Composer avec la sixième vague de COVID-19 en tant que personne vivant avec le VIH
En tant que personne vivant avec le VIH, je reçois régulièrement des appels et des messages de mes pairs qui ont des questions à poser concernant la COVID-19 : « Quand je rends visite à ma famille, dois-je porter un masque? », « Dois-je recevoir une quatrième dose de vaccin, et quand? », « Pourquoi l’obligation de porter un masque est-elle levée alors que nous faisons face à une sixième vague? ».
Alors que le Canada affronte la sixième vague de la pandémie de COVID-19 et que les deuxièmes doses de rappel sont en train d’être administrées, les mesures de santé publique telles que le port du masque et les restrictions de rassemblements disparaissent. Ce mélange confus d’informations amène les personnes vivant avec le VIH qui s’efforcent de protéger leur santé et de vivre leur vie à faire des choix quotidiens stressants. J’ai compilé quelques-unes de leurs questions les plus fréquentes et les ai posées à une experte : la Dre Cecilia Costiniuk, chercheuse au Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC et professeure agrégée au département des maladies infectieuses de l’Université McGill.
Quels sont les critères à remplir pour être considéré·e comme une personne immunodéprimée relativement à la COVID-19?
Dans l’ensemble, les prestataires de soins de santé considèrent plusieurs groupes de personnes comme immunodéprimées, notamment les personnes qui reçoivent une chimiothérapie ou d’autres médicaments qui affaiblissent le système immunitaire, ou qui sont atteintes d’une maladie ou d’un trouble qui compromet l’immunité. Les personnes vivant avec le VIH qui ne suivent pas de traitement ou dont le taux de CD4 est inférieur à 200 cellules/mm3 sont considérées comme immunodéprimées. Les personnes immunodéprimées sont considérées comme les plus susceptibles de présenter une maladie grave si elles contractent la COVID-19. Cependant, d’autres facteurs de risque entrent aussi en compte (p. ex. le fait d’être âgé·e de plus de 75 ans, d’être atteint·e d’une maladie pulmonaire grave ou d’être sous dialyse). Si une personne présente plusieurs de ces facteurs de risque simultanément, elle peut être particulièrement vulnérable à la COVID-19. En général, les facteurs qui font augmenter le plus le risque de décès lié à la COVID-19 sont l’âge avancé et le fait d’avoir reçu une greffe d’organe ou un diagnostic récent d’un cancer du sang comme la leucémie ou le lymphome.
Maintenant que l’obligation de porter un masque est levée, dois-je continuer à en porter un?
Oui. La COVID-19 est loin d’être une chose du passé. Bien que l’obligation de porter un masque dans certains lieux soit en train d’être levée, nous devons nous rappeler que les masques présentent des avantages tant sur le plan individuel que collectif. Le SRAS-CoV-2, le virus à l’origine de la COVID-19, se propage principalement par l’inhalation de gouttelettes respiratoires produites lorsque nous respirons, nous parlons, nous toussons ou nous éternuons. Les masques sont utiles tant pour la personne qui les porte que pour son entourage et la collectivité, car ils permettent de réduire la propagation des gouttelettes contenant le virus. Le masque est particulièrement utile lorsque les personnes qui le portent sont asymptomatiques ou présymptomatiques et qu’elles se sentent bien, car ces dernières peuvent ignorer qu’elles sont contagieuses (on estime que cela représente plus de 50 % des cas de transmission du SRAS-CoV-2). Les personnes qui portent un masque sont moins susceptibles de transmettre la COVID-19 si elles ont contracté le virus. Elles sont également moins susceptibles d’inhaler des gouttelettes contenant le virus. L’efficacité de cette mesure mixte (contrôle à la source et effet de filtration protégeant la personne porteuse) augmente si un plus grand nombre de personnes portent un masque de manière systématique et adéquate. Le port du masque est particulièrement utile lorsque la distanciation physique est impossible ou difficile à prévoir.
Quel est le degré d’exactitude des tests rapides à domicile? Que faire si je présente des symptômes de la COVID-19 après un grand rassemblement, mais que le résultat de mes tests reste négatif?
Les tests antigéniques à domicile sont beaucoup moins fiables que les tests PCR (test de l’acide nucléique ou test moléculaire); un résultat négatif à un test antigénique à domicile ne permet pas d’écarter une infection. Quelques exemples :
- Si vous obtenez un résultat négatif, mais que vous présentez des symptômes de la COVID-19, il se peut que vous ayez effectué le test avant que le virus devienne détectable, ou que vous ayez contracté une autre infection comme la grippe.
- Si vous ne présentez pas de symptômes de la COVID-19, mais que vous avez été en contact étroit avec une personne qui en est atteinte et que vous avez obtenu un résultat négatif cinq jours après l’exposition, cela signifie que le test n’a pas permis de détecter le virus. Vous n’êtes probablement pas infecté·e, mais une infection ne peut être tout à fait écartée.
En général, les résultats des tests d’autodépistage à domicile peuvent être interprétés comme suit :
- Les résultats positifs aux tests d’autodépistage sont très fiables et, en pareil cas, vous pouvez considérer que vous avez contracté la COVID-19.
