L’élimination de l’hépatite virale au Canada : Où en sommes-nous et que pouvons-nous accomplir

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Au dernier Congrès canadien d’hépatologie tenu en 2020, il régnait un optimisme palpable face à la perspective d’éliminer l’hépatite C au Canada. Les chercheurs, les prestataires de services et les intervenants concernés ont adopté un plan directeur définissant des objectifs collectifs et des stratégies possibles, et ont présenté les données probantes issues de la recherche et de la pratique en vue d’orienter l’élaboration des politiques et les programmes.

Puis, la pandémie de la COVID-19 est survenue. Elle a eu un impact énorme sur notre secteur : les services ont été réduits, les chercheurs et les cliniciens ont été affectés à la lutte contre la COVID-19, et les collectivités les plus touchées par l’hépatite C ont dû faire face aux dangers accrus liés à la COVID-19 et à l’aggravation de la crise des surdoses.

C’est dans ce contexte que nous nous sommes retrouvés pour le Congrès canadien d’hépatologie qui s’est tenu du 2 au 5 mai 2021, en mode virtuel toutefois pour la première fois de son histoire. Ce congrès était organisé conjointement par l’Association canadienne pour l’étude du foie, le Réseau canadien sur l’hépatite C (CanHepC) et l’Association canadienne des infirmières d’hépatologie, et a été l’occasion d’un sommet nord-américain de deux jours sur l’élimination des hépatites virales, axé sur les initiatives visant à enrayer l’hépatite C, organisé en partenariat avec l’American Association for the Study of Liver Diseases.

En pleine pandémie de COVID-19, d’éminents scientifiques et défenseurs des intérêts des patients ont discuté de son incidence sur les initiatives visant à éliminer l’hépatite C, du fardeau toujours croissant de l’hépatite virale dans le monde et des possibilités de renverser le cours de l’épidémie d’hépatite C au Canada.

Le fardeau de l’hépatite virale continue de s’alourdir

L’un des motifs de dépit sous-jacents à de nombreuses présentations données lors du congrès était le fait que, malgré l’existence de vaccins contre les hépatites A et B et de traitements curatifs contre l’hépatite C, le fardeau mondial de l’hépatite virale continue de s’alourdir. Si le type dominant d’hépatite virale peut varier selon l’endroit où l’on vit, le fardeau lié à l’hépatite et aux maladies hépatiques qui en résultent se fait sentir dans le monde entier.

Au Canada, le nombre de cas d’hépatite C chronique révèle une évolution intéressante. Selon une présentation du Dr Howard Njoo, de l’Agence de la santé publique du Canada, l’incidence des cas dans tout le pays ne semble pas diminuer. Cette tendance s’observe malgré les importantes initiatives visant à augmenter le nombre de tests de dépistage et de traitements, ce qui indique une sous-utilisation des services et la présence d’obstacles empêchant les personnes touchées de manière disproportionnée d’y avoir accès.

Pas d’élimination sans égalité en matière de santé

Les taux d’hépatite virale, y compris d’hépatite C, sont profondément liés aux inégalités sociales. Pour s’attaquer à ces maladies, il faut comprendre les vulnérabilités qui accroissent les risques d’exposition des individus et des groupes à l’hépatite C et à d’autres maladies infectieuses, et s’engager à recourir à des approches adaptées pour remédier à ces vulnérabilités.

C’est dans cette optique d’égalité en matière de santé que le Dr Stuart Skinner a exhorté les participants à envisager l’élimination de l’hépatite C non pas comme une stratégie spécifique de cette maladie, mais comme une démarche dont la portée doit être étendue afin de tenir compte des besoins des individus et des groupes concernés. Chaque groupe est particulier et différent, et doit donc faire l’objet d’interventions adaptées afin de produire des effets. En pleine pandémie de COVID-19, les prestataires de soins de santé et de services sociaux ont redoublé d’efforts pour simplifier le modèle de soins relatifs à l’hépatite C. Le congrès a été l’occasion de présenter des exemples de modèles de programmes très accessibles, ancrés dans les réalités locales et la vie des collectivités, de multiplication des partenariats, d’intégration des soins relatifs à l’hépatite C aux services communautaires essentiels (comme le logement et les centres d’hébergement), d’amélioration du transfert de tâches et d’optimisation de la prestation des soins par les infirmières, et enfin de priorisation des pairs aux stades de la co-conception et de la prestation des programmes.

