L’hépatite B chronique au Canada : obstacles, perspectives et voies à suivre

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L’hépatite B est une infection du foie causée par le virus de l’hépatite B (VHB) et qui peut être aiguë ou chronique. Dans la plupart des cas, l’infection par le VHB est transmise de la mère à l’enfant à la naissance, peu après la naissance ou pendant la petite enfance. Les études montrent que l’infection est plus susceptible de se prolonger quand elle affecte les bébés et les jeunes enfants, de sorte que la vaccination à la naissance est cruciale pour prévenir la transmission.

Les autres modes de transmission comprennent l’exposition à des liquides corporels contenant le virus tels que le sang, la salive, les sécrétions vaginales et le sperme. Les principales voies de transmission sont l’usage de drogues injectables, les rapports sexuels vaginaux, anaux et oraux, le fait d’être né·e d’une mère porteuse du VHB et l’exposition à du sang ou à des produits sanguins dans les régions où l’infection est endémique ou à du matériel médical qui n’est pas bien stérilisé.

Partout dans le monde, le VHB constitue une menace majeure pour la santé publique. On estime que 257 millions de personnes (3,2 % de la population mondiale) vivaient avec une infection par le VHB en 2022, avec environ 1,5 million de nouveaux cas par an. Non traitée, l’hépatite B entraîne des taux élevés de complications liées au foie, telles que la cirrhose, le cancer du foie et la mortalité. Les données disponibles au Canada montrent un taux de mortalité par maladies hépatiques plus élevé chez les personnes vivant avec le VHB que chez celles qui ne sont pas infectées par ce virus. Ce fait souligne le besoin urgent de stratégies globales de prévention et de prise en charge de l’hépatite B afin d’atténuer l’impact de cette maladie sur la santé publique. Cela dit, ces complications ne surviennent pas chez tou·te·s les patient·e·s atteint·e·s d’hépatite B, et il est important de déterminer qui bénéficiera d’un traitement et de proposer un tel traitement conformément aux lignes directrices actuelles de prise en charge de l’hépatite B.

Au Canada, les populations prioritaires pour les interventions contre le VHB sont les Autochtones, les personnes qui utilisent des drogues injectables, les immigrant·e·s, les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les jeunes de la rue et les personnes qui sont ou ont été incarcérées. Il est primordial de mettre au point des interventions ciblées pour ces populations si nous voulons répondre aux besoins de chaque groupe et surmonter les obstacles qui leur sont propres.

Épidémiologie de l’hépatite B au Canada

L’infection par le VHB est un grave problème de santé publique au Canada. Bien qu’il y ait peu de données sur la prévalence au Canada, nous savons qu’il y avait environ 250 000 à 460 000 personnes vivant avec une infection par le VHB en 2018. Nous savons également que moins de 25 % des personnes admissibles au traitement en ont reçu un. Cette lacune en matière de traitement représente une importante difficulté dans nos efforts de prise en charge de l’hépatite B et de prévention de ses complications.

En 2021, la Colombie-Britannique avait le taux le plus élevé d’hépatite B déclarée (16,2 pour 100 000 personnes) parmi toutes les provinces, soit près de deux fois le taux national (8,9 pour 100 000 personnes). Les taux d’hépatite B au Canada pourraient encore augmenter avec l’accroissement de l’immigration, qui devrait représenter 34 % de la population totale d’ici 2041. Cette évolution démographique fait ressortir la nécessité de disposer de services de lutte contre l’hépatite B accessibles et adaptés à la culture afin de garantir des soins de santé équitables à tou·te·s les Canadien·ne·s.