- Les résultats négatifs aux tests d’autodépistage n’excluent pas la COVID-19. Un résultat négatif à un test d’autodépistage n’est pas forcément fiable, surtout si vous présentez des symptômes de la COVID-19.
- Un résultat non valide à un test d’autodépistage signifie que le test n’a pas été effectué correctement et qu’un nouveau test doit être réalisé.
Quels sont les critères à remplir pour obtenir un test de dépistage de la COVID-19?
Ces critères varient selon la province ou le territoire où vous habitez. Certains et certaines ont mis en place des programmes de distribution gratuite de trousses de dépistage rapide de la COVID-19, et d’autres offrent des programmes de dépistage à grande échelle. Consultez le site Web de votre gouvernement provincial ou territorial pour vous renseigner. Les liens vers les sites provinciaux et territoriaux sont répertoriés sur le site Web de Santé Canada; vous y trouverez de l’information sur les points d’accès aux tests PCR et aux tests rapides.
Quels sont les traitements offerts aux personnes vivant avec le VIH qui ont contracté la COVID-19? Comment puis-je y avoir accès?
Santé Canada a homologué un certain nombre de traitements contre la COVID-19. Ceux-ci sont accessibles dans le cadre des services de santé des provinces et des territoires. Chaque province et territoire décide des modalités d’administration de ces médicaments en fonction de ses besoins. Ces médicaments sont soit des antiviraux, soit des anticorps monoclonaux. Les antiviraux empêchent la réplication du virus, tandis que les anticorps monoclonaux agissent comme des substituts d’anticorps anti-COVID-19 lorsque l’organisme ne produit pas lui-même des quantités suffisantes d’anticorps. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’aucun médicament ne saurait remplacer un vaccin. La vaccination est le meilleur moyen de prévenir les formes graves de la COVID-19.
Paxlovid est le premier traitement contre la COVID-19 à prendre par voie orale à domicile homologué au Canada. Il renferme deux médicaments antiviraux, le nirmatrelvir et le ritonavir, et sert à traiter les adultes symptomatiques atteint·e·s d’une forme légère ou modérée de la COVID-19, et qui présentent un risque élevé de maladie grave, pouvant entraîner l’hospitalisation ou le décès. Si vous avez contracté la COVID-19, vous devrez déterminer avec votre médecin si vous êtes admissible au traitement par Paxlovid. Étant donné que ce médicament fait l’objet de nombreuses interactions médicamenteuses, il est important de vérifier que la prise de Paxlovid est sans danger pour vous.
Evusheld, une association d’anticorps monoclonaux, peut être utilisé par les personnes immunodéprimées dont le système immunitaire ne peut pas répondre efficacement au vaccin contre la COVID-19, ou par les personnes qui ne peuvent pas être vaccinées.
Le remdésivir, un antiviral, est désormais autorisé comme traitement de la COVID-19 à domicile. S’il est administré dans les sept jours suivant l’apparition des symptômes, le remdésivir permet de réduire le nombre d’hospitalisations chez les personnes susceptibles de présenter une forme grave de la COVID-19.
Que faire si le port du masque n’est pas obligatoire dans mon lieu de travail ou dans d’autres lieux que je dois fréquenter? Vais-je être pointé·e du doigt ou stigmatisé·e si je porte un masque?
Le fait de continuer de porter un masque ne devrait pas exposer qui que ce soit au risque de se voir pointé·e du doigt ou stigmatisé·e, car il présente encore des avantages tant sur le plan individuel que collectif. Toutefois, la stigmatisation et la désinformation subsistent, deux choses auxquelles les personnes vivant avec le VIH sont malheureusement confrontées. Une des manières de lutter contre la stigmatisation liée à la COVID-19, ou à tout autre problème, est de connaître les faits et de les faire connaître aux autres. Voici quelques suggestions (en anglais seulement) visant à réduire la stigmatisation, émanant des U.S. Centers for Disease Control and Prevention (centres américains de contrôle et de prévention des maladies) :
« Les dirigeant·e·s communautaires et les responsables de la santé publique peuvent contribuer à la prévention de la stigmatisation par les moyens suivants :
- En protégeant la vie privée et la confidentialité des personnes qui ont recours aux services de santé, et de celles qui prennent part aux recherches des contacts.
- En expliquant rapidement le risque, ou l’absence de risque, en cas de contact avec des produits, des personnes et des milieux.
- En corrigeant le discours négatif qui peut être source de stigmatisation par le biais d’une information exacte sur le mode de propagation du virus.
- Speaking out against negative behaviours and statements, including those on social medi
- En dénonçant les comportements et déclarations préjudiciables, y compris dans les médias sociaux.
- En veillant à ce que les images utilisées dans les campagnes de communication représentent des communautés diverses et ne renforcent pas les stéréotypes.
- En recourant aux médias, y compris les médias d’information et les médias sociaux, pour dénoncer les stéréotypes concernant les groupes de personnes victimes de stigmatisation liée à la COVID-19.