En ce qui concerne le Canada, le document intitulé Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada présente plusieurs populations prioritaires touchées de façon disproportionnée par l’hépatite C. Ces groupes (les Autochtones, les personnes qui consomment des drogues, les personnes ayant connu le système carcéral, les immigrants et les nouveaux arrivants provenant de pays où l’hépatite C est répandue, les gais, les bisexuels et les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, ainsi que les adultes nés entre 1945 et 1975) sont surreprésentés parmi les personnes atteintes d’hépatite C chronique, mais ont moins accès aux soins nécessaires pour la traiter.

Ces vulnérabilités n’ont pas seulement pour effet d’augmenter le risque d’exposition aux virus. Ces populations sont également exposées à un risque accru de maladies hépatiques et de complications connexes. Dans sa présentation, la Dre Nicole Rich a démontré que ces inégalités se manifestent sur le plan de l’incidence du cancer du foie, de l’accès au traitement et de la mortalité.

Les « syndémies » accentuent les difficultés et compliquent les soins

Bien souvent, les vulnérabilités et les répercussions associées à l’infection par l’hépatite C ne sont pas indépendantes d’autres facteurs. Les docteurs Judith Feinberg et Chris Fraser ont posé la question suivante : « Quelles autres épidémies auxquelles sont confrontées les personnes atteintes d’hépatite C et d’autres maladies peuvent avoir un impact sur leur santé? » Le terme de syndémie renvoie à la présence de deux ou plusieurs épidémies ou maladies dont la concomitance a pour effet d’alourdir le fardeau qui y est associé et d’assombrir le pronostic des personnes touchées. De nombreuses populations vivant au Canada sont confrontées à des problèmes qui se recoupent, comme le lourd fardeau de l’hépatite C et du VIH, les éclosions d’autres infections transmissibles par voie sexuelle et sanguine comme la syphilis, la crise des surdoses, la crise du logement abordable, le racisme structurel et les politiques et pratiques discriminatoires.

Tous ces problèmes ont été amplifiés par l’émergence de la COVID-19, qui a bouleversé la manière dont les soins relatifs à l’hépatite C et les services connexes sont dispensés. Cette perturbation des services, combinée aux conséquences imprévues de la distanciation physique sur le plan des risques de surdose, a affecté de manière disproportionnée certaines populations particulièrement vulnérables à l’hépatite C.

Les stratégies de dépistage doivent être améliorées de manière à atteindre les personnes qui n’ont pas reçu de diagnostic

De nombreuses personnes atteintes d’hépatite C chronique n’ont pas reçu de diagnostic. Lorsque le diagnostic est retardé ou n’est jamais établi, les occasions de réduire la transmission et de prévenir l’évolution des maladies hépatiques par un traitement ou un suivi régulier sont considérablement réduites.

Le DJordan Feld a analysé les avantages des approches actuelles en matière de dépistage de l’hépatite C au Canada. La principale stratégie de dépistage de l’hépatite C au Canada est fondée sur le risque, c’est-à-dire qu’elle consiste à faire passer des tests aux personnes plus susceptibles d’être exposées au virus. Les données canadiennes ont permis d’établir que si le dépistage basé sur le risque est utile pour certaines populations (comme les personnes qui consomment des drogues), cette approche se révèle inadéquate pour d’autres groupes. Les recommandations actuelles en matière de dépistage, combinées au manque de sensibilisation du public à l’égard de l’hépatite C, donnent lieu à des diagnostics tardifs chez des populations telles que les personnes âgées et les personnes ayant peu recours au système de santé.

Le Dr Feld a proposé des stratégies visant à combler cette lacune et à augmenter le nombre de diagnostics d’hépatite C au Canada, notamment : le dépistage fondé sur d’autres facteurs que le risque, l’augmentation de l’utilisation des tests très accessibles et l’accroissement de la sensibilisation du public au dépistage de l’hépatite C.

