants progrès ont été réalisés pour faire en sorte que les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH connaissent leur statut. Les estimations d’Engage montrent que l’objectif de l’ONUSIDA de diagnostiquer le virus chez 95 % des personnes qui en sont atteintes d’ici 2025 a déjà été dépassé pour les hommes gbHARSAH vivant à Toronto, Montréal et Vancouver, mais il y a encore matière à amélioration. Dans les trois villes, un nombre faible, mais néanmoins significatif d’hommes ayant déclaré un statut VIH négatif ou inconnu n’avaient jamais subi de test de dépistage du VIH avant l’étude (en anglais seulement). C’est à Vancouver que ce chiffre était le plus élevé, avec 18,6 % (contre 12,9 % à Toronto et 11,5 % à Montréal). Ce résultat est plutôt surprenant, compte tenu des efforts considérables déployés à Vancouver et dans toute la Colombie-Britannique comme STOP AIDS et de la promotion du traitement comme moyen de prévention.

Même en menant de vastes stratégies sur plusieurs fronts, certains hommes gbHARSAH passent quand même à travers les mailles du filet. De plus, il est essentiel de vérifier pourquoi certains hommes n’ont pas fait de test de dépistage et de trouver des moyens pour les y inciter. Enfin, les résultats soulignent l’importance de rendre le dépistage aussi facile, accessible et non stigmatisant que possible.

Traitement : atteindre l’inhibition de la charge virale

Nous avons fait beaucoup de progrès pour que tous les hommes gbHARSAH vivant avec le VIH amorcent un traitement efficace et le poursuivent. Bien que les estimations d’Engage montrent un niveau élevé de prise en charge du VIH parmi les hommes gbHARSAH à Toronto, Montréal et Vancouver, il reste encore du travail à faire. Nous pourrions nous concentrer sur l’inhibition de la charge virale – le seul objectif de l’ONUSIDA qui n’a pas encore été atteint pour ce groupe. Les estimations d’Engage pour l’inhibition virale sont bonnes dans l’ensemble, mais, là encore, nous pouvons faire mieux. Il faut absolument comprendre pourquoi certains hommes ont plus de mal que d’autres à parvenir à l’inhibition virale et à la maintenir.

Les résultats d’Engage (en anglais seulement) aident à y voir plus clair. Par exemple, l’étude a révélé que les jeunes participants étaient moins nombreux à avoir une charge virale inhibée. Cela pourrait être en partie le résultat d’une rétention moins grande dans les soins, qui a déjà été liée à un âge moins élevé et à un niveau d’inhibition virale plus faible. L’étude a également constaté que les personnes qui n’avaient pas toujours le même prestataire de soins primaires étaient plus susceptibles d’avoir une charge virale non inhibée. Les deux résultats nous rappellent que les soins primaires sont très importants lorsqu’il s’agit de fournir et de coordonner le traitement du VIH. Ils soulignent également la nécessité d’améliorer l’accessibilité et la continuité des soins de santé, surtout pour les hommes dont les circonstances de vie (temporaires ou permanentes) rendent difficiles la constance et l’observance thérapeutique.

Grâce aux résultats d’Engage, nous avons un meilleur portrait des personnes qui ne bénéficient pas des services liés au VIH et des mesures à prendre pour en faciliter l’accès. Nous savons maintenant ce qui doit être amélioré afin d’éviter de perdre nos acquis et de continuer à nous rapprocher de notre objectif d’élimination du VIH en tant que menace pour la santé publique.

 

Trevor Hart (Ph. D.) est le directeur du HIV Prevention Lab, où il étudie les raisons pour lesquelles les hommes gais, bisexuels et queers ont plus de risque de contracter le VIH et d’autres infections transmissibles sexuellement, et où il explore de nouvelles formes de counseling et de psychothérapie pour favoriser leur santé mentale et sexuelle. Trevor est également le directeur du HOPE Centre for Gender and Sexual Minority People de l’Université métropolitaine de Toronto, qui se consacre à la compréhension et à la promotion de la santé des personnes LGBTQ2S+. Il exerce la profession de psychologue dans un petit cabinet privé.

Dan Miller est le spécialiste en connaissances, soins liés au VIH et aux ITS chez CATIE. Détenteur d’une maîtrise en santé publique de l’Université de Toronto, il travaillait auparavant pour la recherche en services de santé au sein du réseau universitaire des sciences de la santé de Toronto.

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