Chez la plupart des adultes, l’hépatite B est une infection de courte durée, mais des études récentes menées au Canada ont mis en lumière les caractéristiques démographiques de l’hépatite B chronique, une infection qui persiste pendant plus de six mois. Une analyse nationale portant sur 9 380 personnes atteintes d’hépatite B chronique dans huit provinces canadiennes a révélé que la plupart de ces personnes étaient d’âge plus avancé (avec un âge médian de 48 ans), de sexe masculin et d’origine asiatique. Une autre étude portant sur 1 539 869 personnes ayant donné du sang pour la première fois au Canada entre 2005 et 2022 a révélé des résultats similaires, notamment une prédominance dans les quartiers diversifiés sur le plan ethnoculturel et dans les milieux à faible revenu en raison de la marginalisation et du manque d’accès à l’information et au traitement. Ces résultats soulignent l’importance d’adapter les interventions de lutte contre le VHB aux besoins particuliers des diverses communautés du Canada.

Obstacles en matière de prévention et de prise en charge de l’hépatite B au Canada

Malgré la charge élevée que représente l’hépatite B chronique, de nombreuses personnes ne sont pas arrimées aux soins ou ne reçoivent pas de traitement, y compris celles qui répondent aux critères énoncés dans les lignes directrices de traitement de l’Association canadienne pour l’étude du foie. Par exemple, nos travaux récents ont montré qu’en Colombie-Britannique, seulement 52 % des personnes ayant reçu un diagnostic d’hépatite B chronique et de cirrhose recevaient un traitement. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à ces faibles taux de traitement, notamment la difficulté à atteindre les groupes depuis toujours mal desservis au Canada, tels que les personnes racisées, les personnes institutionnalisées ou mal logées, les personnes qui utilisent des drogues et les personnes ayant des besoins en matière de santé mentale. En outre, les immigrant·e·s se heurtent à de multiples obstacles pour accéder aux soins de santé, notamment des facteurs culturels, linguistiques et socio-économiques, par exemple l’impossibilité de s’absenter de son travail pour se faire soigner. Les patient·e·s peuvent également refuser le traitement par interféron en raison de ses effets secondaires indésirables.

Les faibles taux de traitement dans le groupe qui y est admissible sont alarmants étant donné que l’hépatite B chronique peut entraîner de graves complications, telles que la cirrhose, le cancer du foie et la mortalité, en particulier chez les personnes présentant des maladies concomitantes comme l’infection par le VIH, la stéatose hépatique non alcoolique ou la co-infection par le virus de l’hépatite C. Non seulement cette situation a un impact sur les résultats de santé individuels, mais elle met également à rude épreuve notre système de santé.

En outre, il existe peu de données sur la cascade de soins liés à l’hépatite B au Canada. La cascade de soins est un outil utile pour évaluer la prestation de soins liés aux infections chroniques, du diagnostic jusqu’à la suppression virale, ce qui peut éclairer l’allocation des ressources et la planification des services. Une étude ontarienne comparant la cascade de soins pour le VHB chez les immigrant·e·s et les résident·e·s de longue durée a mis en évidence des lacunes importantes dans la cascade de soins pour le VHB. Bien que cette étude ait révélé que les immigrant·e·s avaient des taux de diagnostic légèrement plus élevés et des résultats légèrement supérieurs dans les étapes suivantes de la cascade, elle a néanmoins appelé à de meilleurs efforts de dépistage et à de meilleures stratégies d’arrimage aux soins. En effet, elle indique que, tant chez les immigrant·e·s que chez les résident·e·s de longue durée, seuls 4 % des personnes ont poursuivi leur traitement contre l’hépatite B après l’avoir amorcé. Cela souligne le besoin urgent d’améliorer les stratégies visant à arrimer les patients aux soins liés à l’hépatite B et assurer leur rétention dans ces soins, dans toutes les populations.

