Des voix illustrées pour incorporer le récit dans le bien-être

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« Nous savons que l’hépatite C est un virus silencieux, souvent sournois, qui cause des ravages dans le foie, est détectable grâce au dépistage et se soigne en quelques semaines grâce à un traitement oral. Pourtant, les taux d’infection chez les populations autochtones sont en hausse parce qu’elles ne se sentent pas interpellées par la situation. Nous avons besoin de ressources de sensibilisation qui soient pertinentes culturellement pour pouvoir générer de l’effet. »

-Un·e gardien·ne des savoirs autochtones

 

Lorsque j’ai travaillé avec une communauté autochtone en Alberta pour améliorer l’accès aux soins à l’hépatite C, j’ai eu la possibilité de participer à la cocréation d’un film culturellement lié à la communauté pour sensibiliser à la santé du foie. Lorsque cette ressource a été mandatée, j’étais enthousiaste de participer parce que j’avais pu voir directement, grâce à mon précédent poste d’infirmière et de coordonnatrice de projets en santé communautaire, les effets positifs que les ressources adaptées culturellement peuvent avoir sur l’arrimage aux soins. En travaillant en collaboration avec des gardien·ne·s des savoirs autochtones, nous avons cherché à utiliser le récit, qui est notre manière traditionnelle de diffuser les connaissances, et à le combiner avec des visuels axés sur les terres autochtones pour créer un petit documentaire permettant d’améliorer la sensibilisation à l’importance vitale d’avoir un foie en bonne santé.

 

Approches de collaboration

Bien que mon expérience professionnelle relève du milieu infirmier, j’ai souvent eu du mal avec les approches de soin axées sur la maladie et je ressentais plutôt une affinité avec les approches fondées sur le bien-être et de notre relation à la terre. La vision à Deux Yeux est une approche qui reconnaît différentes perspectives, crée de l’espace pour chacune d’entre elles et trouve des moyens de réunir le meilleur de chacune – par exemple en intégrant ma vision autochtone du monde à ma formation d’infirmière. Ces approches, ainsi que les notions de respect, de réciprocité, de responsabilité, de pertinence et de relationalité, étaient à la base de ma collaboration avec des gardien·ne·s des savoirs autochtones.

Intégration des pratiques culturelles dans le processus de réalisation du film

La cocréation de ce projet a commencé par une cérémonie au cours de laquelle les membres de la communauté et les gardien·ne·s du savoir ont mis en place une hutte de sudation pour partager leurs prières et leur soutien, ainsi que pour parler des raisons pour lesquelles la culture constitue une partie importante du bien-être. Cela a bâti le fondement des entretiens avec les gardien·ne·s des savoirs. Ils/elles ont parlé de la vision du foie et de son rôle dans le corps selon les perspectives traditionnelles des Métis·se·s, des Cri·e·s, des Stoneys-Nakodas et des Pieds-Noirs.

Nous avons ensuite tiré des thèmes de ces différentes conversations et nous avons pris soin de vérifier et de clarifier ces thèmes avec chacun·e des gardien·ne·s des savoirs avant de passer à la cocréation des grandes lignes du scénario et d’une liste de scènes pour le film.

Aspects à prendre en compte dans les relations avec les membres de la communauté

L’hépatite C étant souvent la cible de stigmatisation, de mythes et de peurs, notre objectif était de diffuser un récit de bien-être et d’espoir dans un esprit détendu et encourageant. Nous avons orienté le récit autour de la guérison qui vient de la terre, de la communauté et de nos traditions, ainsi qu’en partageant des faits sur la transmission de l’hépatite C, sa prévention, son dépistage et son traitement.

