Dépistage du VIH tenant compte des traumatismes : créer des milieux bienveillants pour les personnes LGBTQ2S+
Les personnes LGBTQ2S+ au Canada peuvent être confrontées à de multiples difficultés d’accès aux soins de santé, et notamment à d’éventuels traumatismes liés à leur identité de genre et leur identité sexuelle. Des facteurs structurels tels que l’homophobie et la transphobie confrontent ces communautés à de nombreux problèmes sociaux : taux de chômage plus élevés, revenus plus faibles, accès plus restreint au logement, etc. Pour les PANDC (personnes autochtones, noires et de couleur) LGBTQ2S+, le racisme peut venir aggraver ces problèmes. Il peut donc être plus difficile d’obtenir des services comme des soins de santé primaires ou de santé mentale. Par conséquent, les rendez-vous de dépistage du VIH peuvent être la seule occasion d’obtenir de l’aide pour sa santé mentale, relativement à une habitude d’utilisation de substances, pour le logement ou concernant la violence par partenaire intime. Une personne qui a besoin de ces services peut également avoir subi des traumatismes qui influenceront la manière dont elle perçoit les milieux de soins de santé.
Une approche holistique du dépistage du VIH examinera l’effet des évènements passés sur la santé et le bien-être de la personne et lui offrira la sécurité et le soutien nécessaires pour y faire face. Cette approche, utilisée dans les services de santé physique et mentale, est connue sous le nom de « soins tenant compte des traumatismes ». Bruce Dow, psychothérapeute autorisé·e (stagiaire) dans le village gai de Toronto, explique qu’un traumatisme se produit lorsqu’une personne vit un évènement troublant, mais ne bénéficie ni du soutien de sa famille ni de ses ami·e·s pour le gérer dans l’immédiat. La personne ne possède peut-être pas les outils émotionnels, le réseau de soutien ou la protection de son intégrité physique pour le faire. « Si ce processus est interrompu, vous devrez sans cesse affronter votre détresse », explique-t-iel. Ces évènements pénibles peuvent causer des dommages psychologiques persistants tant qu’ils n’auront pas été surmontés dans un environnement bienveillant. Le traumatisme peut être réactivé, ou déclenché, si une personne se retrouve dans une situation qui ressemble à l’évènement initial; cela peut créer de nouveaux traumatismes ou en aggraver d’anciens. « Le traumatisme est de l’énergie, explique Bruce Dow. Cette énergie ne peut être détruite. Elle doit être libérée. »
Pour les personnes LGBTQ2S+, le traumatisme peut être diffus. En effet, la stigmatisation et la discrimination – qui sont amplifiées pour les personnes racisées ou les personnes qui utilisent des drogues – propagent le traumatisme au-delà d’un seul évènement. Le risque de réactivation du traumatisme en contexte médical s’en voit donc accru. Les soins tenant compte des traumatismes consistent à reconnaître et à prendre en compte ces réalités lors de la prestation de soins et à prendre des mesures pour éviter de traumatiser à nouveau la personne. Selon Grant Picarillo, infirmier praticien à Montréal, cela suppose de se pencher sur le parcours de la personne cliente pour comprendre où elle en est aujourd’hui. « Lorsqu’on offre des soins tenant compte des traumatismes, il ne faut pas se demander ce qui ne va pas chez la personne, mais plutôt ce qui s’est passé pour qu’elle en arrive là ». Selon Bruce Dow, il faut offrir le type de soutien que la personne n’a pas eu dans le passé. Iel y parvient en posant des questions et en répondant aux besoins des patient·e·s. « Ces personnes ont toujours besoin du soutien qu’elles n’ont jamais reçu, explique-t-iel. En quoi consiste-t-il, ce soutien? »
Au Canada, beaucoup de personnes LGBTQ2S+ subissent davantage les conséquences du VIH en raison des facteurs structurels qui créent des inégalités en matière de santé pour cette communauté. Les services en santé mentale couverts par le régime public d’assurance maladie peuvent être restreints et les personnes ayant subi un traumatisme pourraient ne pas être en mesure d’accéder aux soins dont elles ont besoin. Les services de soins de santé mentale qui ne sont pas pris en charge par le régime d’assurance public sont souvent inabordables. Les prestataires de services relatifs au VIH qui proposent des soins à la communauté LGBTQ2S+ sont parfois leur unique contact avec des services en santé mentale. Bien que ces contacts puissent aggraver les traumatismes existants, ils sont aussi l’occasion d’offrir le soutien et les orientations vers d’autres services dont les usager·ère·s ont besoin. On peut résumer le tout par le principe des quatre « R » : Réaliser l’ampleur du traumatisme, Reconnaître ses symptômes, Remédier aux symptômes et empêcher la Répétition du traumatisme.
