L’utilisation de la PrEP à la demande parmi les hommes gbqHARSAH : perspectives issues de l’étude PRIMP

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De nombreux hommes gais, bisexuels, queers et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbqHARSAH) pourraient bénéficier d’une prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour prévenir la transmission du VIH. La PrEP désigne la prise de médicaments antirétroviraux par des personnes séronégatives afin de réduire leur risque de contracter le VIH. La PrEP est très efficace et son utilisation peut être quotidienne ou à la demande – en suivant la posologie 2-1-1, qui offre une avenue de rechange. La posologie 2-1-1 consiste à prendre deux comprimés de deux à 24 heures avant le sexe, un comprimé 24 heures après cette première dose et un autre 24 heures par la suite. En 2019, l’Organisation mondiale de la Santé a approuvé la PrEP à la demande pour les gbqHARSAH qui ont des relations sexuelles moins fréquentes. Toutefois, Santé Canada n’a approuvé que l’utilisation quotidienne, donc la PrEP à la demande demeure un usage hors indication.

L’adoption de la PrEP est lente parmi les gbqHARSAH qui satisfont aux critères énoncés dans les lignes directrices cliniques, notamment ceux qui déclarent avoir eu du sexe anal sans condom au cours des six derniers mois, avoir contracté une infection transmissible sexuellement au cours de l’année précédente, avoir utilisé la prophylaxie post-exposition plus d’une fois et pour lesquels le risque d’infection par le VIH est élevé selon un outil d’évaluation. Cette lenteur a été attribuée au coût, à des craintes d’effets secondaires, à l’impression de ne pas avoir un risque suffisamment élevé de contracter le VIH, au fait de ne pas avoir de prestataire de soins primaires ainsi qu’à la stigmatisation. La PrEP à la demande est une solution possible pour accroître l’adoption de la PrEP : elle peut réduire le coût et s’avérer plus acceptable pour les gbqHARSAH qui savent à l’avance à quel moment ils auront des relations sexuelles ou qui s’inquiètent des effets secondaires. Cependant, il y a un manque regrettable de connaissance de ce schéma posologique, à la fois chez les gbqHARSAH et chez leurs prestataires de soins de santé.

L’étude PRIMP

Peu d’études au Canada ont porté sur l’acceptabilité, l’adaptation et les raisons de l’utilisation de la PrEP à la demande. Pour combler cette lacune, les chercheur·euse·s de l’étude PRIMP (PrEP Implementation Study) ont réalisé des entretiens auprès de gbqHARSAH utilisateurs de la PrEP en Colombie-Britannique (C.-B.) et en Ontario afin d’analyser l’évolution de leur utilisation dans le temps. Les entretiens, étalés sur trois ans, ont permis d’examiner les tendances de l’utilisation de la PrEP, y compris les raisons de l’utilisation de la PrEP à la demande.

L’étude visait à améliorer la prestation de la PrEP aux gbqHARSAH en examinant les données des programmes pour évaluer la cascade de la PrEP en C.-B. et en Ontario, deux provinces qui ont des politiques d’accès à la PrEP différentes. La collecte de données misait sur deux méthodes : deux enquêtes communautaires transversales, sur une période de cinq ans, et des entretiens approfondis une fois l’an entre 2020 et 2022 avec des utilisateurs actuels et anciens de la PrEP. Au total, on a recruté 38 participants au volet qualitatif de l’étude (20 en C.-B. et 18 en Ontario) pour les interroger sur leur utilisation de la PrEP, y compris les pauses, les reprises et les interruptions.

Les entretiens ont révélé qu’en dépit de l’intérêt des participants à l’égard de la PrEP à la demande et du potentiel de celle-ci de répondre à leurs besoins, nombre d’entre eux ne savent pas comment utiliser cette méthode correctement. Voici quelques extraits d’entretiens qui mettent en lumière les expériences des participants en matière de PrEP à la demande et le fait que nombre d’entre eux n’ont pas reçu suffisamment d’informations de la part de leurs prestataires de soins de santé.

Expériences personnelles de la PrEP à la demande

Certains participants ont expliqué s’être tournés vers l’utilisation du schéma posologique 2-1-1 en raison d’effets secondaires qu’ils attribuaient à l’utilisation quotidienne de la PrEP. Par exemple, en 2021, un participant de la Colombie-Britannique a déclaré :

Une analyse de sang a révélé un problème […] avec mes globules blancs. J’ai demandé à ma médecin si c’était dû à la PrEP. Elle m’a répondu qu’elle n’était pas sûre […]. Puis elle m’a dit, vous savez, si vous n’en avez pas besoin constamment, ce serait peut-être une bonne idée de la prendre à la demande.

La prestataire a suggéré la PrEP à la demande comme une option, mais le participant n’a pas reçu de conseils adéquats sur la manière de la mettre en œuvre. Le participant s’est donc informé sur la PrEP à la demande en effectuant ses propres recherches en ligne. Lors de son dernier entretien, en 2022, il a confirmé qu’il prenait toujours la PrEP à la demande.

