Parentalité, usage de substances et système de protection de la jeunesse : partager ses expériences vécues et offrir du soutien

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Cassandra Smith est spécialiste en réduction des méfaits au sein de l’organisme Black CAP. CATIE s’est récemment entretenu avec Cassandra sur la manière dont son expérience vécue en tant que membre de la communauté et parent a orienté son travail en réduction des méfaits, et comment les programmes et les services de réduction des méfaits peuvent répondre aux besoins des parents racisés qui utilisent des substances.

Qu’est-ce qui vous a motivée à travailler en réduction des méfaits?

Je travaille dans le domaine de la réduction des méfaits par intermittence depuis que j’ai 17 ans. Plusieurs aspects de ce travail me touchent. Je sens que j’ai une place dans la réduction des méfaits et que je peux créer des liens uniques dans la communauté. J’apporte mon expérience vécue dans mon travail en réfléchissant à ce dont j’avais besoin et ce que je n’ai pas eu. Quand ma vie a commencé à changer et que je faisais face à des difficultés, je n’avais pas d’endroit où je pouvais obtenir du soutien pour surmonter ces défis ou obtenir de l’aide pour naviguer dans le système de protection de la jeunesse. Les communautés racisées font l’objet d’une surveillance extrême et d’interventions policières excessives, et leurs membres craignent donc de divulguer leur usage de substances et ne sont pas à l’aise d’avoir recours à certains services. Ainsi, quand je réfléchis à mes expériences de l’usage de substances, je pense à des services dont j’aurais pu me prévaloir, comme l’accès au logement et d’autres types de soutien social. Maintenant, j’essaie de cerner les ressources que je n’ai pas eues et j’essaie de les offrir à ma communauté. Je partage aussi mes propres expériences avec les usager·ère·s des services que nous offrons afin qu’ils et elles sachent que je ne m’attends pas simplement à ce qu’ils ou elles se confient à moi, mais que je peux aussi comprendre ce qu’ils ou elles vivent. Je pense que c’est une bonne façon de lier mon travail à la vie que j’ai vécue, et ça m’aide à tisser des liens avec la communauté.

Quels sont les types de défis auxquels sont confrontés les parents qui utilisent des substances?

D’après mes expériences et ce que la communauté me raconte, les parents qui utilisent des substances sont confrontés à de nombreux défis avec le système de protection de la jeunesse. D’abord, nous avons découvert que des rapports sont soumis plus souvent aux services de protection de la jeunesse concernant des familles noires et autochtones, majoritairement en raison d’une surveillance excessive au sein de ces communautés. Peut-être que l’école ou la garderie a remarqué un signe préoccupant – par exemple une odeur de cannabis sur le manteau de l’enfant. Nous avons vu des cas où l’odeur seule a fait en sorte que des enfants qui portent des dreadlocks ont été retirés de la garderie. Lorsqu’il y a des doutes quant à l’usage de substances, les services de protection de la jeunesse peuvent s’en mêler. Ils peuvent faire enquête au domicile et ensuite tout peut arriver – les enfants peuvent être séparés de leurs parents.

Les services de protection de la jeunesse ont parfois une approche incohérente face à l’usage de substances. Certains parents, souvent ceux qui ne sont pas racisés, sont en mesure de faire un plan de consommation plus sécuritaire avec les services de protection de la jeunesse. Ce plan précise qui s’occupera de l’enfant ou comment l’enfant sera pris en charge pendant qu’ils consomment. Mais pour les parents noirs et autochtones, l’usage de substances semble toujours perçu comme un problème ou une « dépendance », une « addiction », comme si c’est quelque chose que nous ne pouvons pas gérer. Par exemple, une mère blanche peut dire qu’elle consomme de l’alcool au souper, mais une mère noire ne peut pas dire qu’elle utilise du cannabis quand ses enfants sont couchés sans que ce soit retenu contre elle. Ils perçoivent certains types d’usage de substances comme un signe de négligence ou d’incapacité, et supposent que le parent n’est pas en mesure d’élever son enfant pour cette raison. Ils ne comprennent pas que les gens peuvent élever leurs enfants et utiliser des substances de manière sécuritaire.