Les données sont le moteur de la prise de décisions

L’élimination de l’hépatite virale implique des interventions coordonnées et adaptées, fondées sur des données probantes et correspondant aux besoins de populations et de situations données. Il est possible de tirer parti d’approches innovantes en ce qui a trait à la collecte de données concernant des populations particulières, au délai de mise à disposition de ces données et à leurs destinataires, afin d’améliorer la prestation des services de prévention et de dépistage.

L’exemple de la cohorte de dépisteurs de l’hépatite de la Colombie-Britannique (BC-HTC ou British Columbia Hepatitis Testers Cohort) a été présenté par le Dr Mel Krajden comme la « validation de principe » des résultats de l’intégration des données. La cohorte BC-HTC puise des données à partir de diverses sources cliniques, de cas, de résultats de tests de dépistage et de renseignements administratifs en vue de « surveiller le fardeau des maladies liées à l’hépatite et aux infections ou situations sociales qui y sont associées, d’évaluer les effets des interventions et de prendre la mesure de l’avancement du programme de lutte contre l’hépatite afin d’orienter les politiques et les programmes mis en œuvre en Colombie-Britannique et au Canada ». La cohorte BC-HTC s’est avérée un outil précieux de surveillance des tendances des maladies, de suivi du déroulement des programmes et de la séquence de soins, et de mesure de l’impact de l’hépatite virale dans le contexte plus général des syndémies.

L’intégration, à pareille échelle, de données provenant d’un large éventail de systèmes ne va pas de soi et soulève quelques difficultés. Un des inconvénients de cette banque de données concernant l’hépatite C et d’autres banques de données au pays est que les mises à jour n’ont jamais été effectuées en temps réel. Cela limite la capacité des décideurs à relever les défis actuels, car ils se servent souvent de données vieilles de plusieurs années.

L’émergence de la COVID-19 et de la crise sanitaire qui en a résulté au Canada a mis en relief la nécessité pressante d’intégrer les données en temps réel dans l’élaboration des politiques et les pratiques. L’information est diffusée, regroupée et appliquée de manière inédite.

L’avenir : Les promesses liées à la crise de la COVID-19 et les pistes de travail à explorer

L’impact de la pandémie de COVID-19 sur les populations touchées par l’hépatite C ou vulnérables à cette maladie a été considérable. Bon nombre des populations les plus touchées par la COVID-19 sont également affectées de manière disproportionnée par des épidémies ou des problèmes qui se chevauchent, notamment l’hépatite virale, le VIH et la crise des overdoses. Les mesures de santé publique mises en place pour ralentir la propagation de la COVID-19 ont eu des répercussions inattendues sur ces autres problèmes de santé et ont perturbé de nombreuses étapes de la séquence de soins relatifs à l’hépatite C. Les perturbations des services de prévention, de dépistage et de traitement de l’hépatite C se feront certainement sentir au niveau mondial, ce qui donnera lieu à de nouvelles infections, à des réinfections et à une augmentation de l’incidence des maladies hépatiques. Le Dr Naveed Janjua a présenté des données de projection d’après lesquelles les perturbations de la séquence de soins de l’hépatite C entraîneront une augmentation de l’incidence de cette infection dans les pays à faible revenu et une hausse des cas de cancer du foie et de décès liés aux maladies hépatiques dans les pays à revenu élevé.

Dans une présentation portant sur les leçons tirées de la crise de la COVID-19 qui pourraient favoriser l’élimination de l’hépatite virale, la Dre Betsy Verna a fait observer qu’on peut tracer d’importants parallèles entre la crise de la COVID-19 et l’hépatite virale. Les deux maladies sont hautement transmissibles au sein des cercles sociaux, et toutes deux mettent en évidence des inégalités dans le système de santé. Il est probable que la pandémie et les mesures de santé publique qui s’y rapportent retarderont la réalisation des objectifs d’élimination de l’hépatite d’ici 2030 de l’Organisation mondiale de la Santé, mais de nombreuses avancées n’ont pas moins été réalisées pendant la pandémie et pourraient être mises à profit dans la lutte contre l’hépatite C :