La stigmatisation et la peur créant souvent des obstacles à l’engagement, il était important que les spectateur·trice·s du film puissent s’identifier à des personnes ou y retrouver des aspects leur rappelant des membres de leur famille ou de leur communauté. C’est pourquoi nous avons inclus des personnes issues de différentes communautés, d’âges différents, pratiquant une variété de professions dans le domaine de la santé, ou encore ayant une expérience vécue de l’hépatite C. Les participant·e·s-partenaires étaient issu·e·s de différents domaines professionnels, notamment l’éducation, la police, les soins infirmiers, le travail social et l’agriculture.

Une attention particulière a été apportée pour aborder et honorer respectueusement chaque participant·e-partenaire grâce à la cérémonie, au respect du protocole traditionnel du tabac et à la distribution de présents. Nous avons également payé des honoraires en contrepartie du temps donné, des récits contés ou de la musique jouée, ainsi que pour financer le tournage.

Une réponse positive au film

Bien qu’il y ait de nombreuses ressources imprimées et textuelles sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), ces ressources contiennent souvent du langage médical et peu d’illustrations. L’objectif, en ayant recours au support tel que le film, était d’apporter un moyen plus accessible et visuel pour améliorer la sensibilisation à l’hépatite C ainsi que l’arrimage au dépistage et au traitement.

Le film a déjà été diffusé dans des écoles secondaires, des salons de santé communautaire, des groupes de réduction des méfaits, des centres de traitement, des séances de counseling, des ateliers, des séances de formation des équipes de santé, des évènements virtuels, des soirées cinéma, des évènements liés à la journée du foie, des conférences, des festivals de films, etc. Le dépistage par gouttes de sang séché (GSS) lors de plusieurs de ces évènements (à la suite d’une séance du film) a connu entre 50 % et 90 % de participation. Les membres des communautés autochtones sont enthousiasmé·e·s par le film et disposé·e·s à le diffuser autour d’eux·elles. Ils/elles le regardent même plus d’une fois parce que selon eux·elles, il contient de nombreux degrés de connaissances et d’attention. Selon un·e gardien·ne des savoirs « [le film] donne de la visibilité à un message de santé important qui doit être répandu dans toute l’île de la Tortue », tandis qu’un·e autre membre de la communauté a déclaré : « c’est la première fois de ma vie que je reçois des informations sur la santé, sans qu’y soient associés le stress, la peur ou la stigmatisation ».

Enseignements à tirer pour les prochains projets

Certaines personnes diraient que cette approche est inutile et que la cocréation a demandé trop de temps, d’efforts et de financement, mais je leur répondrais qu’une telle véritable collaboration transdisciplinaire doit être l’objectif de plus de projets de santé communautaire. En incorporant la culture, le récit, des visuels des terres autochtones, de la science et des expériences vécues, ainsi qu’en travaillant avec des professionnel·le·s de la santé, des célébrités, des Aîné·e·s et des jeunes, nous pouvons dresser le portrait d’une perspective holistique qui inspire l’engagement du cœur et motive à agir.

Les approches qui sont menées par les voix et les expériences des gardien·ne·s des savoirs avec lesquels les membres des communautés autochtones s’identifient et cadrées par des visuels des terres autochtones nous permettent de ne plus nous concentrer sur les obstacles, la peur et la stigmatisation pour nous orienter vers un récit plus holistique de bien-être, d’espoir et de guérison qui nous rapproche de l’objectif d’élimination de l’hépatite C.

 

Kate Dunn est une femme anichinabée de la Première Nation des Mississauga. Elle collabore à l’amélioration de l’accès au traitement et à la guérison de l’hépatite C des communautés autochtones de l’Alberta et de l’Ontario. Elle possède de l’expérience dans les secteurs infirmiers et de santé publique. Elle a récemment obtenu un doctorat dans le cadre duquel ses recherches en savoirs autochtones lui ont permis de passer du temps auprès des gardien·ne·s des savoirs autochtones pour connaître les approches traditionnelles de la santé et de la santé du foie. Kate est passionnée par les approches traditionnelles et holistiques de bien-être liées à la santé et aux soins.

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