Qu’est-ce que les prestataires de services de première ligne peuvent faire pour appuyer les parents qui utilisent des substances?

C’est très difficile pour les parents qui utilisent des substances d’élever leurs enfants seul·e parce qu’ils sont sous surveillance. Ils sont jugés et perçus comme s’ils étaient de moins bons parents. Selon mes propres expériences, je pense que la plus grande priorité est le soutien. Le soutien peut provenir de voisin·e·s, d’ami·e·s, de la famille, de membres de la communauté ou d’intervenant·e·s de la communauté comme moi, en tous les cas les parents ont besoin d’un système de soutien. Ce soutien peut inclure plusieurs choses : les arrimer à des programmes communautaires, leur fournir du transport pour faire l’épicerie, les accompagner à des rendez-vous, et les aider à se faire représenter au tribunal de la famille. Il est vraiment important d’offrir du soutien et de donner aux parents divers choix et manières d’accéder aux services.

Une autre priorité est d’offrir du soutien et de défendre les parents lors des rencontres avec les services de protection de la jeunesse, et d’aider les parents à naviguer dans le système. Il peut s’agir de les aider à se préparer aux rencontres et d’être présent·e durant ces rencontres pour servir d’intermédiaire entre les services de protection de la jeunesse et les familles. Par exemple, j’essaie toujours de sensibiliser les intervenant·e·s par rapport à leur langage durant les rencontres. S’ils commencent à utiliser le terme « dépendance » ou « addiction » pour parler de l’usage de substances ou qualifient le parent de « dépendant » ou de « toxicomane », je leur demande de se corriger parce que ces généralisations seront problématiques dans le processus judiciaire.

Comment les organismes peuvent-ils améliorer leurs politiques et leurs programmes pour soutenir les parents qui utilisent des substances?

Je pense que ça doit commencer à l’interne, soit en déterminant les politiques de l’organisme qui peuvent être néfastes pour les employé·e·s qui ont fait usage de substances ou qui en font toujours. Les organismes doivent s’assurer que le milieu de travail est flexible et que du soutien est offert à tous. En s’assurant que les intervenant·e·s ayant un savoir expérientiel sont à l’aise et se sentent soutenu·e·s, on rend le milieu de travail sécuritaire pour les parents, et on améliore également les relations avec les usager·ère·s des services en question.

En ce qui concerne les programmes à offrir, je crois que nous avons besoin de davantage de groupes de soutien parental. Certaines personnes qui viennent dans les centres de réduction des méfaits n’ont peut-être pas accès à leurs enfants, mais ils sont tout de même des parents, quelle que soit leur situation. Je pense que beaucoup de personnes se sentent isolées et pensent que cette situation n’arrive qu’à elles. Les séances de groupe peuvent aider les personnes à se sentir soutenues et moins seules par rapport à leurs expériences. Il serait aussi utile de donner accès à du soutien individuel, par exemple une thérapie ou du counseling pour le deuil et la perte. Les organismes peuvent également analyser les services qu’ils offrent déjà et trouver des manières de les améliorer et travailler avec des partenaires de la communauté afin de répondre aux besoins particuliers des parents.

Pour écouter d’autres propos de Cassandra, visionnez sa vidéo de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues :

Cassandra Smith est une mère, une spécialiste de la réduction des méfaits et une conférencière de Toronto. Elle donne des ateliers, des formations et fait des présentations lors desquels elle partage ses compétences sur la stigmatisation, la surveillance de la protection de la jeunesse, le racisme systémique, les obstacles à l’accès aux services et les expériences des personnes africaines, caraïbéennes et noires qui utilisent des substances.

 

 

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