  • Le public n’a jamais été aussi sensibilisé aux infections. La pandémie de COVID-19 fait l’objet de l’actualité et des médias au quotidien depuis plus d’un an. Dans sa présentation, la Dre Verna a rappelé que seules les guerres mondiales ont eu droit à une couverture médiatique comparable. La mobilisation du public a été forte et a mis en avant les approches de réduction des risques comme moyen de prévention de l’infection. Cette forte mobilisation du public peut être mise à profit et se poursuivre après la fin de la pandémie de COVID-19.
  • Les inégalités en matière de santé sont de plus en plus reconnues et prises en compte. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les inégalités en matière de santé dont pâtissent les populations marginalisées. Les mesures de surveillance, de dépistage et de vaccination sont de plus en plus répandues parmi les populations vulnérables et vivant en établissements. D’autres activités liées à la santé des populations peuvent être menées afin de tirer parti de cette infrastructure, et des ressources supplémentaires peuvent être affectées à la prestation de services de dépistage et de traitement à ces groupes.
  • Santé numérique et télémédecine. Les plateformes de santé numériques, notamment les applications de santé mobiles et l’information en ligne, de même que la prestation de soins virtuels par télémédecine, se sont rapidement développées au cours de l’année écoulée. Le DrHemant Shah a réfléchi à la progression de la télémédecine et des soins virtuels dans son propre cabinet et a encouragé les autres praticiens à réfléchir à la manière dont cette technologie peut être intégrée à leur activité. Le Dr Mayur Brahmania a invité à la prudence en ce qui concerne le recours aux interventions de santé numérique qui ne prend pas en compte les facteurs pouvant en limiter l’accès, car certaines populations n’ont pas pu bénéficier des solutions de santé numérique dans la même mesure que d’autres. Ces facteurs sont notamment la pauvreté, l’itinérance, le manque de connaissances en matière de santé numérique, le manque de ressources allouées aux services et la méconnaissance des modes d’utilisation de la technologie par les clients. Les interventions de santé numérique intentionnellement mises en œuvre pour remédier à ces facteurs se sont avérées fructueuses et ont permis d’améliorer les résultats de santé des populations marginalisées. 
  • Avancées cliniques en matière de dépistage, de diagnostic et de vaccination. Le virus responsable de la COVID-19 est le virus le plus séquencé au monde. La réaction mondiale à la pandémie a donné lieu à des investissements et à des progrès remarquables en matière de dépistage et de technologies vaccinales. Alors que la mise au point du vaccin contre la polio s’est étalée sur 60 ans, de multiples vaccins contre le virus SRAS-CoV-2 ont été élaborés en l’espace de 12 à 18 mois. Le virus de l’hépatite C a lui aussi donné lieu à une évolution médicale inédite, puisqu’on est passé du stade de la découverte à celui de la guérison en 30 ans. Les docteurs Michael Houghton et Harvey Alter (récompensés du prix Nobel pour leur contribution à la découverte du virus de l’hépatite C) ont assisté au congrès et ont présenté leurs travaux actuels sur la recherche de vaccins. L’investissement accru dans le domaine du dépistage, de la technologie et de l’infrastructure de vaccination contre la COVID-19 peut être mis à profit dans le cadre des mesures prises en vue de l’élimination de l’hépatite virale.

La pandémie de la COVID-19 a poussé les intervenants dans le domaine de l’hépatite virale à réfléchir aux approches de santé publique en matière de maladies virales.

Un éventuel plan de reprise post-COVID-19 devra tenir compte de l’impact de la pandémie sur la situation liée à l’hépatite virale et aux autres infections de ce type. Les projections donnent à penser que la réalisation des objectifs d’élimination sera retardée et que les nouveaux cas, les réinfections et l’incidence des maladies hépatiques sont susceptibles d’augmenter. La pandémie de COVID-19 a également mis en évidence les inégalités en matière de santé dont sont victimes les populations marginalisées.

Nous devons envisager les moyens d’intégrer plus étroitement aux stratégies d’élimination une approche axée sur l’égalité des chances afin que les personnes les plus vulnérables ne soient pas laissées pour compte. Malgré les défis que présente la pandémie, Action Hépatites Canada a établi un rapport d’étape (en anglais uniquement) afin de profiter de l’impulsion du moment et de faire en sorte que les gouvernements provinciaux et territoriaux respectent l’engagement du gouvernement fédéral d’éliminer l’hépatite virale.

 

Shannon Elliot est la spécialiste des questions relatives à l’hépatite C chez CATIE.

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