I=I devrait rimer avec liberté reproductive, mais de nombreuses cliniques de fertilité ne se sont pas encore au diapason

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Une personne vivant avec le VIH appelle une clinique de fertilité pour prendre un rendez-vous. Elle s’y prépare depuis des mois, a choisi le bon moment, trouvé le soutien adéquat… et les mots qu’il faut. Mais au lieu d’accéder facilement aux services, on lui explique qu’elle doit être aiguillée autre part, ou que la clinique ne sait pas très bien si elle peut les lui offrir, ou, pendant que quelqu’un se demande comment lui répondre, c’est le silence au bout du fil.

Pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH qui souhaitent fonder une famille au Canada, cette expérience a un air de déjà-vu.

Pour ces personnes, la parentalité et la préparation à la grossesse devraient être des aspects soutenus et valorisants des soins de santé. Est-il encore nécessaire de l’expliquer? Lorsqu’une personne vivant avec le VIH suit une thérapie antirétrovirale et que sa charge virale est durablement supprimée, le virus n’est pas transmis au partenaire sexuel·le. Avec les soins périnataux adéquats, la probabilité de le transmettre pendant la grossesse et à la naissance est nulle. Les données de surveillance canadiennes indiquent des taux de transmission périnatale de 0,6 % ou moins, et la plupart des provinces ne rapportent aucune transmission depuis des décennies. Ces résultats reflètent les grands progrès réalisés et correspondent aux lignes directrices nationales et internationales qui préconisent une pleine liberté reproductive et un accompagnement total pendant la grossesse des personnes vivant avec le VIH.

Pourtant, l’autonomie reproductive ne fait pas encore l’unanimité au pays. Bon nombre de personnes qui souhaitent planifier une grossesse se heurtent à de l’hésitation, des retards, ou à des politiques encore en retard par rapport aux avancées scientifiques. Ces obstacles ne se limitent pas à de simples malentendus au moment des consultations : ils reflètent des structures et des systèmes plus profonds qui n’ont pas évolué au même rythme que les données probantes.

Nous avons récemment mené un sondage national auprès des cliniques de fertilité pour comprendre comment les soins sont actuellement offerts. Les résultats montrent des progrès, mais aussi des lacunes persistantes qui continuent de limiter l’autonomie reproductive des personnes vivant avec le VIH.

Ce que font actuellement les cliniques de fertilité

En 2023, un peu plus de 50 % des cliniques ayant répondu au sondage ont déclaré qu’elles offriraient des consultations aux personnes vivant avec le VIH. Cela représente une diminution de l’accès par rapport aux résultats d’un sondage similaire mené en 2014, lorsque presque toutes les cliniques interrogées acceptaient les personnes aiguillées. De plus, au Canada, l’accès à la procréation assistée varie considérablement d’un endroit à l’autre. De nombreuses cliniques ne proposaient que l’insémination intra-utérine (IIU), et seules quatre provinces comptaient au moins une clinique offrant la fécondation in vitro (FIV).

La disponibilité de la procréation assistée dépend également de la suppression virale. La plupart des cliniques accueillant la patientèle vivant avec le VIH proposaient l’IIU ou la FIV en cas de charge virale indétectable. Très peu offraient la procréation assistée lorsque celle-ci est détectable. Là encore, l’accès à ces services reste cantonné à quelques provinces seulement et uniquement dans les grandes villes.

La connaissance et l’utilisation des Lignes directrices canadiennes en matière de planification de la grossesse en présence du VIH étaient également limitées chez les répondant·e·s. Certain·e·s prestataires les connaissaient et les appliquaient; d’autres en avaient entendu parler, mais ne les avaient pas intégrées à leur pratique; et d’autres ne les connaissaient pas du tout. Dans l’ensemble, ces résultats montrent que les soins reproductifs pour les personnes vivant avec le VIH au Canada sont façonnés par la politique des cliniques, le confort des prestataires et la géographie — et pas seulement par les preuves médicales ou la préparation de la patientèle.

Ce que I=I signifie pour la planification de la grossesse

 « indétectable = intransmissible » a fondamentalement changé ce à quoi ressemble une planification de la grossesse sécuritaire et soutenue. Lorsque la charge virale est indétectable, le VIH n’est pas transmis par l’activité sexuelle. Et lorsque quelqu’un est indétectable avant la conception et bénéficie d’un soutien pour maintenir la suppression virale tout au long de la grossesse, le risque de transmission du VIH à l’enfant est nul. Pour les personnes qui prévoient une grossesse, cela signifie qu’une activité sexuelle sans préservatif dans un but de procréation est sécuritaire lorsque la charge virale est indétectable, et que la grossesse et la naissance peuvent se dérouler sans risque de transmission.