Lorsque des usager·ère·s vivant avec un traumatisme se présentent pour un test de dépistage du VIH, le traumatisme peut être réactivé si l’environnement est bruyant ou chaotique. Un espace calme et tranquille, avec des indications claires, les aidera à se sentir à l’aise. Les traumatismes peuvent également être réactivés si les usager·ère·s ne reçoivent pas des soins attentifs et respectueux. Par exemple, les questions posées à l’admission pourraient déclencher un traumatisme lié à la discrimination si les usager·ère·s ont l’impression d’être jugé·e·s ou rabaissé·e·s. Les prestataires de services liés au VIH peuvent atténuer ce problème en employant un langage neutre pour parler de sujets tels que l’usage de drogues, les partenaires sexuel·le·s et les infections transmissibles sexuellement (un exemple serait de parler de « personnes qui utilisent des drogues » plutôt que de dire « des toxicomanes »). Ils ou elles peuvent également reconnaître que les « facteurs de risque » sont parfois des moyens de gérer des traumatismes existants; en évitant d’employer des expressions connotées (mots positifs ou négatifs) pour en parler, les prestataires encourageront les patient·e·s à parler de leur santé. Au lieu de dire aux client·e·s ce qu’ils ou elles doivent faire, les prestataires de services liés au VIH pourraient leur demander ce dont ils ou elles ont besoin (par exemple, leur demander s’ils ou elles souhaitent du matériel de réduction des méfaits au lieu de leur en fournir systématiquement). Cette approche peut donner aux client·e·s la latitude nécessaire pour poser leurs questions et diriger leur interaction.
La gestion des traumatismes pendant et après le dépistage du VIH nécessite une communication constante avec la personne et du soutien moral. Par exemple, les prestataires de services liés au VIH demanderont le consentement de la personne avant de la toucher ou de prélever un échantillon (comme une prise de sang ou un écouvillonnage buccal pour le dépistage des ITS). Ces interactions physiques ont le potentiel d’avoir un effet déclencheur chez une personne qui a déjà été victime d’une agression, par contre le fait d’expliquer le processus de dépistage avant chaque étape peut aider les client·e·s à se sentir en sécurité et soutenu·e·s. Selon M. Picarillo, le dépistage du VIH tenant compte des traumatismes signifie « créer un espace – non seulement clinique, mais émotionnel – qui est validant ». Lorsqu’une personne reçoit un résultat positif, il faut à la fois valider ses émotions et la rassurer. Un diagnostic en lui-même peut produire ou renforcer un traumatisme. En maintenant un équilibre entre l’offre d’un soutien émotionnel et la communication de renseignements de santé clairs et positifs, il est possible de l’atténuer.
Nous savons que le traitement du VIH est simple, efficace et qu’il permet de rester en bonne santé. En revanche, l’impact d’un diagnostic de VIH chez les client·e·s est une expérience réelle et valide. Lorsqu’iel traite des patient·e·s qui ont récemment reçu un diagnostic, Bruce Dow s’efforce de reconnaître la stigmatisation qui accompagne une telle nouvelle tout en normalisant la vie avec le VIH. « Si nous pouvons aider à normaliser le diagnostic, alors il peut y avoir de l’espoir », selon ellui. Iel propose à ses client·e·s « une invitation à la dissonance cognitive : le VIH est source de stigmatisation, mais je n’ai pas besoin de vivre dans cette stigmatisation. Je suis issu·e de ma culture, mais les préjugés qui y sont associés ne m’appartiennent pas.
Dan Udy est un rédacteur et réviseur installé à Toronto. Il travaille dans le secteur du VIH depuis 2018 et est titulaire d’un doctorat en sciences humaines médicales du King’s College London (R.-U.).