Premières mesures prises à Montréal pour faire face à l’éclosion du virus de la variole du singe ayant touché plusieurs pays
Le 13 mai 2022, le Royaume-Uni a signalé à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) deux cas confirmés de variole du singe. Depuis cette première déclaration, de nombreux pays ont signalé un nombre croissant de cas de cette infection, l’OMS faisant état le 21 mai 2022 de 91 cas confirmés dans des pays où cette infection n’est pas endémique.
Le 20 mai 2022, les autorités de santé publique du Canada ont confirmé les deux premiers cas d’infection par l’orthopoxvirus simien. Ces cas avaient été évalués dans des cliniques de santé sexuelle les semaines précédentes. Depuis, des cas ont été signalés par plusieurs cliniques spécialisées dans les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) de Montréal, ainsi que par des hôpitaux du centre-ville et des banlieues. La plupart des cas ont été découverts par des médecins de famille, et très peu ont nécessité des soins de soutien en milieu hospitalier. À tous les niveaux d’intervention, des cliniques communautaires au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg (Manitoba), la communication a été rapide et la mobilisation, efficace.
La clinique L’Agora est une clinique médicale de première ligne offrant le dépistage au point de service et ayant contribué au dépistage des premiers cas de cette éclosion. Voici la chronologie des événements :
1er patient : le 3 mai
Le 3 mai 2022, un premier patient présentant des symptômes généraux, notamment de la fièvre et des sueurs, ainsi qu’une hypertrophie des ganglions lymphatiques inguinaux et des symptômes ano-rectaux de constipation, de selles sanguinolentes et de douleur ano-rectale, a été examiné. Quatre pustules atypiques ont été observées à l’examen physique. Des tests de dépistage de la syphilis, de l’herpès, de la gonorrhée et de la chlamydiose ont été commandés. Étant donné que la lymphogranulomatose vénérienne (LGV) est assez répandue chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes à Montréal, on procède au dépistage systématique de cette infection en cas de résultat positif au TAAN (test d’amplification des acides nucléiques) pour le dépistage de la chlamydiose anale.
2e patient : le 10 mai
Le 10 mai 2022, un deuxième patient a été évalué. Il a déclaré avoir été exposé à la gonorrhée à la suite de relations sexuelles récentes. Il a signalé avoir présenté des douleurs ano-rectales importantes, de la diarrhée et des selles sanguinolentes. L’examen physique a révélé de multiples pustules sensibles. Le patient a refusé le prélèvement d’échantillons des lésions, mais a tout de même passé des tests de dépistage de la chlamydiose, de la gonorrhée et de la syphilis.
3e patient : le 10 mai
Le même jour, un troisième patient présentait des symptômes semblables : fièvre, sueurs, myalgies, arthralgies, ainsi que diarrhée, selles sanguinolentes et douleur ano-rectale. Des adénopathies inguinales sensibles et de multiples ulcérations périanales atypiques ont été observées à l’examen physique. Le patient a passé des tests de dépistage de la syphilis, de l’herpès (par prélèvement sur lésions), de la gonorrhée et de la chlamydiose.
4e patient : le 11 mai
Le 11 mai 2022, un quatrième patient présentant des symptômes de lésions labiales nécrotiques, une adénopathie sous-maxillaire très sensible et des symptômes généraux, a été examiné. Ce patient a déclaré avoir eu un partenaire sexuel qui présentait des lésions génitales comparables. D’après les photographies des lésions fournies, celles-ci avaient les mêmes caractéristiques que celles observées chez les patients 1 et 2. Compte tenu des tableaux cliniques et de l’absence de cause avérée, l’infection à Hæmophilus ducreyi a été envisagée dans le diagnostic différentiel. Mis à part des rapports de cas isolés au Québec, la dernière occurrence recensée de cette infection transmissible sexuellement (appelée chancre mou) dans la province remonte à 2007. On a donc procédé aux prélèvements qui s’imposaient, mais le test de dépistage n’a pu être mené à bien faute d’équipement permettant la culture locale de H. ducreyi. Notre laboratoire affilié a opté pour l’analyse d’échantillons prélevés des lésions par amplification en chaîne par polymérase comme solution de rechange, et a envoyé l’échantillon au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg.