La pratique actuelle au Canada appuie la prise de décision partagée entourant l’alimentation des nourrissons lorsque la charge virale est supprimée. Cela permet aux parents vivant avec le VIH qui choisissent d’allaiter de bénéficier d’un soutien clinique éclairé et exempt de jugement. En même temps, elle reconnaît que — bien que le risque soit extrêmement faible — la possibilité de transmission du VIH par l’allaitement ne peut être confirmée comme étant nulle.

I=I a non seulement été prouvé scientifiquement, mais il s’agit aussi d’un message sur la sécurité, la confiance et le sentiment d’appartenance : les personnes vivant avec le VIH peuvent nouer des relations, fonder une famille et avoir une vie intime sans crainte. Lorsque les systèmes de santé ne reflètent pas uniformément le principe I=I, le message reçu par les patient·e·s peut sembler ambigu ou conditionnel. Cette incohérence sape à la fois l’autonomie reproductive et le bien‑être émotionnel.

Pourquoi s’agit-il d’un enjeu d’équité?

La stigmatisation entourant la grossesse et le VIH n’affecte pas tout le monde de la même manière. Les femmes, les personnes trans et non binaires vivant avec le VIH se heurtent souvent à plusieurs couches de discrimination, notamment le racisme, le colonialisme, la transphobie et le sexisme, en plus de la stigmatisation liée au VIH. Pour beaucoup, la possibilité d’un rejet ou d’un jugement pendant une discussion sur la grossesse n’est pas une hypothèse; c’est une expérience vécue. Si une clinique de fertilité répond avec hésitation ou réoriente la personne pour recevoir ses soins, il en résulte plus qu’un simple désagrément. Cela peut donner l’impression d’un déni de soins centrés sur la personne. L’autonomie reproductive, c’est non seulement la capacité de tomber enceinte, c’est aussi la capacité de prendre des décisions concernant son corps et sa famille.

Et maintenant?

L’aspect encourageant de nos résultats est que les prestataires de services de fertilité ne sont pas réticents au changement. Bon nombre d’entre eux sont motivés à améliorer les soins et souhaitent des orientations plus claires, des formations et des cadres politiques qui soutiennent l’inclusion plutôt que la prudence. La science est là. Les lignes directrices sont également là. L’expérience vécue des femmes et des personnes non binaires vivant avec le VIH est là, elle aussi. Le travail consiste donc maintenant à veiller à ce que nos systèmes rattrapent leur retard.

Nous devons nous assurer que la planification de la grossesse soit abordée systématiquement dans les soins liés au VIH, que les cliniques de fertilité adoptent et mettent à jour des politiques éclairées par le principe I=I, et que les environnements de soins reflètent le respect de la vie et des familles des personnes vivant avec le VIH. Avant tout, cela signifie placer le leadership des personnes vivant avec le VIH au cœur de la conception et de l’évaluation des soins reproductifs. Les clinicien·ne·s et les prestataires de services peuvent suivre un cours en ligne gratuit et accrédité en cinq parties, basé sur les Lignes directrices canadiennes en matière de planification de la grossesse en présence du VIH de 2018. Cette formation autodirigée a été conçue spécifiquement pour les prestataires pour leur apprendre à communiquer des informations essentielles en matière de santé reproductive dans le contexte du VIH.

Nous savons que la grossesse est sans danger lorsque la suppression virale est maintenue. Nous savons en outre que les personnes vivant avec le VIH sont des parents et des aides familial·le·s dans toutes les communautés. Il est maintenant temps que les systèmes de santé soutiennent leurs droits à fonder une famille sans obstacles inutiles. Faisons en sorte que cette vision se réalise — suivez le cours en ligne.

 

La docteure Mona Loutfy est spécialiste des maladies infectieuses, clinicienne-chercheuse et professeure titulaire à l’Université de Toronto et à l’Hôpital Women’s College de Toronto. Sa principale pratique clinique se situe à la Maple Leaf Medical Clinic, où elle se spécialise dans les soins des femmes, des personnes de diverses identités de genre, des jeunes et des couples vivant avec le VIH, ainsi que dans la santé reproductive et le VIH. Elle a fondé le Women HIV and Health Research Program au Women’s College Research Institute en 2006 pour mener des recherches avec et pour les femmes vivant avec le VIH, lutter contre la stigmatisation et l’inégalité en matière de santé, et optimiser la prestation des soins de santé ainsi que les résultats.

Amy Ly est coordinatrice de recherche au sein du Women HIV and Health Research Program. Elle détient une maîtrise en sciences de l’Université de Toronto et possède quatre ans d’expérience dans la direction de projets de recherche sur le VIH/les ITSS et de systèmes de santé communautaires. Son travail se concentre sur l’élargissement des modèles de soins du VIH axés sur les femmes, le renforcement de la communication entre patient·e·s et les prestataires de soins, et la promotion de l’équité dans les services de santé.

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