Qu’allons-nous faire maintenant?

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On m’a récemment invitée à prendre la parole à un événement organisé par Alex McClelland et Nicole Greenspan et qui s’intitulait : « Qu’allons-nous faire maintenant? Organismes de lutte contre le sida, bureaucratie et l’État ». L’événement avait pour but d’aborder un certain nombre de questions, dont :

  • Quelles sont les limites actuelles de la pratique communautaire fondée sur un engagement avec l’État?
  • Les organismes de lutte contre le sida d’aujourd’hui ont-ils des ressources et une structure adéquates pour remplir le rôle qu’ils sont appelés à jouer?
  • Ce rôle est-il suffisant pour aborder les défis actuels et émergents auxquels les communautés marginalisées font face en ce qui concerne le VIH?
  • Quelles répercussions auront les ressources limitées de l’État sur les activités de représentation des organismes de lutte contre le sida ou sur la participation de ces derniers aux changements sociaux et stratégiques?

Wow! On croirait entendre Foucault!

(Foucault était un brillant philosophe et homme gai qui est mort du sida dans les difficiles premiers jours de l’épidémie. Ses théories portaient principalement sur la façon dont les institutions sociétales utilisaient souvent le pouvoir et le savoir pour manipuler et exercer un contrôle social. Pas étonnant qu’il ait de nombreux adeptes dans la communauté d’universitaires et de militants.)

Bien que je pense que la contribution de Foucault à la pensée critique soit inestimable, je ne suis pas une universitaire, mais une « personne d’action ». Je provoque des changements en retroussant mes manches et en déployant tous les efforts possibles pour faire bouger les choses dans la bonne direction. J’adhère au principe de base selon lequel les gens sont fondamentalement bien intentionnés et peuvent être convaincus avec un minimum d’efforts.

Bien que je n’aie pas hésité à accepter l’invitation à participer au panel sur « l’intégrité et l’austérité », je l’ai fait avec une certaine appréhension parce que je sais que parfois, dans notre mouvement, la frustration que nous ressentons face aux obstacles systémiques à la justice sociale nous pousse parfois à nous en prendre à ceux qui sont dans la pièce, même s’ils sont des alliés. Le document d’information envoyé aux présentateurs avant l’événement déclarait que les « divers facteurs forcent les mouvements sociaux ancrés dans la communauté à se transformer, avec le temps, d’interventions volontaires et militantes en des professions stables pour les personnes en cause, menant à la création d’entités organisationnelles hiérarchiques dirigées par des experts et des gestionnaires. » Après tout, je dirige une organisation stable et hiérarchique (et j’en suis fière!).

Malgré mes inquiétudes, j’ai été agréablement surprise. La journée a débuté par un exposé enthousiaste et informatif de Gary Kinsman, professeur et cochercheur dans le cadre du AIDS Activist History Project. Il a projeté des diapositives montrant des manifestations d’AIDS Action Now! et a relaté des anecdotes sur les premiers jours des activités d’intervention entourant le sida – cela a réellement aidé à préparer le terrain.

J’ai relaté quatre histoires : les trois premières traitaient de différentes expériences que j’avais vécues dans les divers postes que j’ai occupés dans le secteur quand je me suis heurtée à une réticence à l’intégration. Une attitude qui, selon moi, était préjudiciable pour les personnes vivant avec le VIH ou à risque d’être infectées.

La première expérience remontait à 1987. À l’époque, je travaillais avec des jeunes de la rue et je voulais instaurer un programme d’échange de seringues/d’aiguilles et de distribution de condoms ainsi que d’autres programmes de prévention et de soutien en lien avec le VIH/sida. Mon conseil d’administration et d’autres organismes d’aide aux jeunes me donnaient du fil à retordre et se montraient réticents à intégrer des services liés au VIH (appelé sida à l’époque) aux services destinés aux jeunes. (« Si nous n’en parlons pas, peut-être qu’ils ne le feront pas! »)

En 1993, je travaillais pour un grand organisme de lutte contre le sida à Toronto et certains membres du personnel ont refusé de s’occuper d’un homme hétérosexuel séropositif qui s’injectait des drogues. On m’a dit : « Il n’a pas sa place ici ». Ils ne comptaient pas changer leur approche pour pouvoir l’accueillir et ni leurs relations interagences pour pouvoir l’aiguiller vers un organisme qui pourrait combler ses besoins.

J’ai aussi parlé des difficultés qu’a eue CATIE à modifier les règlements de notre conseil d’administration pour s’assurer que ce dernier comptait un membre ayant une expérience vécue de l’hépatite C. Ma position était que si nous souscrivions aux principes GIPA/MIPA, nous devrions en faire de même pour l’hépatite C. Nos efforts pour trouver des politiques semblables dans d’autres organismes de lutte contre le VIH et l’hépatite C ont été vains – pas un seul organisme n’avait de politique stipulant que son conseil d’administration devait compter au moins un membre ayant une expérience vécue de l’hépatite C, pas même les organismes de lutte contre l’hépatite C! (C’était il y a quelques années; c’est peut-être différent maintenant).

Enfin, j’ai parlé d’un des cas emblématiques d’un organisme de lutte contre le sida au pays qui a accueilli l’intégration à bras ouverts afin de servir les membres de la communauté qui sont dans le besoin. Sur une période de sept ans, le personnel de ASK Wellness (anciennement AIDS Society of Kamloops) est passé de six à 80 personnes en fournissant des services de logement et d’emploi grâce à des partenariats avec des propriétaires et employeurs locaux. Ils ont changé leur mode de représentation des clients et ont opté pour la facilitation et la médiation pour la communauté, « ne laissant personne pour compte. » Ils aident les propriétaires à composer avec les locataires qui ont des problèmes de santé mentale, augmentant ainsi le nombre de logements disponibles au lieu d’aliéner les gens d’affaires locaux qui ont un intérêt commun dans la santé de leur communauté. ASK Wellness a aidé les membres de leur communauté à passer « de la rue à un logement, à la santé et à un emploi. » Ils n’ont pas laissé l’austérité ou la crainte de diluer leur intervention en matière de VIH entraver leur impératif moral de changer la vie des personnes marginalisées dans leur communauté. Nous sommes tous très conscients de l’incidence des déterminants sociaux de la santé, mais combien d’entre nous prennent des mesures concrètes à ce sujet?

Il y avait plusieurs bons présentateurs, mais l’un d’eux m’a particulièrement impressionnée : Terra Tynes, une jeune travailleuse de soutien communautaire au Programme communautaire sur l’hépatite C de Toronto. Elle a parlé de ses années de consommation de substances et a relaté comment Zoe Dodd, une travailleuse en réduction des méfaits au Centre de santé communautaire South Riverdale, l’a accueillie dans un groupe de soutien. Terra est mère et milite en faveur des personnes vivant avec l’hépatite C et le VIH, des personnes qui s’injectent des drogues et des travailleurs et travailleuses du sexe. Elle était éloquente, authentique, passionnée et très inspirante.

La centaine de délégués ont participé activement et la journée a été remplie de discussions stimulantes. Pour ma part, la question la plus intéressante a été posée par Ted Kerr, un écrivain et organisateur qui a grandi à Edmonton et qui travaille actuellement à New York. « Comment pouvons-nous redistribuer nos ressources de façon radicale? Si nous nous percevions comme étant une communauté et pas seulement comme un regroupement d’organismes de lutte contre le sida avec des frontières et des budgets indépendants, comment dépenserions-nous nos ressources collectives?

Excellente question! Des suggestions?

Laurie Edmiston est la directrice générale de CATIE, la source canadienne de renseignements sur le VIH et l’hépatite C.

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