5e patient : le 12 mai
Un cinquième cas a été recensé le 12 mai 2022. Ce patient présentait des lésions linguales, des symptômes généraux et des adénopathies cervicales. Compte tenu du groupe de cas de H. ducreyi soupçonnés, un test de dépistage de routine a été commandé et l’écouvillonnage des ulcérations typiques de H. ducreyi a été expédié aux fins d’analyses. Ce cas a été discuté entre nous, le Dr Antoine Cloutier-Blais (omnipraticien ayant traité les cinq cas susmentionnés), et le Dr Sébastien Poulin (médecin consultant local spécialisé en microbiologie médicale et en infectiologie). Ce groupe de cinq patients présentant des ulcérations d’origine inconnue et des facteurs de risque communs a été déclaré aux autorités de santé publique le jour même. À cette date, un groupe de cas de chancre mou était encore la principale hypothèse envisagée.
L’OMS fait état d’une éclosion de variole du singe
Le 14 mai 2022, l’OMS a publié son premier communiqué concernant l’éclosion de variole du singe au Royaume-Uni. Nous en avons d’abord entendu parler sur Twitter (avec le mot-clic #IDTwitter) où l’information était déjà diffusée et commentée. Cette information a été rapidement transmise aux autorités de santé publique de Montréal, qui ont autorisé des tests supplémentaires sur les échantillons disponibles déjà en cours d’analyse. Le 20 mai 2022, la confirmation des deux premiers cas canadiens de variole du singe, tous deux évalués à la clinique L’Agora, a été officiellement reçue. Quinze cas sont désormais confirmés au Québec, et autant de cas sont en attente de confirmation par les laboratoires, à l’exception des tout premiers cas présentés plus haut (ceux dont les échantillons n’ont pu être récupérés en vue d’analyses supplémentaires). Des mesures ont été prises pour récupérer le sérum de convalescent de ces personnes.
Un autre cas en dehors du groupe de cas de Montréal
Le 19 mai 2022, un patient dont le tableau clinique était beaucoup plus léger que celui du groupe de cas de Montréal a été évalué à la Clinique I.D. dans la région des Laurentides, au Québec. Le patient présentait une seule lésion pénienne indolore et n’avait pas de symptômes généraux. L’examen physique a aussi révélé la présence d’une seule adénopathie inguinale sensible. Selon le patient, cette lésion a d’abord pris la forme d’une vésicule-pustule unique ayant évolué en un amas de trois vésicules millimétriques additionnelles qui se sont rapidement encroûtées. Des tests de dépistage de la syphilis, de l’herpès, de la gonorrhée et de la chlamydiose ont été commandés. Les facteurs de risque du patient ont motivé un test par amplification en chaîne par polymérase de dépistage du virus de la variole du singe à partir d’un échantillonnage de la lésion. L’infection a été confirmée le 24 mai 2022.
Le cours de cette éclosion de variole du singe est difficile à prévoir, car la situation évolue rapidement au Canada. Depuis les premiers cas confirmés, le nombre de tests de dépistage effectués par les médecins de première ligne dans divers points de service communautaires a fortement augmenté. Les cas testés présentent un taux de positivité élevé, ce qui donne à penser que les cliniciens traitant les ITSS ont de bonnes compétences diagnostiques pour ce qui est de reconnaître les lésions suspectes. On sait que dans d’autres pays ce sont aussi des intervenant·e·s dans des cliniques spécialisées des ITSS qui ont décelé et diagnostiqué les infections par le virus de la variole du singe. Ceci nous rappelle que les médecins de famille et les cliniques communautaires jouent un rôle essentiel dans la mise en place rapide d’interventions face aux problèmes de santé publique émergents.
Antoine Cloutier-Blais, M.D., est omnipraticien à la clinique L’Agora de Montréal (Québec).
Sébastien Poulin, M.D., est médecin spécialisé en microbiologie et en infectiologie à la clinique L’Agora de Montréal (Québec) et à la Clinique I.D. de Saint-Jérôme (Québec).