Voies à suivre pour améliorer la prévention et la prise en charge de l’hépatite B

Voici quelques moyens de renforcer la cascade de soins liés à l’hépatite B et d’améliorer l’arrimage aux services :

  1. Recueillir et analyser des données sur les lacunes dans la cascade des soins dans tous territoires et provinces. Ces renseignements sont cruciaux pour guider la programmation des services, en particulier ceux qui s’adressent aux populations prioritaires, car les obstacles aux soins de santé varient d’un groupe à l’autre.
  2. Décentraliser et intégrer le dépistage, le traitement et la prise en charge de l’hépatite B dans d’autres structures et services existants. La localisation de ces services dans des structures de soins de santé plus accessibles s’est avérée prometteuse pour améliorer les résultats de la cascade de soins, comme les centres de santé locaux et les hôpitaux de district, où les médecins généralistes et les infirmier·ères peuvent prescrire des médicaments contre l’hépatite B et assurer le suivi sans avoir besoin de l’approbation d’un·e spécialiste. Lors de nos récents travaux au Rwanda, cette stratégie a été employée et nous avons constaté une augmentation du nombre de personnes demandant des soins, commençant un traitement contre l’hépatite B et restant arrimées aux soins après la décentralisation des services de lutte contre le VHB.
  3. Aligner les stratégies canadiennes de prise en charge de l’hépatite B sur les plus récentes lignes directrices internationales. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié en mars 2024 des lignes directrices actualisées sur l’hépatite B, qui fournissent de nouvelles recommandations pour le dépistage, les soins et le traitement de l’infection chronique par le virus de l’hépatite B. Ces lignes directrices représentent un changement important dans les stratégies de prise en charge de l’hépatite B au niveau mondial et pourraient avoir des répercussions importantes pour le Canada. L’Association canadienne pour l’étude du foie (ACEF) passe actuellement en revue ces lignes directrices et la version mise à jour des recommandations canadiennes pour la prise en charge de l’hépatite B sera publiée en 2025. Ces lignes directrices à venir devraient améliorer la cascade de soins liés à l’hépatite B au Canada, en garantissant son alignement sur les pratiques optimales internationales.
  4. Collaborer avec les organismes communautaires et les personnes ayant une expérience vécue afin de contribuer à l’élaboration d’interventions et de services optimaux et d’inciter efficacement les groupes prioritaires à se prêter au dépistage, au traitement et aux soins, et ce, de manière continue. Cette approche garantit que les interventions sont culturellement appropriées et répondent aux besoins particuliers de diverses communautés.
  5. S’inspirer des stratégies qui se sont avérées très efficaces pour d’autres infections virales chroniques, telles que le VIH et l’hépatite C. Il s’agit notamment de renforcer les capacités des organismes communautaires et d’accroître le soutien aux initiatives menées par les pairs. Les prestataires de soins de santé et les membres de la communauté ont souligné le rôle crucial des programmes d’information et de sensibilisation de la communauté dans l’arrimage des personnes aux soins.
  6. Veiller à ce que les prestataires de soins de santé, ainsi que les autres professionnel·le·s qui travaillent avec les populations prioritaires, disposent d’une formation actualisée et culturellement adaptée sur l’hépatite B et les options de traitement. Les pairs éducateurs peuvent jouer un rôle important dans l’information et le soutien des personnes tout au long de la cascade de soins liés à l’hépatite B.
  7. Améliorer l’accès à des options de dépistage et de traitement abordables, en particulier pour les communautés mal desservies. Pour ce faire, il peut être nécessaire de militer en faveur d’une augmentation du financement et des ressources pour soutenir les initiatives globales de lutte contre l’hépatite B, tant à l’échelon provincial que fédéral.

Tirer les leçons de l’hépatite C

Daryl Luster, pair navigateur de longue date, formateur en santé communautaire et militant de la lutte contre l’hépatite virale, a fait part de ses réflexions :

Si je me fie à mon expérience avec l’hépatite C (VHC) et la lutte continue pour informer adéquatement les gens concernant les risques que pose pour la santé le fait de vivre avec une hépatite virale, il ressort clairement qu’il faut en faire plus pour éliminer l’hépatite B, en particulier dans les populations à risque élevé. Le fait qu’au Canada, il y ait eu peu d’encouragement de la part de la communauté et de soutien par les pairs envers un accès aux soins et aux traitements contre l’hépatite B, tout comme ce qui s’est produit pour le VIH et l’hépatite C, a mis un frein aux progrès attendus.   

