La prévention de la transmission du VIH pendant la pandémie de COVID-19 : Comment ça a commencé, comment ça se passe

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À l’automne 2017, la version générique du traitement prophylactique pré-exposition (PrEP) au VIH (fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine) a été inscrite au Programme de médicaments de l’Ontario. Avant cette date, seules les titulaires d’une assurance privée pouvaient se faire rembourser le traitement, alors que les frais à la charge des patients étaient de l’ordre de 1000 $ par mois sans assurance. C’est cette accessibilité accrue et le manque de prescripteurs dans notre région qui nous ont incités – nous : une infirmière praticienne et un travailleur d’approche attaché à un organisme local de services de lutte contre le VIH destinés aux hommes gais – à cofonder une clinique de prévention du VIH à accès direct.

Aujourd’hui, plus d’un an après le premier cas canadien de COVID-19, nous sommes aux prises non seulement avec une deuxième pandémie concomitante à celle du VIH/sida, mais avec ses effets sur la manière dont les gens se rapprochent, se livrent à des activités sexuelles et cherchent à se faire soigner. Cette situation a une incidence sur les moyens par lesquels les personnes concernées se procurent et prennent la PrEP, et a engendré tout un nouvel ensemble de difficultés à résoudre.

Proposer la PrEP par le biais d’un organisme communautaire

Notre clinique est née d’un partenariat entre une infirmière praticienne et un organisme local de lutte contre le VIH qui proposait déjà des services de proximité aux hommes gais dans un bain public local et par le biais d’applications comme Grindr. Cet organisme avait constaté que le problème le plus fréquent était de savoir comment les gens pouvaient avoir accès à la PrEP, un besoin manifestement non comblé dans notre collectivité.

Nous avons commencé à proposer des rendez-vous en vue de dispenser une PrEP dans les locaux de l’organisme de lutte contre le VIH, plutôt que dans une clinique classique. La participation a été immédiate. Cela nous a également permis de faire bénéficier davantage d’hommes gais des services de l’organisme, notamment de suivis et de soutien réguliers. Dans un deuxième temps, nous avons collaboré avec des prestataires de services œuvrant auprès des femmes et des populations africaines, caraïbéennes et noires, afin de leur faciliter l’accès aux services de la clinique. Nous avons également placé des annonces dans un centre de consommation sans risque et demandé aux intervenants en réduction des méfaits de ce centre d’orienter leurs clients vers notre clinique.

Perturbation des communautés, perturbation des liens

La COVID-19 a considérablement modifié la dynamique des communautés – où et comment elles se rassemblent, et la manière dont on peut les sensibiliser. Lorsque nous avons ouvert la clinique, nous savions que la solitude était un problème pour de nombreuses personnes gaies, bisexuelles, queers et transgenres. Les applications de rencontres, les bains publics et les bars queers ont toujours été des moyens de rencontre pour les personnes queers et transgenres, bien que la plupart de ces lieux soient plus adaptés aux hommes gais blancs cisgenres et moins accueillants pour de nombreuses personnes queers marginalisées.

Les relations sexuelles occasionnelles sont souvent un moyen de nouer une amitié ou une relation amoureuse et peuvent jouer un rôle important dans la constitution de communautés. Puisque les gens hésitent désormais à se rencontrer en personne, Grindr propose une option de conversation vidéo, mais les interactions en ligne ne permettent pas une certaine intimité physique dont certaines personnes ont vraiment besoin.

Les bains publics ont été durement touchés au plus fort de la crise du sida, puis ont encore décliné depuis l’avènement de la culture de la drague en ligne. Aujourd’hui, les bains publics doivent faire face à cette nouvelle pandémie, et nombre d’entre eux se voient contraints de fermer pour la durée de la crise de COVID-19. Les bars queer connaissent le même problème : certains ont fermé définitivement, incapables de rester en activité sans le moindre revenu.

Ces fermetures ont fragmenté les communautés, contribuant non seulement à l’isolement social préexistant des personnes queer, mais posant également de nouvelles difficultés sur le plan de la prévention de la transmission du VIH. Comme de nombreuses cliniques, nous avons proposé l’option des rendez-vous virtuels, mais nombre de nos clients nous ont fait savoir que les services personnalisés offerts dans le cadre des consultations en vis-à-vis leur manquaient, notamment les programmes de proximité de l’agence destinés aux populations prioritaires et les services de santé mentale.

Moins de personnes ont recours aux services de prévention de la transmission du VIH

Le nombre de nouveaux clients de la clinique a également diminué, ce qui signifie que moins de personnes ont accès à la PrEP. Les restrictions actuelles nous empêchent de mener des activités de proximité en personne pour faire connaître les services de la clinique. Il est possible que certaines personnes aient moins de rapports sexuels qu’avant le début de la pandémie de COVID-19, mais il se peut aussi que les gens ne s’attendent pas à avoir autant de rapports sexuels et soient donc pris par surprise lorsque l’occasion se présente.

De plus, à la stigmatisation habituelle entourant les rapports homosexuels s’ajoute à présent la stigmatisation entourant les rapports sexuels pendant la pandémie de COVID-19, ce qui entraîne une diminution des comportements de recherche de soins de santé sexuelle, notamment en ce qui concerne la PrEP, la prophylaxie post-exposition (PPE) et le dépistage du VIH.

Nous proposons un bilan de santé sexuelle complet à tous nos clients tout au long du traitement par la PrEP, mais comme nous accueillons moins de nouveaux clients, cela se traduit également par une diminution des tests, des diagnostics et des traitements des infections transmissibles sexuellement ou par le sang. Nous avons des clients perdus de vue en cours de suivi, ce qui ne nous permet pas de déterminer s’ils ont cessé d’être sexuellement actifs, s’ils ont cessé d’utiliser la PrEP ou s’ils sont aux prises avec d’autres difficultés.