- En exprimant leur gratitude aux professionnel·le·s de la santé, aux intervenant·e·s et aux autres personnes actives en première ligne.
- En proposant des ressources en ligne en matière de santé mentale ou d’autres services de soutien social destinés aux personnes victimes de stigmatisation ou de discrimination. »
Dans quelle mesure la « COVID longue » affecte-t-elle les personnes vivant avec le VIH?
La plupart des personnes atteintes d’une forme légère ou modérée de la COVID-19 présentent des symptômes pendant environ deux semaines. Cependant, certaines personnes présentent des symptômes qui persistent pendant des semaines, voire des mois (on parle alors de COVID longue ou de COVID de longue durée). À ce jour, peu d’études ont porté sur les cas de COVID longue chez les personnes vivant avec le VIH. Dans le cadre d’une étude réalisée dans une clinique privée en Inde, 94 personnes vivant avec le VIH ont été soumises au dépistage de la COVID longue : 10 personnes (11 %) présentaient des symptômes persistants après un délai médian de 109 jours depuis l’apparition des symptômes. D’après les résultats d’une autre étude menée en Italie auprès de 123 personnes vivant avec le VIH, le risque de présenter une COVID longue dépend des facteurs analogues à ceux qui concernent la population générale, à savoir la gravité de la COVID-19 et la polypharmacie (prise quotidienne de plus de deux médicaments non antirétroviraux, ce qui est un indicateur d’affections concomitantes multiples). De nouvelles données seront probablement recueillies avec le temps. Pour le moment, les données disponibles ne permettent pas de déterminer combien de temps les personnes vivant avec le VIH peuvent être affectées par la COVID comparativement aux personnes non porteuses du VIH.
Les symptômes durables les plus fréquents sont la fatigue, l’essoufflement, la toux, les douleurs articulaires et les douleurs thoraciques. On signale parfois d’autres symptômes, notamment des troubles cognitifs, des difficultés de concentration, un état dépressif, des douleurs musculaires, des maux de tête, une fréquence cardiaque élevée et une fièvre intermittente. La raison pour laquelle la COVID longue se déclare chez certaines personnes n’est pas encore connue.
Les personnes vivant avec le VIH présentent-elles un risque plus élevé d’issues graves?
Nous l’ignorons. Nous ne disposons pas encore de données suffisantes pour répondre clairement à cette question, car nous n’avons pas fini de comprendre l’incidence de la COVID-19 sur les personnes vivant avec le VIH. La difficulté que soulève cette question tient au fait que près de la moitié des personnes vivant avec le VIH en Amérique du Nord ont plus de 50 ans et présentent des taux élevés d’affections concomitantes, notamment de maladies cardiovasculaires et de cancers. L’âge avancé et les affections concomitantes sont deux facteurs de risque de maladie grave liée à la COVID. Il est donc parfois difficile de distinguer l’effet relatif de l’infection par le VIH d’autres facteurs de risque tels que l’âge avancé et les affections concomitantes. En outre, il semble que les déterminants sociaux de la santé (les conditions dans lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent, et les systèmes mis en place pour faire face aux maladies) jouent un rôle considérable dans l’évolution de la maladie.
Les personnes vivant avec le VIH et faisant face à des problèmes de santé sous-jacents tels que l’obésité, un diabète mal maîtrisé, une maladie rénale chronique et l’hypertension, semblent plus susceptibles de présenter une forme grave de la COVID-19 si elles contractent l’infection. Un faible taux de CD4 (< 200 cellules/mm3), une charge virale détectable ou le fait de ne pas suivre de traitement antirétroviral sont également des facteurs de risque d’évolution défavorable. Ces personnes ont également tendance à réagir plus faiblement à de nombreux vaccins, y compris les vaccins contre la COVID-19. Par conséquent, il est très important que les personnes vivant avec le VIH continuent d’adhérer scrupuleusement à leur traitement antirétroviral et de mener une vie saine. Elles doivent également s’assurer de recevoir les doses de rappel d’autres vaccins comme les vaccins antigrippaux et antipneumococciques.
Shari Margolese a commencé à défendre activement les intérêts des personnes vivant avec le VIH peu de temps après avoir reçu elle-même son diagnostic en 1993. Elle est actuellement coresponsable des équipes de mobilisation communautaire du Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC et coprésidente du comité consultatif communautaire de Canadian Cure Enterprise (CanCURE). Shari vit dans une région rurale du sud-ouest de l’Ontario.
La Dre Cecilia Costiniuk est professeure agrégée au département des maladies infectieuses de l’Université McGill et chercheuse associée au sein du programme des maladies infectieuses et de l’immunité dans la santé mondiale du Centre universitaire de santé McGill. Elle est récemment devenue codirectrice du Groupe de recherche sur les vaccins et les immunothérapies du Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC. La Dre Costiniuk dirige actuellement une étude visant à comprendre l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 chez les personnes vivant avec le VIH (CTN 328). Cette étude permettra de déterminer la part relative de l’infection par le VIH dans la réponse immunitaire au vaccin contre la COVID-19 en regard d’autres facteurs de risque tels que l’âge avancé et les affections concomitantes.