En conclusion, pour lutter efficacement contre l’hépatite B chronique, il est impératif d’adopter une approche à multiples facettes. Il s’agit notamment d’élaborer la cascade de soins liés à l’hépatite B et de combler les lacunes dans tous les territoires et provinces, de donner la priorité aux interventions destinées aux populations confrontées aux obstacles les plus importants aux soins, ainsi que de mettre en œuvre et de démultiplier les services de prévention et de prise en charge de l’hépatite B. Des données sur les lacunes dans la cascade de soins sont nécessaires pour tous les territoires et provinces afin d’informer la programmation des services, en particulier pour les populations prioritaires, étant donné que les divers groupes rencontrent des obstacles différents en matière de soins de santé.

En mettant en œuvre ces stratégies et en tirant les leçons des approches fructueuses utilisées pour d’autres infections virales chroniques, nous pouvons améliorer la prise en charge de l’hépatite B et réduire son impact sur la santé publique au Canada. Ces efforts s’inscrivent dans la stratégie mondiale de l’OMS visant à éliminer l’hépatite virale en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. La conduite d’autres études, la collecte de données et l’évaluation des interventions seront cruciales pour guider nos efforts futurs et ouvrir la voie à de meilleurs résultats en matière de santé pour toutes les populations touchées au Canada.

 

Dr Jean Damascene Makuza est médecin et titulaire d’une maîtrise en épidémiologie. Il est actuellement doctorant à la School of Population and Public Health de l’Université de la Colombie-Britannique et stagiaire au sein du Réseau Canadien sur l’Hépatite C (CanHepC). Au cours de ses 12 années d’expérience en tant que professionnel de la santé publique, il a dirigé des programmes sur la prévention et le contrôle du VIH, des infections transmissibles sexuellement, de l’hépatite virale et du cancer du col de l’utérus au Rwanda. Au BC Centre for Disease Control (BCCDC), sous la supervision du Dr Naveed Janjua, ses recherches portent sur la cascade de soins et les résultats des traitements pour les patient·e·s ayant subi un dépistage de l’hépatite B et de l’hépatite C au Rwanda.

Daryl Luster utilise son expérience en tant que personne ayant vécu avec le VHC pour travailler en tant que militant et formateur auprès des patient·e·s, des soignant·e·s, des législateur·trice·s, des entreprises pharmaceutiques et des professionnel·le·s de la santé. Il milite en faveur d’un plus grand engagement de la part des payeurs, qu’ils soient publics ou privés, et s’entretient régulièrement avec des patient·e·s. Il a également de l’expérience en tant que présentateur, pair navigateur et blogueur, et apporte une large compréhension des questions auxquelles sont confrontées les personnes vivant avec une maladie chronique. L’amélioration de la qualité de vie de tou·te·s les patient·e·s est au cœur de son travail. Il fait partie de plusieurs organismes tels que le Comité consultatif de la recherche sur le VIH/sida et les ITSS des Instituts de recherche en santé du Canada, le Comité consultatif communautaire de l’Institut des maladies infectieuses et immunitaires, ainsi que le Réseau Canadien sur l’Hépatite C (CanHepC).

Dahn Jeong est doctorante à la School of Population and Public Health de l’Université de la Colombie-Britannique. Son projet de recherche doctorale porte sur les avantages du traitement antiviral à action directe contre l’infection par le VHC, en particulier en ce qui concerne les manifestations extra-hépatiques (MEH) et les disparités ethniques concernant ces MEH. Dahn est stagiaire doctorante au sein du Réseau Canadien sur l’Hépatite C (CanHepC) et bénéficie également du soutien des Instituts de recherche en santé du Canada.  

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