Changer les stratégies de prévention de la transmission du VIH

Naturellement, si une personne ne ressent plus le besoin de prendre la PrEP quotidiennement, elle peut changer de stratégie de prévention. Mais il est important qu’elle le fasse en consultation avec un prestataire de services. Les lignes directrices canadiennes en matière de PrEP contiennent des recommandations concernant l’adoption d’un autre calendrier posologique « sur demande » pour certaines populations, en consultation avec un prestataire de services, consistant à prendre deux comprimés entre deux et 24 heures avant le rapport sexuel, un comprimé à prendre 24 heures après la première dose, et un autre comprimé à prendre 24 heures après. Nous avons entendu dire, de manière informelle, que les clients des cliniques où l’on administre la PrEP passent d’eux-mêmes à la nouvelle méthode ou arrêtent complètement la PrEP sans effectuer de suivi.

Une première consultation concernant la PrEP est l’occasion de présenter de multiples options de prévention, mais la quantité d’information à retenir, tant pour les clients que pour les personnes inexpérimentées chargées de dispenser la PrEP, peut être écrasante. Pour remédier à ce problème, nous avons créé un tableau comparatif, un document pratique (en anglais seulement) à passer en revue avec les clients pendant leur visite, ou à accrocher dans les espaces publics ou cliniques. Puisque la COVID-19 affecte la fréquence et le déroulement de nos rapports sexuels, ce tableau permet de comparer les traitements de PrEP quotidienne et ceux sur demande, ainsi que la « PPE dans la poche ».

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La COVID-19 accentue la vulnérabilité des femmes

L’épidémie de COVID-19 a augmenté le nombre de cas de violence entre partenaires intimes et de violence sexuelle exercée sur les femmes dans la rue. Cette violence est associée à une augmentation du nombre de sans-abri, à une activité sexuelle possiblement moins sûre qu’avant la pandémie de COVID-19, ainsi qu’à la réutilisation du matériel de consommation de drogues.

Bien que les femmes soient plus susceptibles d’être infectées par le VIH, il existe toujours pour elles des obstacles à l’accès à la PrEP. Le premier est que les femmes ne savent pas nécessairement qu’elles peuvent bénéficier de la PrEP. Une étude américaine portant sur 144 femmes (en anglais) a permis de constater que les femmes étaient mécontentes et en colère de savoir que la PrEP ne leur soit pas présentée comme une option de promotion de la santé, ce qui montre que la PrEP n’est pas mise en avant auprès des femmes, et qu’il y a un manque de sensibilisation des collectivités et des prestataires.

En plus de la PrEP, les femmes devraient également se voir proposer la « PPE dans la poche ». Bien que la PPE soit proposée depuis des années en cas de violences sexuelles ou de blessures par piqûre d’aiguille, le fait de se rendre dans une salle d’urgence très fréquentée après un événement traumatisant peut constituer un nouveau traumatisme.

Les personnes cherchant à bénéficier de la « PPE dans la poche » effectueraient des analyses de sang de base et recevraient des médicaments à titre préalable, ce qui leur permettrait de reprendre le contrôle de la situation, et de prendre néanmoins des médicaments dans les 72 heures suivant une possible exposition. Quoi qu’il en soit, qu’une personne préfère recourir à la PrEP ou à la « PPE dans la poche », des soins de santé sexuelle complets lui permettent de bénéficier d’une immunisation, de se voir présenter différentes méthodes contraceptives, de passer des tests de dépistage et de bénéficier de services de santé mentale.

La COVID-19 a bousculé les services cliniques et la vie sexuelle de nombreuses personnes dans le monde, en particulier celle des personnes marginalisées. Elle n’a pas entamé notre détermination à offrir aux populations concernées des soins de santé sexuelle complets, sans jugement, anti-oppressifs et respectueux de l’expression de la sexualité. Nous espérons que notre document de référence sur la PrEP et la « PPE dans la poche » encouragera les lecteurs sexuellement actifs et les prestataires de services de proximité à se familiariser avec les options qui s’offrent à eux.

La mise à disposition de ces méthodes révolutionnaires de prévention du VIH pour les personnes qui en ont besoin a été mise à rude épreuve par la pandémie de COVID-19. Cependant, moyennant une prise en charge éclairée et collaborative, nous pouvons faire avancer les choses afin que le problème du VIH ne soit pas laissé de côté.

 

Mia Biondi, Ph. D. est infirmière praticienne en soins primaires titulaire d’un doctorat, dont les pratiques sont axées sur la prévention du VIH et de l’hépatite virale; elle intervient bénévolement en tant qu’infirmière praticienne pour aider les personnes exposées au risque de trafic humain ou qui en sont victimes. Les travaux de recherche de Mia Biondi portent sur l’amélioration de la prévention, du dépistage et de la prise en charge de l’infection par le VIH et les hépatites B et C par le biais d’approches systémiques novatrices. Mia Biondi est formatrice au sein du programme d’agrément des infirmières praticiennes de l’Ontario.

Kody Muncaster, titulaire d’une maîtrise (M.A.), est un universitaire engagé dans la recherche communautaire et la consultation en matière de VIH, de VHC, d’anti-oppression, de santé des personnes queers et transgenres, et de prévention du suicide. Ses recherches actuelles portent sur la capacité du secteur de la lutte contre le sida en Ontario à travailler en collaboration avec les populations concernées pour combattre le suicide chez les personnes queers.

 

HIV Prevention Pathways: Daily/On-Demand PrEP and PIP Ce tableau comparatif, en anglais, a été élaboré par Kate Underwood et Mia Biondi.

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