Un autre participant a commencé à utiliser à la demande les pilules de PrEP qui lui restaient, après avoir déménagé dans une province où il n’était pas encore admissible à la PrEP. Il a déclaré avoir pris connaissance de l’existence de la PrEP à la demande grâce à un ami :

Lorsque je suis venu m’établir ici j’ai apporté [le reste de] mes comprimés de PrEP […] parce que je ne les avais pas pris avec régularité […]. Mon ami m’a dit qu’il en prenait à la demande, alors j’ai commencé à essayer cela […]. Je ne sais même pas comment on est censé faire. J’ai simplement appris de mon ami.

Certains hommes ont exprimé un intérêt pour la PrEP à la demande, mais ils manquaient de connaissances à son sujet ou leurs prestataires de soins de santé les ont découragés d’y avoir recours. Par exemple, un participant de l’Ontario a déclaré :

Je sais qu’on peut la prendre à la demande, mais je ne connais pas grand-chose à ce sujet et je ne sais pas comment remédier à la situation. Je me souviens avoir demandé à mon médecin si je pouvais ne pas prendre la PrEP tous les jours […] il m’a répondu que ce serait préférable de la prendre tous les jours.

Un participant a ressenti des effets secondaires qu’il croyait venir de son utilisation quotidienne de la PrEP. Il a envisagé de changer son régime pour la PrEP à la demande mais n’a pas reçu d’informations précises de la part de son prestataire, ce qui révèle un possible manque de connaissances :

J’avais l’intention de me tourner vers la PrEP à la demande, mais la PrEP doit se prendre tous les jours […], ou du moins c’est ce que [le médecin] m’a dit. Donc, il ne m’a pas laissé opter pour la PrEP à la demande [parce que] je devais la prendre quotidiennement pendant trois ou quatre mois.

Ce participant a cessé de prendre la PrEP en raison d’effets secondaires gastro-intestinaux persistants. Cependant, il s’est dit prêt à reprendre la PrEP orale si ses effets secondaires se résorbaient et en cas de changement important de son activité sexuelle.

L’importance des connaissances sur la PrEP à la demande

Les exemples ci-dessus démontrent un manque de connaissances sur la PrEP à la demande parmi les participants et les prestataires de soins de santé. Certains participants qui sont passés à la PrEP à la demande l’ont fait parce que leur médecin le leur a suggéré. Cependant, ces participants et d’autres ont dit avoir eu du mal à trouver des informations sur la PrEP à la demande et avoir dû faire des recherches en ligne ou s’informer auprès d’amis. Certains voulaient l’essayer, mais leur prestataire de soins leur a conseillé de prendre la PrEP quotidiennement ou ne leur a pas fourni d’informations précises sur la PrEP à la demande. Cette étude démontre la nécessité d’accroître la connaissance et la compréhension de la PrEP à la demande parmi les prestataires de soins de santé.

Le coût est un autre obstacle à l’utilisation de la PrEP. Étant donné que la PrEP à la demande nécessite moins de comprimés, elle pourrait servir d’avenue de rechange à l’utilisation quotidienne et ainsi réduire le coût, ce qui permettrait d’améliorer l’adoption de la PrEP.

Compte tenu de l’approbation récente de la PrEP injectable au Canada, il existe à présent plusieurs modalités de PrEP qui devraient être proposées aux gbqHARSAH, y compris l’utilisation quotidienne et à la demande. Le fait d’offrir plusieurs formules aux individus pourrait leur permettre de choisir celle qui convient le mieux à leurs besoins et à leur situation, ce qui accroîtrait le recours à la PrEP et améliorerait les résultats en matière de santé dans la communauté.

 

Emerich Daroya est chargé de cours dans le programme d’études sur le genre, la sexualité et la diversité à l’Université La Trobe de Melbourne, en Australie. Il a été chercheur postdoctoral à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, où il a contribué à l’étude PRIMP. Fondée sur la sociologie, sa recherche utilise une perspective de santé publique critique pour examiner la santé et le bien-être des hommes gais, bisexuels, queers et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, en explorant leurs intersections avec les déterminants sociaux de la santé.

Daniel Grace, Ph. D., est professeur agrégé à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto et titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 2 sur la santé des minorités sexuelles et de genre. Sociologue médical de renommée internationale, il dirige un programme de recherche communautaire à méthodes mixtes visant à améliorer la santé sociale, mentale, physique et sexuelle des communautés 2ELGBTQ+. Ses recherches sur la compréhension de la prévention biomédicale du VIH au quotidien ont éclairé des programmes communautaires, la législation et les politiques de santé aux échelons provincial, national et international. Daniel Grace est directeur du Centre de recherche sur la santé des minorités sexuelles et de genre de l’École de santé publique Dalla Lana.

Darrell H. S. Tan est médecin spécialiste des maladies infectieuses et clinicien-chercheur à l’Hôpital St. Michael’s, où il dirige l’initiative Options Collaboratory in HIV/STI Treatment and Prevention Science. Il est également professeur agrégé au département de médecine et à l’Institute of Health Policy, Management and Evaluation de l’Université de Toronto. Ses recherches se concentrent sur les essais cliniques et sur la science de la mise en œuvre dans les domaines de la prévention et du traitement du VIH, des ITS et de la COVID-19. Le Dr Tan est titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 2 en prévention du VIH et des ITS, il codirige le noyau de prévention du VIH du Réseau canadien d’essais VIH des IRSC et il siège au conseil d’administration de la Société internationale du sida.

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